Mon Traître
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Thème
Un jour de décembre 2006, Antoine achète le journal. Il l’ouvre. Il tombe. 30 ans de vie viennent de s’abattre sur lui, ébranlés par la nouvelle qui s’affiche en pleine page : « Un traître au sein de l’IRA ! ».
En 1974, Antoine est trentenaire, célibataire, solitaire. Il s’est installé comme luthier et cherche un sens à sa vie. Il rencontre l’Irlande. D’abord, grâce à la photographie d’un homme à col rond, James Connolly, un des leaders de l’insurrection de la Pâques Sanglante de 1916. Ensuite, grâce à la générosité de Jim et Cathy, qui l’invitent à boire le thé après l’avoir croisé sur un trottoir de Belfast. Parce qu’il avait montré son violon à des enfants. Parce qu’il était « le bienvenu. Comme ça. Le bienvenu pour rien. Juste le bienvenu. » Enfin, grâce à sa rencontre avec Tyrone Meehan, un « de ceux que célèbrent les chansons rebelles ».
A compter de ce jour, Antoine se partagera entre le secret de son atelier où il (re)donne vie aux violons et celui de son soutien à ses amis indépendantistes de l’IRA dans leur combat pour une Irlande libre.
Points forts
Mon Traître nous emmène en Irlande, l’île de Dublin, des lacs de Killarney qui, si l’on en croit Lester Cockney (de Franz, éd. Le Lombard, 1982-1996), « sont les plus beaux du monde », des à-pics vertigineux du Ring of Kerry, des pierres plates du Burren, des champs de pierre des îles d’Aran, des routes sans fins du Connemara. Une île « d’Homme Tranquille » (John Ford, 1952), de poètes et de musiciens. Mais aussi une île de souffrance, de pauvreté, d’exil ; une île coupée en deux depuis la première indépendance ; l’île du Nord et de Belfast, de l’occupation britannique, de l’IRA, de la guerre civile et de la violence. A ce sujet courez (re)voir le superbe Michael Collins de Neil Jordan, sorti en 1996, et (re)plongez-vous dans Les Celtiques, Hugo Pratt, 1980, éd. Castermann.
Mon Traître est une ode à l’amitié masculine. Une amitié silencieuse, où le poids d’une main posée sur une épaule en dit bien plus, mais également bien moins, que des mots souvent espérés mais trop souvent tus. En raison de la malhabileté des hommes à dire les mots d’amour et de sentiments. Et quand rarement ils s’y risquent, souvent à voix basse, il faut discrètement tendre l’oreille. Une amitié avare de mots, capable de commencer dans les toilettes d’un pub enfumé pour durer toute une vie.
Mon Traître met également en lumière la difficulté du retour à une vie normale pour les combattants de l’IRA. Ceux à qui la lutte armée conféra pouvoir, prestige, autorité, se retrouvent simples chômeurs une fois la paix revenue. Comment redevenir un homme parmi les hommes et donner un sens à un quotidien moins intense et probablement décevant ? On pense au formidable Capitaine Conan de Bertrand Tavernier, sorti en 1995. Philippe Torreton y incarne un cabaretier «révélé, élevé» par la guerre et qui, rendu à son état initial une fois le conflit terminé, sombre dans un alcoolisme dépressif et suicidaire.
Quelques réserves
L’histoire était belle. Le casting impeccable. On aurait aimé qu’elle se termine bien… Et on en veut presque à l’auteur de ne pas nous entretenir jusqu’au bout dans cet espoir un peu fou et terriblement naïf.
Encore un mot...
Mon Traître nous pose une première question : celle de l’engagement et de la résistance. Pourquoi s’engager ? Pourquoi résister ? Pourquoi considérer « qu’il est juste et bon que des hommes se battent pour [une] terre » ? Où trouver le courage pour le faire ? Malgré la peur, la solitude, la violence.
Willsdorff, le héros du Crabe Tambour de Pierre Schoendoerffer, éd. Grasset, 1976, postulait que « [l]’intelligence n’est pas autre chose qu’un certain nombre de bols de riz par jour. Le courage aussi. » Pour d’autres hommes, résister c’était se raser tous les jours, quoi qu’il arrive. Alors, pourquoi certains renoncent et d’autres pas ? Que penser d’un homme qui a combattu puis trahi ?
Celui qui n’a pas franchi ce pas, celui-là peut-il même s’arroger le droit de juger ? Ce qui renvoie à la deuxième question posée par Mon Traître : Et moi ? A sa place, qu’aurais-je fait ? Restée sans réponse, son écho ne cesse de résonner une fois l’album refermé sur un sanglot difficilement contenu.
Une phrase
« J’ai merdé, fils. J’ai fait ce que j’ai fait et cela m’appartient. Personne ne nait tout à fait salaud, petit français. Mais on en a tous un bien planqué dans notre ventre. Le salaud, c’est parfois un gars formidable qui renonce. Et maintenant, il va falloir te battre contre le tien, petit français. Celui que tu nous caches. Autrement tu vas merder comme moi. Tu vas finir comme moi. Et tu vas mourir comme moi. »
L'auteur
Né en 1970, Pierre Alary bénéficie de l’enseignement de l’école graphique des Gobelins à Paris avant de consacrer les dix premières années de sa carrière à l’animation au sein des studios Disney. Il se dédie ensuite à la BD dont l’aventure démarre réellement avec la série « Griffin Dark », éd. Vents d’Ouest, sur un scénario de Crisse.
En 2001, paraît le tome 1 des « Échaudeurs des Ténèbres », éd. Soleil. Il produit ensuite les séries Belladonne (2004-2007, éd. Soleil) et Sinbad (2008-2010, éd. Soleil). En 2013, il lance aux éditions Glénat la série Silas Corey avec Fabien Nury au scénario. En 2014, il met en images l'adaptation de Moby Dick sur un scénario d'Olivier Jouvray pour la collection Noctambule des éditions Soleil.
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