
Only lovers left alive
1ère publication en 1964
Nouvelle publication le 12 septembre 2024
Traduction (de l’anglais) de Samuel Sfez
263 pages
21,50 euros
Infos & réservation
Thème
Cette nouvelle traduction du roman dystopique de Dave Wallis paru en 1964 nous donne l'occasion de découvrir un livre culte, encensé par la critique de l'époque et quasiment introuvable depuis des décennies.Tandis que l'Eglise le condamnait pour son immoralisme et sa violence - il fut interdit de publication en Irlande -, de grands artistes le portaient aux nues, tels Jim Morrison ou les Rolling Stones dont le projet d'adaptation au cinéma avec Nicholas Ray ne vit jamais le jour. En 2013, Jim Jarmusch lui rend hommage dans un film éponyme au scénario très différent de l'intrigue initiale.
Tout commence dans un quartier ouvrier londonien par un jour gris et pluvieux.
C'est en se jetant du 5ème étage du collège où il enseigne, que le professeur Oliver provoque enfin chez ses élèves l'intérêt et la sympathie qu'il ne leur avait jamais inspirés de son vivant. La nouvelle fait rapidement le tour de la ville, le journal local s'en empare avec d'autant plus de fébrilité que l'événement n'est manifestement pas isolé. Toute l'Angleterre semble être en proie à une vague de suicides aussi massive que inexplicable, d'autant que les adultes en sont les victimes exclusives.
Des plans d'action sont mis en œuvre pour enrayer l'hécatombe, rien n'y fait, une épidémie de dépression se propage inexorablement et force est de reconnaître que les desp - les désespérés- déploient une inventivité remarquable pour mettre fin à leurs jours.
Livrés à eux-mêmes, les jeunes se rassemblent au hasard des rencontres ou du fait de liens préexistants à « la grande crise ».
Tel est le cas de La bande de Seely Street : Bob, Charlie et le couple charismatique formé par Ernie et Kathy, d'anciens élèves du professeur Oliver.
Si la ville leur offre d'abord une abondance propice à tous les plaisirs, les réserves se tarissent bientôt, la nourriture, les vêtements, l'essence et l'électricité venant à manquer, les membres de La bande de Seely Street deviennent objets de convoitise et de conflits toujours plus violents avec d'autres bandes toujours mieux organisées.
Il leur faudra donc fuir la ville, survivre dans la plus grande précarité au hasard de l'économie de troc qui s'est développée. Que faire d'autre quand on n'a rien appris, quand la transmission intergénérationnelle a échoué ?
On comprend qu'à travers le destin de La bande de Seely Street, c'est l'avenir de l'humanité qui se joue. Les liens amicaux et amoureux peuvent-ils résister à tant d'épreuves? Cette question est d'autant plus cruciale qu'ils sont peut-être le seul rempart contre le déchaînement de la barbarie qui menace.
Points forts
- La littérature anglaise s'est fait une spécialité des romans sur la jeunesse, au moins depuis Dickens, et c'est avec une certaine émotion que l'on explore les personnalités, les forces et les failles des héros de Wallis et de tous ceux qu'ils croisent au cours de leur odyssée. L'hostilité du monde, les privations, le risque permanent de la mort ne parviennent pas à bout du formidable élan vital qui les anime et explose au cours de rituels festifs où la musique, la danse et le plaisir sexuel deviennent de formidables exutoires.
- On a comparé un peu hâtivement Only lovers left alive avec Sa majesté des mouches de W. Golding et surtout avec L'orange mécanique d'A.Burgess. Certes, dans chacun de ces romans, des adolescents ou des enfants livrés à eux-mêmes sombrent dans la violence, mais ce topos ne saurait rendre compte de la spécificité de chacune de ces œuvres. Ainsi, l'intérêt majeur du roman de Wallis est de témoigner d'un phénomène de société dont il est l'exact contemporain: le divorce radical entre la génération des pères et celle des fils qui apparaît dans le monde anglo-saxon au début des années 60 et s'étend rapidement à tout l'Occident.
Refusant massivement les codes et les valeurs des adultes, la jeunesse devient alors une catégorie sociale à part entière, en conflit ouvert et permanent avec les générations précédentes. Alors, que pourrait-il bien advenir si les adultes disparaissaient complètement de la surface de la terre ? En donnant forme à ce fantasme, Wallis rend compte de la singularité de son temps et annonce, en pur visionnaire, les grandes manifestations à venir de la contre-culture. On comprend les raisons de son succès et la fascination qu'il a pu exercer sur des artistes qui portaient et incarnaient tout particulièrement ce mouvement de rupture avec le vieux monde.
Quelques réserves
L'essentiel du récit est consacré aux efforts déployés par les adolescents pour satisfaire leurs besoins, ce qui peut lasser le lecteur, certains personnages secondaires disparaissent parfois trop vite. Mais ces « faiblesses » sont à peu près inévitables en raison de la thématique du roman et de sa signification générale. Il faut en effet avoir refermé le livre pour en saisir toute la cohérence et la force symbolique.
Encore un mot...
Wallis évoque ici un univers très sombre. La scène au cours de laquelle Charlie rencontre une communauté de très jeunes enfants rendus fous par l'abandon des adultes, est tout à fait bouleversante. Mais l'auteur sait aussi manier un humour corrosif, très anglais, lorsqu'il décrit le comportement pathétique des adultes, surtout des candidats au suicide, et losqu’il choisit de loger la bande des barbares, ennemis de ceux de Seely Street, au château de Windsor, et aussi, losqu’il choisit de se moquer de l'immaturité des jeunes garçons, d'où qu'ils viennent. Enfin les différents niveaux de lectures possibles rendent le livre accessible à tous. Les adolescents de notre époque devraient pouvoir encore en comprendre le sens et les enjeux s' ils sont bien conseillés.
Une phrase
«Ce que je veux dire c'est qu'ils étaient tellement intelligents qu'ils ne se préoccupaient même plus des questions; quoi qu'il se passe, ils savaient déjà tout, ça leur était déjà arrivé; tout ce qu'il leur restait c'était accumuler des trucs pour frimer, une meilleure voiture, une plus grande maison, des projecteurs pour se montrer leurs films de vacances. C'est une bonne chose qu'ils aient commencé à se buter.» P. 96
L'auteur
Dave Wallis (1917-1990) est un auteur anglais qui a vécu au Canada, au Moyen Orient et en Allemagne. Il a exercé de nombreux métiers pour finalement se consacrer à l'enseignement à partir de 1947. C'est alors qu'il commence à écrire, il publiera quatre romans toujours salués par la critique mais à des degrés divers : Tram-stop by the Nile en 1958, récit de son expérience militaire dans le désert, Paved with gold en 1959, Only Lovers left alive en 1964, enfin Bad luck girl en 1971.
Ajouter un commentaire