PARIS
Parution le 31 août 2022
256 pages
20, 50 €
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Thème
Un jeune homme névrosé monte à la capitale avec une obsession, conquérir les femmes et en jouir, et une ambition, devenir un écrivain, un grand de préférence c’est plus facile et tout de suite. Naturellement il est complètement désargenté (100 francs en poche, on est en 1980), ne connaît personne et s’en moque pour l’instant. Il va se lier très facilement mais avec les femmes il ne sait pas s’y prendre. Knobelspiess, un compagnon de cavale de Mesrine, va lui passer son minuscule studio. Jusqu’ici il dormait dans les bibliothèques, à Beaubourg par exemple. Un autre garçon nommé Garabédian, ancien coreligionnaire de Sup de Co Reims (« la plus mauvaise de France »), encore plus raide que lui et bègue de surcroit, vient le taper tous les jours en le menaçant de se suicider mais c’est un certain Delphin Drach, « le génie de la drague » qui va le sortir du caniveau de la déprime en l’entrainant dans l’underground de la réussite… et le lit des plus belles filles de Paris. Il ne saura, hélas pas toujours en profiter. D’autres satisfactions plus verticales lui seront bientôt réservées.
Points forts
- La langue, le style. Yann Moix possède incontestablement un énorme talent littéraire. On le lit d’un bout à l’autre, d’une seule traite, on le boit jusqu’à l’ivresse. On reste subjugué par les images qui surgissent à chaque ligne. On peut être choqué, interloqué par les pulsions et les expressions métaphoriques de son héros (et de l’auteur ?) un peu fou, complexé, écorché vif mais si lucide. On ne peut rester insensible aux provocations égotiques de ce Rastignac des trottoirs et des bistrots qui avoue dans son immense solitude : « Je voulais cesser d’être moi pour devenir quelqu’un ». Et reconnaissons-le, on ne peut s’empêcher d’être impressionné devant tant d’aisance et de facilité dans l’expression des pires obscénités.
- L’humour, l’autodérision. Et surtout l’autoflagellation. Les dialogues entre Drach et l’auteur sont délirants, absurdes mais nous font hurler de rire. C’est de l’humour très noir certes, mais irrésistible quand il prend pour cible les féministes, la femme manipulée mais manipulatrice encore plus ; l’homme est bas, incapable de beaux sentiments, et dans ce registre, Moix se prend pour un déchet, « le subsidiaire reliquat d’un coït vieux de 27 ans » et se jette plus bas que terre.
- La culture philosophique (et pas que). Les réflexions proustiennes ou bergsoniennes de Moix sur les mots et concepts du « temps » et de « l’espace » au cours desquelles il se met à convoquer Heidegger, Kant, et Saint Augustin, n’est-ce pas là le signe de l’appartenance à un Honnête Homme, au sens du 17e siècle. Au passage également, quelques saillies à l’encontre du monde de l’édition, laissant Gallimard et Grasset dos à dos, et du monde littéraire (« les écrivains détestent les écrivains »), sont savoureuses et remettent Moix au cœur de l’establishment, quoiqu’il en dise.
Quelques réserves
Le comble de la provocation littéraire. C’est tout blanc ou tout noir. On déteste ou on adore.
Yann Moix voit le mal partout surtout à son endroit. L’homme est mauvais, proclame-t-il (c’est une idée fixe). Il s’affuble lui-même de toutes les faiblesses et de toutes les médiocrités. Aucun de ses amis ne rattrape l’autre ; addiction, radinerie, lâcheté. Dans quel monde vit-on ?! Mais ne s’agirait-il pas plus tôt d’une gigantesque coquetterie ou pire, d’un canular ? Et si Yann Moix réussissait à se faire aimer malgré tout. On laissera le lecteur en juger et apprécier lui-même jusqu’à la fin ce roman biographique (encore un) que nous n’hésitons pas à qualifier d’excellent malgré ses « vomissures »
Encore un mot...
Les livres de sa tétralogie « Au pays de l’enfance immobile » jalonne le parcours résidentiel de Yann Moix : Orléans (une enfance brisée), Verdun (droit dans ses bottes, il fut un officier exemplaire pendant son service), Reims (qu’allait-il faire dans cette galère d’une école de commerce « aussi nulle »), et enfin Paris (qu’il exècre, « la ville invivable peuplée de rats, la plus sale du monde »).
Mais c’est bien à l’avant dernière page de ce Paris que l’on comprend de manière irréfutable et non sans humour que ce livre est du genre autobiographique. Il retrace en filigrane le parcours du combattant de son premier ouvrage Jubilations vers le ciel , méchamment écarté chez Gallimard puis repêché par bonheur chez Grasset, pour finalement remporter le Goncourt du premier roman. Cela valait bien une petite visite à Saint Thomas d’Aquin puisque, ultime pieds de nez de Moix aux institutions, « les églises sont faites pour les athées ».
Une phrase
« Plus elles sont divines, plus je me lâche, aimait-il à répéter crânement. Je les souille au prorata de leur magnificence. Avec une moche - que Dieu me garde de sortir avec une moche ! - je serais peut- être gêné. Tandis qu’avec une déesse je me sens comme une carpe au château de Fontainebleau dans son bassin. Un physique parfait, un visage de top model, un corps de Vénus assène à mes tripes de grosses pulsions de pure porcherie. C’est ce qu’elles sentent et aiment chez moi : je suis le seul à refuser de les respecter ». ( p.143. Delphin Drach)
L'auteur
Yann Moix fait partie des écrivains surdoués. Né en 1968 deux mois avant les évènements, il fait des études scientifiques, échoue à l’entrée à Polytechnique et à HEC et se retrouve à l’ESC Reims. Il ne se le pardonnera jamais. Muni d’une licence en philosophie, il se rattrape à Sciences Po Paris où il se révèlera être un brillant sujet. Et puis c’est très vite le succès. Jubilations vers le ciel, à 28 ans, remporte le Goncourt du premier roman et le prix François Mauriac de l’Académie Française.
Adoubé par BHL et Philippe Sollers, il publie en 1973 Naissances qui obtient le prix Renaudot. Il écrit Podium dont l’adaptation au cinéma, aura un grand succès (histoire du sosie de Claude François). « Anissa Corto » est nommé au Goncourt comme Podium. Il écrit une tétralogie dont les titres Orléans, Reims, Verdun, Paris sont les noms des villes où Yann Moix a habité. Mais Moix se fait connaître surtout, et défraye la chronique, sur les ondes radio (On n’est pas couché de Laurent Ruquier) et à la télévision.
Dernières nouvelles : création cette année du magazine littéraire Année Zéro, anime l’émission de soirée d’Europe 1, Libre Antenne, fait partie du Cercle des études lévinassiennes avec BHL et A. Finkielkraut.
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