Mississippi solo

Le souffle d’une captivante odyssée fluviale. Au terme de ce périple, on a du mal à quitter le Mississippi et son imaginaire
De
Eddy L. Harris
Traduit de l’anglais (Etats Unis) par Pascale-Marie Deschamps -
Editions Liana Lévi -
334 pages - 20 euros
Notre recommandation
5/5

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Thème

Cette bible du voyage en canoë, publiée en 1998 aux États Unis a attendu vingt-deux ans pour être publiée en France, le nouveau pays de résidence de l’auteur. L’intrigue est simple : un jeune intellectuel noir, après sept années d’échec comme écrivain en devenir, cède à l’appel du fleuve Mississippi qui l’a vu grandir. Entre l’Old Man River et lui, se tisse, au gré d’une navigation tumultueuse de 4 000 kilomètres, une grande histoire d’amour. Caché derrière cette histoire, il y a un grand hymne à la vie où mènent la plupart des chemins.

Points forts

Je vois deux types d’auteurs : les circulaires et les linéaires. Les histoires des premiers tournent plus ou moins en rond pour ramener le lecteur à son point de départ, que l’affaire se termine, d’ailleurs, bien ou mal. Les seconds, les linéaires comme ici, font voyager du point A au point B ou vers un autre pris dans le désordre de l’alphabet, n’en sortent jamais les mêmes.

Adepte des voyages, en Afrique, à moto, Eddy Harris commence par s’évader de sa vie d’avant par un fleuve, le légendaire Mississippi de Mark Twain. LE fleuve sans rival. Fleuve frontière, blanc au nord et noir au sud, fleuve fondateur, fleuve nourricier, fleuve absolu de l’imaginaire américain. De sa source silencieuse dans le Minnesota à son embouchure encombrée, près de la Nouvelle Orléans, ce géant des eaux mène l’auteur à la dure. Il ne lui épargne rien de ses orages, de ses humeurs et de ses débordements. Tantôt calme et généreux, tantôt hostile et déchaîné, son cours large ou resserré, vide ou saturé, révèle au navigateur novice les rudiments de la survie face au vent, de l’habileté dans les remous, de la rencontre avec des bateliers rudes mais accueillants et des riverains curieux, sans le racisme qu’il craignait tant. Les amitiés nouées dans les ports, les bivouacs sous le froid ou la pluie, la fatigue, la douleur, la peur fréquente vont révéler l’auteur à lui-même et contrarier jusqu’au bout son envie de s’arrêter.

Dans un style fort, profond et imagé, la plume d’Eddy Harris lance son frêle canoë dans une course avec sa quête et lie son sort au destin du fleuve qui l’a adopté. Avec l’auteur, c’est toute l’histoire d’un pays qui rame dans le courant brutal, contre le vent adverse, sous la tornade, en compagnie des étoiles complices de ses nuits silencieuses et inquiètes.

Quelques réserves

Je les ai cherchés, pas très longtemps, je le reconnais ; mais je n’en ai pas trouvé qui méritent d’être dénoncés chez cet américain qui ne sait pas mentir.

Encore un mot...

Paraphrasant le général Frère, héros de la Résistance, Eddy L. Harris « écrit d’amitié ».  Dans le mystère éprouvant de la fruste navigation à rame, cet amateur courageux s’en sort bien : épuisé, heureux, éclairé par ses découvertes quotidiennes au fil d’une eau puissante et ombrageuse. Il a réalisé un rêve à la fois modeste et immense. De l’amont étroit à l’aval éclaté du delta du Mississipi, l’auteur nous transporte vers les berges convoitées, les falaises abruptes, les écluses encombrées, visiter des villes fantômes, bivouaquer à la hâte des nuits trempées, s’abriter au milieu disputé du milieu du fleuve. Le « cœur net », il le quitte quand son frère aîné lui envoie son congé. Ce livre va au-delà de ses seules intentions ; il ferait un bon guide pour les temps difficiles et cette descente vaut les plus belles ascensions. Au terme de ce périple, le lecteur a, lui aussi, du mal à quitter ce fleuve et son imaginaire. Et rien ne vaut une bonne chronique pour saluer bas l’auteur.

Une phrase

“ Flotter, laisser le fleuve m’abandonner n’importe où, puis me reprendre et m’emporter.
Tu sais combien il y a de noirs au Minnesota ? Six à tout casser.
Je le savais, la beauté vaut toujours la peine.
Ils ont réduit le fleuve en esclavage.
C’était bien de se retrouver seul, c’est ce qu’il y a de plus sûr.
Plus qu’un fleuve, moins qu’un Dieu.
Je suis davantage que noir et toute mon attitude l’exprime.
Le fleuve coulait en silence comme un secret.”

L'auteur

Né à Indianapolis en 1956, Eddy L. Harris est poussé par son père à faire des études. Après la Stanford University, il entreprend la descente du Mississipi en canoë. Son premier livre, tiré de cette aventure, Mississipi solo, est publié en 1996 et salué par la critique et le grand public. Inspiré par John Steinbeck, Truman Capote et James Baldwin, marqué par la question de l’identité afro-américaine, il a publié ensuite Harlem (2005), Jupiter et moi (2007) notamment. Ayant choisi la France comme point d’ancrage Paris en noir et black (2009), il a refait récemment ce parcours fluvial (2014) pour les besoins d’un documentaire.

Le clin d'œil d'un libraire

Librairie Fontaine à Apt. Elle inonde tout le Luberon de ses conseils de lecture sur la littérature contemporaine

De Cavaillon à Apt et au-delà, les amoureux du livre et des lectures insolites, Français ou non, résidents ou touristes, aiment à rencontrer un des 4 libraires de la librairie Fontaine. Une seule librairie pour les 12 000 habitants de la bonne ville d’Apt, mais en moyenne près de 150 livres sortent chaque jour des rayons d’un des fleurons de cette belle enseigne qui compte 7 points de vente en France. Sabine Didier, jeune libraire qui a roulé sa bosse de par le monde n’est pas peu fière de nous faire connaître son coup de cœur : « La vie des Reines »  de Joumana Haddad chez Actes Sud, un roman sur fond d’histoires vraies, les heurts et malheurs de quatre femmes en Irak et Syrie en guerre - 18 exemplaires vendus en 3 mois - record national. Sabine illumine ses clients tout comme la célèbre entreprise d’Apt, Blachère, N°1 de sa spécialité, illumine les Champs Elysées chaque Noël. En plein Colorado provençal, 25 000 références attendent les passionnés en quête d’émotions et d’exotisme chez Fontaine. Un détail attachant : dans une vie antérieure, Sabine, militante de la francophonie en Afrique, s’était consacrée, pour la cause, au « désherbage » de certaines bibliothèques pléthoriques de Provence. L’amour du livre mène a tout. Ah ! Si toutes les Sabine des librairies Fontaine pouvaient nous faire découvrir elles-mêmes leurs coups de cœur en direct ? 

Librairie Fontaine, 16 rue des marchands 84400 Apt. 04 90 71 14 03.luberon@librairiesfontaine.com

 

Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour Culture-Tops

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