L'HOMME QUI PLEURE DE RIRE
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Thème
Attaque en règle contre le sarcasme, le rire, l'humour à tout prix qui règnent dans les média d'aujourd'hui ou plutôt d'hier ! Il y a, en effet, un peu de provocation à donner à lire, en cette période de confinement, un ouvrage qui joue sur la décadence des mœurs et les frasques noctambulesques d'un auteur-publicitaire animateur de radio qui défraye la chronique - c'est le mot - depuis 20 ans. A moins que l'on ne trouve dans ce dernier volet d'une trilogie sur la faune médiatico- politique de notre époque, matière à prendre du recul en constatant la vacuité d'une société en voie de disparition ; comme dit l'autre, "mieux vaut en rire avant que d'avoir à en pleurer" et ici on va en trouver l'occasion, effectivement.
Après avoir brocardé le monde de la publicité, radiographié la marchandisation de la beauté féminine, le héros, Octave Parango, alias Frédéric Beigbeder, s'en prend à la dictature du rire qui sévit dans le monde audiovisuel, à la radio notamment, et sur France Publique en particulier, son nouveau terrain de jeu. Il connaît la musique car il y anime une séquence de 3 minutes dans la tranche matinale (trop pour lui sans doute) de 8 h 55. La directrice des programmes, Françoise Bachelot (!) sous l'autorité d'un très séduisant Président (on nous rappelle au passage, fake news ou pas, qu'il a séduit un autre Président, le plus" haut") voulant redresser l'audience en berne de la première station de la maison, fondait tous ses espoirs sur l'insolente faconde de son nouveau et turbulent chroniqueur : " Soyez Dadaïste, dites ce qu'il vous passe par la tête, vous avez du mauvais esprit, c'est ça qui nous manque, votre snobisme décalé, votre dandysme littéraire, bienvenue chez les fous !". Au début, tout se passe bien, l'humour impertinent d'enfant gâté d'Octave fait fureur en direct et puis, chassez le naturel... Après une nuit blanche un peu chargée, et son errance de boîte en boîte, notre animateur ne sait plus ce qu'il voulait dire, il a perdu son papier... et devient pathétique ; viré sur le champ, sous les rires assassins des autres chroniqueurs (Laura (!) Salamé n'étant pas la moins acide) et toujours en direct. Il écrit alors "L'homme qui pleure de rire"...pour régler ses comptes ; c'est une histoire vécue avec des personnages vrais. Et s'il l'avait fait exprès, ce suicide en direct ? (une vidéo circule sur les réseaux sociaux...)
Points forts
- Beigbeder humoriste :
Saluons, avant tout l'humour délirant de Beigbeder ou plutôt son art de la satire ; ce qui est très fort, c'est que l'auteur pratique l'autodérision puisque qu'il se range lui même, via son héros Octave, dans la catégorie des princes de l'impertinence forcée, sauf que lui prend, sans craindre le politiquement incorrect, la défense de la veuve et de l'orphelin, c'est à dire de tous ceux qui constituent la cible privilégiée des humoristes bien en cour, au premier chef les politiques, puis les artistes, puis les publicitaires et leurs mandants. "Tous mes métiers auraient pu avoir le même nom : illusionniste. J'ai passé ma vie à communiquer, c'est à dire à mentir" confesse Beigbeder. Il y a chez lui du Chamfort et du La Bruyère .
- Beigbeder moraliste :
Beigbeder est un fin observateur des mœurs de notre société bien qu'il feigne de se complaire dans sa futilité et ses vices. C'est son fond de commerce ; un exemple de ce bien vu-bien dit : " L'impossibilité de se défendre sous peine d'être un rabat-joie scrogneugneu est la clé de cette néo-dictature [des humoristes]. Depuis l'attentat de Charlie Hebdo, les caricaturistes sont sanctifiés. Ils ont tous les droits car leur profession est en deuil."
Octave ne supporte plus cette plaisanterie. "Ah, mais ce n'est que de l'humour ; vous n'avez pas d'humour ". C'est comme si, après l'immunité parlementaire, il y a l'immunité humoristique. L'homme des média, dernier représentant parisiano-basque du "people" façon triangle d'or n'a pas sa plume dans sa poche ; au détour de deux ou trois aphorismes, il assène : "Il est absurde de me reprocher mon autodestruction hebdomadaire alors que l'ensemble de l'humanité bousille son environnement quotidiennement. "
- Beigbeder écrivain :
Notre auteur qui rit jaune (le vrai titre du livre est en fait un smiley qui rit aux larmes ) est- il un grand écrivain ? Ce livre, mi roman autobiographique mi essai sociologique, n'en apporte certes pas la preuve. Mais on reste admiratif devant tant de lucidité et une telle acuité mises en œuvre pour débusquer les aliénations contemporaines. Ce règlement de compte est cruel et d'un humour décapant. Derrière une apparente nonchalance et la quête d'une jouissance à tout prix se cachent l'amertume, voire le désespoir d'un homme désenchanté sortant trop tardivement de l'enfance, et devant lequel "tout fout le camp", doucement peut être, mais sûrement.
Quelques réserves
On connait toutes les boîtes à la mode, du quartier des Champs Elysées depuis longtemps, du Baron au Medellin, on finit par être écœuré par les mojitos ; et les créatures sublimes, "sans rien dessous", ne nous émeuvent plus depuis une demi-douzaine de best sellers. De ce côté là, la corde est un peu usée. Heureusement, les capacités de renouvellement de l'auteur de 99 francs sont immenses. On frémit de bonheur quand on apprend que Jean Louis Aubert, répondant à Octave, invité à l'Elysée pour une remise de Légion d'honneur promise à Houellebecq "avait déjà fumé un joint dans les toilettes du Palais avec Coluche. C'était sous Mitterrand ". On a beau aimer la vie des "people", on se demande quand même si...
Encore un mot...
Une autobiographie - à clés - et à peine romancée d'un auteur provocateur et un moment adulé qui nous promène, depuis 20, ans dans le tout-Paris de la nuit ; une satire aigre douce de ce monde médiatique qui nous force à rire de tout et de n'importe quoi. Plus profonde qu'elle n'en a l'air, cette émoticône !
Une phrase
(p.275)
"C'est FOU, QUET'S. Puisque brûler le Fouquet's est plus efficace que quatre décennies de plaisanteries, je décide de fomenter, une fois encore, un attentat, mais radiophonique cette fois, qui sabotera définitivement le totalitarisme des comiques troupiers ; je vais arriver sans texte, je serai le premier chroniqueur sans papier ! Je vais lancer un appel à la grève du rire, à la démission collective et à la décroissance mondiale ; je voudrais décréter un carême de l'humour. 3 minutes de jeûne du hahaha !"
(p. 273)
"Je sors du Medellin. J'ai besoin de respirer du CO 2" "Aujourd'hui la littérature n'a plus d'autre message que : sauve qui peut"
L'auteur
People parmi les people on ne présente plus Frédéric Beigbeder (à ne pas confondre avec son frère Charles, businessman). Rappelons simplement quelques faits divers : 54 ans, homme à femmes, trois épouses (dont une descendante de roi, Diane de Mac Mahon), une ex compagne star, Laura Smet, père de famille, semble aujourd'hui rangé des voitures. Capable de tout : de rédacteur en chef du magazine Lui à animateur TV d'émission éminemment culturelle (Le Cercle) ; champion de l'autodérision et héros des boîtes de nuit parisiennes à l'esprit potache.
Anciennement brillant publicitaire, il écrit en fait depuis 30 ans, souvent pour nous faire rire : Mémoires d'un homme dérangé (1990), Windows on the world, l'Amour dure 3 ans, Oona et Salinger, un Roman français, la trilogie d'Octave Parengo, avec 99 francs, qui a été porté à l'écran, Au secours pardon, et cet Homme qui pleure de rire. Adoubé par ses pairs, il collectionne les prix littéraires (Interallié, Renaudot, Flore...)
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