NOTRE PART DE NUIT
Parution le 18 septembre 2021
Traduit de l’espagnol (Argentine ) par Anne Plantagenet
760 pages
25 €
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Thème
En 1981, alors que l’Argentine est sous la coupe de la dictature militaire, Juan et son fils, Gaspar, vont rejoindre leur famille dans le nord du pays, après la mort de Rosario, la mère du petit, écrasée par un camion. Le but du voyage est d’arracher Gaspar à l’emprise de ladite famille qui dirige une société secrète, l’Ordre de l’Obscurité, dont Juan est le médium indispensable, seul capable d’entrer en contact avec les Ténèbres, dispensateurs de la vie éternelle.
A mesure que l’enfant grandit, le roman traite en parallèle de la vie (presque) normale de Gaspar et de l’histoire de cette Secte monstrueuse dont les nombreux maléfices répondent à tous les massacres bien réels perpétrés au cours du siècle dernier.
Points forts
-Le thème premier de ce roman qui est le Mal. Le Mal sous toutes ses formes. Les rituels atroces de l’Obscurité à base de sacrifices humains et de tortures mêlant magie noire, nécromancie, sabbat et vaudou répondent aux crimes de la dictature, aux exécutions massives, aux rapts d’enfants, aux assassinats politiques et même aux morts du sida, très nombreux alors que la pandémie bat son plein.
-L’angoisse de Juan qui discerne chez son fils Gaspar les premiers signes du don médiumnique qui a fait son propre malheur et tente assez brutalement de le protéger de l’Ordre.
-La culture littéraire incontestable de l’auteur qui, outre de nombreux poètes anglo-saxons, cite volontiers quelques maîtres du fantastique comme Marie Shelley ou Lovecraft ; elle a bien pratiqué aussi son Petit et Grand Albert comme le démontrent les cercles de craie ou de sang qui protègent l’initié lors des rituels, ou les migraines récurrentes, l’épuisement physique et psychologique du médium qui font partie des signes de la possession dans les traités de sorcellerie.
Quelques réserves
Le fantastique littéraire, pour être efficace, doit être avant tout poétique ; il a besoin de non-dits, de suggestions angoissantes, de métaphores inquiétantes, de menaces vagues, et ne peut s’accommoder de descriptions triviales. Or Mariana Enriquez montre tout et le montre crûment. Ce ne sont que membres arrachés, yeux crevés, paupières découpées, os brisés et les descriptions trop précises (y compris les nombreuses relations homo), loin de susciter l’angoisse, frôlent parfois le ridicule et donneraient plutôt à rire.
Comme le disait Talleyrand « Tout ce qui est excessif est insignifiant »
La multiplication des narrateurs et la chronologie éclatée, tant vantées par les critiques, ne suffisent pas à faire de ce roman un chef-d’œuvre à la Vargas Llosa mais elles compliquent inutilement un récit besogneux et beaucoup trop long.
Les descriptions longuettes de la vie quotidienne de Gaspar et de ses amis présentent un intérêt mitigé dans un style très -trop- familier (J’ai relevé ici et là quelques expressions du type qui hérissent le poil comme « il demanda après l’infirmière »).
Encore un mot...
Je suis étonnée du nombre de critiques dithyrambiques suscitées par ce livre, certains n’hésitant pas à évoquer Borges à son propos. Pour moi, Mme Mariana Enriquez est aussi proche de Jorge.Luis Borges que Barbara Cartland l’est de Shakespeare.
Une phrase
( Sa grand-mère, grande prêtresse de l’Ordre, parle à Gaspar :)
Un médium a trop de responsabilités, ils sont tous dangereux, deviennent tous fous (…) Ce que cherche l’Ordre et ce que tu pourrais nous donner, ce que tu vas nous donner puisqu’on t’y obligera, c’est l’immortalité (…) Le terme exact c’est « retenir la conscience en vie ». On y parvient, comme l’a dicté l’Obscurité en la transférant d’un corps à un autre. (p.732)
L'auteur
Née en Argentine en 1973 d’un père ingénieur et d'une mère médecin, Mariana Enriquez est écrivain et journaliste. Après des études supérieures à l’université de La Plata, elle dirige Radar, le supplément culturel du journal Página.
Elle a publié cinq romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles "Ce que nous avons perdu dans le feu » traduit en français en 2018.
Elle vient de recevoir le prix Herralde pour « Notre part de nuit »
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