
Oubliés
Traduit du portugais par Catherine Leterrier
Parution en octobre 2024
576 pages
22,5 €
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Thème
Oubliés évoque un fait d'arme de la Première Guerre mondiale sans doute peu connu en France, ces quelques mois passés par des soldats portugais envoyés sur le front des Flandres, entre 1917 et 1918.
Roman historique autant que roman tout court, il donne vie à Alfonso et Agnès, lui portugais, séminariste devenu officier, elle française, brillante jeune fille née à Lille dont la guerre va interrompre les études de médecine. Entre eux, il y a la distance de la naissance, de la culture, que nous découvrirons peu à peu, puis le séisme de la déclaration de guerre et la rencontre en arrière du front, au début de l'année 1917. Oubliés raconte aussi la vie de ces soldats dans les tranchées, l'attente, les missions, l'horreur et la dévastation des combats, le courage et la lâcheté, la distance ou la proximité entre officiers et "poilus", distances et proximités avec "l'arrière" et ses "planqués".
Oubliés ils le furent, laissés au front sans relève pendant des mois, identifiés comme maillon faible dans le dispositif allié du fait de leur fatigue, et cible d'une redoutable contre attaque allemande en avril 1918. Ce roman raconte en surimpression la vie d'Alfonso, enfance, amours et fractures, sincérités et mensonges jusqu'à l'ultime révélation qui le délivrera, peut être, de ses cauchemars.
Points forts
Le principal point fort de ce long roman est de faire partager la vie des personnages, leur quotidien avant et pendant leur montée sur le front. Le style descriptif et précis de JR dos Santos nous place à leurs cotés, avec réalisme et empathie.
Si la confrontation avec la guerre constitue un intérêt majeur du roman, il ne peut être réduit à cela car l'amour s'en mêle, par le hasard d'une rencontre improbable, prétexte à une réflexion sur la destinée, sur le libre arbitre ou la soumission au destin.
Dans l'esprit qui a fait l'identité de l'auteur, de longs passages sont consacrés à des réflexions sur la religion, les sciences ou l'éducation, sur les évolutions du monde au début du XXème siècle, des échanges entre les personnages proches de la vulgarisation, comme nous l'avions observé dans La Formule de Dieu, le roman le plus célèbre de l'auteur.
(en lire ci-dessous la chronique de Culture-Tops),
Quelques réserves
Ce roman comporte ce que l'on pourrait qualifier des imperfections d'un premier roman, avec quelques clichés ou descriptions si minutieuses qu'elles pourraient paraître ennuyeuses à certains.
Encore un mot...
Inspiré de faits réels et nourri d'un important travail d'archives, Oubliés est un roman intéressant par l'immersion qu'il propose, en particulier dans la vie quotidienne et la psychologie des combattants de la Première Guerre mondiale, portugais expatriés dans une guerre et des commandements qu'ils ne comprennent pas. Littéralement oubliés en première ligne, alors qu'Anglais et Français étaient relayés une à deux fois par mois, ils vécurent sans doute dans une tension et une fatigue extrême. Le roman offre aussi un panorama de la société portugaise de l'époque et de ses déchirements entre monarchistes et républicains, déchirements qui expliquèrent sans doute le peu d'attention accordé à ces combattants montés si haut dans les Flandres. Une histoire d'amour en compose la trame, respiration, déchirements et espoirs qui vous porteront jusqu'à la dernière ligne, 560 pages plus loin.
Une phrase
- " Ils passèrent près d'un arbre carbonisé et Afonso en désigna le tronc.
- Tapez ici ! dit-il à Resende.
- Quoi ?
- Frappez ici, mon gars ! ordonna-t-il.
Le capitaine, obéissant comme un bleu même s'il ne comprenait rien, leva son bâton et tapa sur l'arbre. L'impact produisit un son métallique surprenant et le tronc lâcha un hurlement.
- Faites gaffe, bande d'abrutis !
Resende sursauta, stupéfait. L'arbre parlait. Afonso et Mascarenhas éclatèrent de rire.
- Allons donc, ça, c'est un poste d'observation camouflé en arbre, expliqua Mascarenhas. On l'appelle Betty et c'est l'un des «arbres en fer» qu'on a dans le coin.
- Vous vous moquez de moi...
- Eh bien, que voulez-vous ? se justifia Afonso. On vient de vous offrir la cérémonie traditionnelle d'accueil réservée aux bleus, ici, dans les tranchecailles! N'est-ce pas fabuleux ?" P 217 - "Les soldats ouvrirent grand la bouche d'étonnement, les yeux fixés sur le ciel, stupéfaits. Un vaste rideau de lumière emplissait le firmament, dessinant un arc de couleurs fantasmagorique. L'éclair lumineux dansait en silence, la profonde obscurité céleste s'était couverte de lumières jaune, verte, rouge et même bleue, c'était extraordinaire, une vision enchanteresse qui emplissait les hommes de fascination ou de terreur. La cascade lumineuse glissait doucement, en ondulant, pleine de mystère, sublime dans sa grandeur. Un murmure respectueux s'éleva de la Ferme du Bois. Beaucoup de soldats s'agenouillèrent pour prier, certains tremblaient de peur, Dieu se manifestait, pensaient les soldats les plus superstitieux, c'était la fureur de l'au-delà qui s'apprêtait à se déchaîner sur eux, misérables pécheurs empêtrés dans la boue et la neige. […]
- Une aurore boréale, dit Afonso, enchanté par le spectacle unique que lui offrait le ciel.
C'était la nuit du 20 au 21 décembre." P 339 - "Aujourd'hui, c'est jour d'évacuation, expliqua-t-elle. Nous envoyons des patients à l'hôpital d'Hendaye, donc c'est un peu chaotique.
- Il vaudrait peut-être mieux que je vienne visiter un autre jour ...
- Non, reste, Les bus qui emmènent les patients à la gare n'arrivent pas avant deux heures.
- La gare ?
- Oui, bien sûr Hendaye est tout près de la frontière espagnole.
- Mais c'est loin.
- Oui. On ne sait pas très bien pourquoi l'armée portugaise a installé son principal hôpital à Hendaye. C'est comme ça.
Ils arrivèrent devant une nouvelle porte, elle lui lâcha la main.
- Voici mon infirmerie, annonça-t-elle gravement. Tous les patients ici sont tuberculeux. - Elle leva l'index. - Maintenant, écoute-moi bien. Dans ce service, je ne suis pas ton Agnès, je suis l'infirmière qui non seulement aide les grabataires, mais qui nourrit même leurs rêves, leurs fantasmes, et surtout, leur désir de guérir. Alors, pas de signe d'intimité devant les patients, entendu ?" P 414
L'auteur
José Rodrigues dos Santos est à la fois journaliste et romancier. Présentateur vedette du journal télévisé de la première chaîne de radio télévision portugaise, il a écrit essais et biographies. La formule de Dieu, un succès international, est traduit en 17 langues. Les séries historiques de JR dos Santos sont majoritairement traduites en français et éditées dans la collection Pocket/Univers Poche. Sorti en 2004, son premier roman Oubliés est publié pour la première fois en français, en octobre 2024 aux Editions Hervé Chopin.
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