Infos & réservation
Thème
Première image, premières lignes, premiers mots sans majuscules : sur un lit de l'hôpital général (baptisé « le dépotoir ») de Port-au-Prince, un homme se réveille. Il est menotté. C'est un 1er avril, ce n'est pas un canular. « Des dizaines de corps sont affalés pêle-mêle sur des matelas crevés, sur des civières, ou à même le sol crade, jonché de chiffons sanguinolents et couverts de mouches. d'autres suivent. ça déferle jour et nuit. une marée humaine. on dirait que c'est tout le pays qui est frappé par une sale épidémie. depuis des mois, des années, les médecins observent une grève manche longue »... L'homme qui dit s'appeler Poto raconte à son voisin comment il est arrivé là, sur ce lit. Maladie chronique- comme cette maladie qui frappe son pays, Haïti, depuis tant et tant d'années. Poto se souvient:
"Marie Élitha Démosthène Laguerre, la mère, n'adresse jamais la parole à son gamin, dans la maison l'une et l'autre restent dans sa chambre. La mère est accro à la colle qu'elle sniffe quasi en permanence, elle parle aux fantômes qu'elle suit la nuit dans Port-au-Prince et aux démons auxquels elle tente d'échapper en hurlant.
De père inconnu, Poto, lui, a trouvé à qui parler : elle s'appelle Grann Julienne, une « vieille dame aux allures pittoresques vivant retirée, loin de tout » (existe-elle vraiment ? est-elle juste une illusion, un personnage en rêve ?) et qui sait raconter les histoires. Il lui demande ce qu'est un tonton macoute (la garde rapprochée du président au temps de la dictature en Haïti), elle répond non pas « un assassin » mais « c'est le double maléfique du cousin Zaka. où il passe il fauche tout, des vies et des biens, qu'il glisse dans son makout (NDLR : dans sa sacoche) ». A la question « c'est qui Maître-Minuit ? », elle dit : « c'est un homme qui reste debout, avance toujours, quoi qu'il arrive ». Et puis, Poto a un don : il rêve sa vie, se la raconte et la dessine. Un jour, il part, ses dessins dans son sac à dos. Il se fait passer pour fou pour qu'on le laisse tranquille. Il vit de petits vols et de jongleries. Jusqu'au moment où il accepte la protection d'un tueur à gages qui bosse pour la dictature... Ainsi, Poto va apprendre la vie en marchant"...
Points forts
-Un roman du chaos permanent, de l'apocalypse banalisée.
-Une écriture puissante, toute en minuscules et dialogues au kilomètre...
-Le beau personnage de Maître-Minuit, ce géant haïtien que la légende présente comme un homme debout, avançant toujours et malgré tout.
-Avec « Maître-Minuit », Makenzy Orcel est passé à un personnage principal masculin après, dans ses précédents textes (« Les Latrines », « Les Immortelles » ou encore « L'Ombre animale »), s'être attaché à des personnages féminins. Il s'en sort avec un talent et une grâce parfaits.
Quelques réserves
Une lecture qui, pour certains, ne sera pas de tout repos, par la multitude des sujets abordés et l'atmosphère suffocante...
Encore un mot...
Un roman suffocant, envoûtant, enivrant .
Un bonheur de lecture offert par un des grands auteurs de la littérature haïtienne contemporaine.
Une phrase
- «je me suis mis à dessiner, pas avec la prétention de celui qui sait déjà qu'il va y arriver, accomplir quelque chose qui serait reconnu des autres, mais avec tout ce qu'il faut d'ombre et de lumière pour accompagner une idée de sa germination à son apothéose, avec cette foule d'inconnus qui nous habite tous. un accident qu'on voudrait beau, en y prenant du plaisir. et grâce à ce processus de création requérant de la constance et de la patience, ma colère avait de quoi cogner : la vérité"
- "il m'a toujours semblé que le but de tout art est de s'opposer à la vérité, saisir l'advenu."
-"chaque dessin terminé en appelait un autre. fleuve frénétique, ça s'enchaînait, comme si je portais en moi tous les rêves, toutes les angoisses du monde"..
L'auteur
Né le18 septembre 1983 à Port-au-Prince (Haïti), Makenzy Orcel est un écrivain haïtien. Après des études de linguistique, il quitte l'université et se consacre à l'écriture. Il publie son premier roman, « La Douleur de l'étreinte » en 2007, et s'impose très rapidement comme un des auteurs essentiels en Haïti. Parmi ses romans suivants, « Les Immortelles » (2010) qui donne la parole à une prostituée, ou encore « Les Latrines » (2011) qui explore les bas-fonds dans le dédale des bidonvilles de Port-au-Prince. En 2018, il publie ce 11ème livre, « Maître-Minuit ».
Parmi ses distinctions et récompenses, en 2012 le Prix de littérature d'expression française décerné par le groupe de réflexion et d'action pour une Haïti nouvelle (GRAHN-Monde), et en 2017 la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres de la République française.
Ajouter un commentaire