Maniac
Traduit de l’anglais (Chili) par David Fauquemberg
Parution le 20 octobre 2024
443 pages,
25 €
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Thème
Ce livre commence en 1933 par le suicide de Paul Ehrenfest, physicien autrichien, juif et génial, dont les travaux, avec ceux de son ami Einstein ont contribué au développement de la mécanique quantique permettant la réalisation du " projet Manhattan " à l'origine de la première bombe atomique américaine et de l'incroyable bond en avant de la science au beau milieu du vingtième siècle.
Il se poursuit par la vie romancée et racontée par ceux qui l'ont bien connu, de Johnny Von Neumann, alias Neumann János Lanos, mathématicien et physicien hongrois émigré aux Etats Unis et naturalisé en 1937, dont l'auteur nous dit qu'il “fut l'humain le plus intelligent du XX ème siècle ".
Il apporta une contribution déterminante au projet Manhattan et surtout permit, grâce à des calculs à la complexité inimaginable réalisés avec des machines de plus en plus puissantes, le développement de la bombe H puis de l'intelligence artificielle qu'il commença à marier avec la biologie pour imaginer une machine auto-réplicative capable de se reproduire sans intervention de l'homme.
Le titre du livre MANIAC est un acronyme signifiant qui évoque le nom réel du premier calculateur électronique utilisé et développé par Von Neumann, ENIAC.
La dernière partie montre le déploiement de ces machines démoniaques pour terrasser les plus grands maîtres des échecs et du jeu de Go.
Ce qui permet au lecteur de refermer la dernière page de cette saga en s'interrogeant profondément sur l'intrusion de l'IA aujourd'hui dans de plus en plus nombreux secteurs de la vie des hommes, pour le meilleur et pour le pire.
Points forts
Ce roman, très proche de l'histoire vraie de ses personnages historiques, nous permet d'entrouvrir la porte de l'extrême intelligence qui conduit ceux qui la possèdent à la dépression et à la folie au plus profond d'une époque particulièrement dangereuse pour l'humanité.
Un peu comme si le summum de la connaissance ne pouvait conduire qu'à l'enfer.
On est frappé aussi de voir que l'Europe de l'Est a produit autant de savants géniaux, très souvent juifs.La deuxième partie du roman, qui met en scène Von Neumann, est la plus importante. Elle montre un scientifique tellement passionné par la connaissance presque surnaturelle qu'il acquiert avec ses calculs déments qu'il n'est effleuré, contrairement à Einstein notamment, par aucune considération d'éthique ou de philosophie.
C'est en cela que le roman fait peur.
Surtout avec le mariage de la mécanique quantique et de la biologie auquel Von Neumann se livre au seuil même de sa mort, pour annoncer un futur terrifiant où la machine prendra ni plus ni moins la place de l'homme sur la terre et au-delà...La fin du roman raconte d'une manière passionnante les parties au cours desquelles l'intelligence artificielle a terrassé successivement les plus grands maîtres du jeu d'échecs, notamment Kasparov, et ceux du jeu de Go pourtant nettement plus compliqué et créatif.
Quelques réserves
style peu littéraire, un peu lourd où les considérations scientifico-philosophiques sont parfois indigestes pour le commun des mortels.
Par ailleurs, le choix de raconter l'histoire par le truchement des proches des personnages fait souvent perdre le fil au lecteur faute que soit rappelé, en tête de chapitre, avec le nom de l'intervenant, ses qualités et ses liens avec le personnage.
Encore un mot...
Un roman, très proche de l'histoire réelle, qui raconte la vie de scientifiques géniaux au 20ème siècle, et particulièrement de John Von Neumann, dont les travaux mathématiques et physiques ont permis l'utilisation de l'atome pour le meilleur et le pire de l'humanité ainsi que, aujourd'hui, le développement de l'intelligence artificielle.
Une phrase
" ils nous avaient donné des lunettes de soudeur pour nous protéger de l'éclat de l'explosion. Cette lumière pouvait vous rendre aveugle. Mais moi, je n'y croyais pas. Je me disais qu'à plus de trente kilomètres de distance, je n'allais rien voir du tout à travers ces lunettes noires !
...Je me disais qu'ainsi, sans rien risquer, je pourrai voir ce foutu truc.Bon sang, quelle erreur de calcul ! On n'avait jamais vu un éclat pareil. Quand il m'a frappé, j'étais persuadé d'avoir perdu la vue. Pendant cette première fraction de seconde, je n'ai plus vu que de la lumière, une lumière blanche phénoménale qui m'a rempli les yeux et anéanti le cerveau, un atroce éclat opaque qui avait effacé le monde tout entier. L'énormité de cette lumière était indescriptible, elle ne m'a pas laissé le temps de réagir. J'ai brusquement basculé la tête en arrière et détourné le regard, et là, j'ai vu toutes les crêtes des montagnes s'illuminer de couleurs fulgurantes, de teintes dorées, pourpres, violettes, grises et bleues, chaque pic, chaque ravine éclairés avec une clarté et une beauté qu'il faut avoir vues, car elles sont inimaginables. Alors que je tâtonnais partout dans la cabine du camion, cherchant mes lunettes de soudeur, j'ai senti autre chose, et je n'ai pas tout de suite compris de quoi il pouvait bien s'agir : une immense chaleur sur ma peau, alors qu'il avait fait si froid l'instant d'avant, une chaleur comme celle du soleil de midi irradiant tout mon corps. Mais ce n'était pas le soleil, puisqu'il était cinq heures du matin - cinq heures vingt-neuf et quarante-cinq secondes, pour être exact. C'était la chaleur de la bombe. " p.162
L'auteur
Benjamín Labatut est né à Rotterdam en 1980. Il a vécu à La Haye, Buenos Aires et Santiago du Chili.
Toujours intéressé par l'histoire des sciences, il a rencontré un succès mondial avec son précédent roman Lumières aveugles ( Seuil, 2020 ) qui le fait considérer comme un prodige de la littérature contemporaine.
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