Nord sentinelle. Le Conte de l’Indigène et du Voyageur
Parution le 21 août 2024
140 pages,
17,80 euros
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Thème
Alexandre poignarde à plusieurs reprises Alban sur le quai d’une station balnéaire que l’on imagine en Corse, au milieu d’une foule compacte de touristes davantage préoccupés à filmer la scène que de prendre sans doute immédiatement conscience de l’horreur de la situation.
Alexandre et Alban se connaissent pourtant depuis l’enfance, le premier pour vivre dans cette région, le second pour en jouir le temps des vacances dans la résidence d’été de ses parents fortunés.
Un événement plus que futile est à l’origine du drame mais survient au décours d’un processus lent et inéluctable de glissement de leur relation amicale vers une distanciation, reflet d’une dégradation sociétale polymorphe.
Alexandre est le rejeton d’une lignée familiale au profil trouble, héritant d’un capital moral réduit à sa plus simple expression et ne déméritant pas d’ancêtres assassins, proxénètes, exploitants véreux ou autres promoteurs d’activités juteuses...
Alban, suivant l’exemple de ses parents, est étudiant en médecine et adhère pleinement au modèle social qui lui est proposé, entraînant dans son sillage une petite amie d’extraction beaucoup plus modeste.
Le narrateur, ami du père de l’agresseur, apporte autour de ce drame, un regard sur l’évolution du monde, sur la place de l’individu, sur le mal-être profond devant la difficulté voire l’impossibilité de devenir ce qui souvent reste un rêve, et plus prosaïquement sur une déstructuration du lien aux autres et à la nature...
Points forts
Jérôme Ferrari nous offre un texte d’une densité littéraire rare.
Tant par son ampleur stylistique que par l’explosion des thèmes abordés, nombreux, divers, actuels, mêlant une culture inspirée de ses origines corses et de sa formation de philosophe et une acuité visuelle sombrement réaliste mais trempant régulièrement dans un propos plein d’humour.
Tour à tour, il évoque le désastre annoncé d’un tourisme de masse, d’une inculture globale déplorable, d’un abrutissement progressif d’une jeunesse sans désir, d’une atteinte de la nature, en bref, d’une consomption civilisationnelle inexorable.
Face à ce qu’il faut bien appeler un chaos en marche, la tentative de s’arracher de ce bouillonnement demande une volonté de chaque instant, dont l’accomplissement en regard de la facilité à se laisser emporter par le courant relève d’une force que seule sans doute la main d’un dieu quelconque ou le souffle d’un esprit surnaturel pourrait façonner.
Le roman prend corps avec un ciment modelé par des idées rappelant Schopenhauer- le bonheur est inaccessible- ou Houellebecq- la décadence est en cours !
Quelques réserves
Le défaitisme peut-il encore laisser la place à une lueur quelconque ?
Le texte de Jérôme Ferrari est assez noir, même si l’on rit à de nombreuses reprises.
Ce regard “ferrarien” sur le monde peut laisser un goût amer et si ce livre vient conforter la prédiction de saint- Augustin dans son sermon sur la chute de Rome, augurant de la disparition inévitable de toute civilisation en dépit de son ambitieuse intelligence et de sa propre assurance, alors seule la philosophie - et l’auteur ne nous contredira pas - doit nous guider !
Faut-il pour autant se laisser étouffer par un pessimisme ambiant ?
Encore un mot...
144 pages où, dans une écriture dont la représentation picturale serait un mélange de cubisme et de pointillisme, J.Ferrari nous emmène dans un monde agglomérant des histoires familiales en opposition, une intervention divine ou para-divine autorisant un regard sur la beauté environnante, la déception de l’autre et de soi, la violence ordinaire, un univers que l’homme, dans sa bêtise augmentée, détruit davantage chaque jour.
Cela doit-il induire le repli sur soi et, à l’extrême du raisonnement, renoncer à tout lien, à l’image de North Sentinel, cette île minuscule du golfe du Bengale sur laquelle tout individu y posant le pied n’en est jamais revenu ?
Une phrase
- « Les Romani [famille d’Alexandre] traversaient tous l’existence avec la douce certitude d’appartenir, depuis des temps immémoriaux, à une race élue de seigneurs. » Page 18
- « Et nul besoin de démons quand certains damnés ne demandent pas mieux que d’en faire eux-mêmes office. » Page 44
- « J’ai vu les sables du désert, ... , à l’heure où l’on croirait deviner la présence de Dieu dans la beauté du monde ». Page 125
L'auteur
Jérôme Ferrari est né à Paris en 1968 de parents corses.
Diplômé de philosophie et d’ethnologie, il a enseigné la philosophie en Corse, à
Alger et à Abou Dabi. Il a obtenu en 2012 le prix Goncourt pour son roman Le sermon sur la chute de Rome et divers autres prix pour ses romans tous publiés chez Actes Sud.
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