L’imposture

Accroche Une féministe proche de la scène littéraire se passionne pour un procès retentissant dans l’Angleterre victorienne. Un récit dont la tension s’essouffle parfois.
De
Zadie Smith
Gallimard
Traduction de Laetitia Devaux
Parution le 16 mai 2024
544 pages
24,50 euros
Notre recommandation
2/5

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Thème

L’Imposture est un roman historique inspiré d’une histoire vraie : le procès Tichborne qui a passionné l’Angleterre dans les années 1870. Un personnage se faisant appeler Sir Roger Tichborne réapparaît à la suite d’un naufrage en mer et réclame son héritage. Un long procès statuera sur son sort. Avec Mrs Eliza Touchet comme guide, le lecteur est immergé dans le contexte du procès mais également dans celui des quarante années de l’Angleterre victorienne qui l’ont précédé. Eliza est un personnage en partie fantasmagorique. Écossaise, catholique, elle est la cousine par alliance de William Ainsworth (1805-1882), un écrivain prolifique et largement oublié depuis, ami et rival de Dickens. Veuve, hébergée par son cousin et pensionnée par lui, un temps sa maîtresse, elle est sa secrétaire, sa confidente et la tutrice de ses enfants. 

Points forts

L’Imposture est d’abord une plongée savoureuse dans la scène littéraire anglaise de l’ère victorienne. A travers le regard lucide et désabusé de Mrs Touchet, on y croise l’élite de la littérature nationale. La profession n’est pas reluisante. On se flatte, on se pousse du col, on intrigue. Ainsi Ainsworth qui déclare modestement à propos de lui-même « je crois bien qu’on a parlé du ‘Victor Hugo anglais’ ». Les femmes sont absentes de cette scène littéraire, à l’exception de Lady Blessington, une sorte d’aventurière pittoresque qui a eu l’heur de croiser Byron dans sa jeunesse. 

L'auteure rend le personnage de Mrs Touchet très attachant. Eliza est dotée d’une solide sens de l’humour, détecte à merveille les travers et ressorts de chacun de ces coqs littéraires. Elle ne peut être longtemps indulgente avec l’œuvre de son cousin. Trop de verbiage, trop de héros perchés dans une Angleterre médiévale idéalisée, trop d’emprunts faciles à des scènes de la famille Ainsworth ou à la personne de Mrs Touchet même. Au plus près du terrain, Eliza développe une vision éclairante et désenchantée du processus de la création littéraire, qui s’apparente souvent à une production de masse. Comment durer en littérature ? Comment articuler création artistique et situation matérielle décente pour la famille ? Progressiste, féministe, abolitionniste, Eliza se sent étrangère au monde du progrès vanté par Dickens qu’elle juge cynique. Elle préfère la loi à ce “pari hasardeux de compter sur l’hospitalité de la classe chrétienne pour améliorer le sort des pauvres”. Au fond, le héros littéraire d’Eliza serait davantage Zola que Dickens. 

Eliza, c’est un destin non accompli d’écrivaine, qu’elle n’a pas su déployer comme d’autres grandes autrices avant et après elle. 

Quelques réserves

Zadie Smith a certainement gâché le matériau littéraire de premier choix que constitue le procès. Les ressorts et les termes de l’imposture sont à peine explorés. Pourquoi cet événement a-t-il tant polarisé la société anglaise de l’époque ? Ni le procès, ni ses protagonistes ne suscitent vraiment la curiosité du lecteur. On se perd dans les arcanes de l’histoire familiale des Tichborne. L’auteur n’a pas donné vraiment chair au personnage qui se fait passer pour Sir Roger. Et pourquoi Bogle, l’ancien esclave jamaïcain, défend-il si ardemment ce personnage ? 

Ces défauts sont accentués par la construction de l’histoire. Zadie Smith abuse de courts flashbacks, souvent sans rapport avec la trame narrative et qui réduisent à néant la tension du récit du procès.

Finalement Z. Smith a couru trop de lièvres à la fois (les milieux littéraires anglais, l’abolition de l’esclavage et ses répercussions sociales en Angleterre, le procès Tichborne) sans parvenir à faire du personnage d’Eliza un lien fonctionnel entre eux. Elle y a ajouté de la frustration en suggérant seulement une idylle entre Eliza et Frances, la première femme de l’écrivain. 

Encore un mot...

Le récit du destin de la féministe libre au regard désabusé est plus convaincant que l’exploration ratée de cette imposture.

Une phrase

  • « Les romans se font certes avec de vieux chiffons et des vérités volées. Mais cette pratique avait fini par lasser Eliza au point de la dégoûter. » (p.90)

  • « Que Dieu me préserve de l’écriture de romans, pensa Mrs Touchet. Que Dieu me préserve d’un péché mignon si abominable, d’une vanité si stérile et d’un tel aveuglement ! » (p.431)

  • « Mais ç'avait été plus fort qu’elle : elle avait voulu vivre ! Bien qu’elle ait toujours su, depuis sa plus tendre enfance, que ce désir n’était pas une aspiration correcte pour une femme, que ce n’était même pas pieux […] Eliza Touchet avait vécu pour une idée : la liberté » (p.538)

L'auteur

Née d’une mère jamaïcaine en 1975, Zadie Smith est une romancière, essayiste, enseignante et critique littéraire britannique. Elle est notamment l’auteur de romans (traduits en français et édités par Gallimard) :

  • Sourires de loup (2001) 
  • L'Homme à l'autographe (2005)
  • De la beauté (2007) 
  • Ceux du Nord-Ouest (2014)
  • Swing Time (2016)

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