Leurs enfants après eux

Pourquoi pas l'un des Grands Prix ?
De
Nicolas Mathieu
Editions Actes Sud - 426 pages
Notre recommandation
5/5

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Thème

Anthony, Steph, Clem, Hacine sont dépeints de quatorze ans à vingt ans, au cours de quatre étés de 1992 à 1998 à Heillange (Hayange en Moselle), dans cette zone désindustrialisée, dominée par les silhouettes impressionnantes des hauts fourneaux désaffectés, évocateurs du passé séculaire de la sidérurgie, qui a marqué les générations précédentes. Au chômage ou mal recasés, les anciens ouvriers du fer ressassent leurs souvenirs nostalgiques de cette vie communautaire, où chacun avait sa place, mais ils se montrent incapables de transmettre le moindre repère à leurs enfants, sauf l’alcoolisme. En proie à un mal-être indéfinissable et à une envie de cogner, ces jeunes désenchantés voudraient échapper à une sorte de malédiction qui pèse sur eux, comme s’ils étaient condamnés à suivre l’exemple peu enviable de leurs parents. Ballottés entre leurs soirées alcoolisées, la petite délinquance et leurs désirs amoureux, ils vivent avec une sorte de rage et beaucoup d’humour, tout en sachant  que la seule issue est de quitter les lieux. Fuir ce monde-là exige de l’ambition, du courage, de la volonté et surtout de l’audace pour s’opposer au déterminisme social. Certains réussiront, d’autres reviendront …

Points forts

• Le fil conducteur : une histoire d’amour impossible et touchante entre Anthony et Steph, d’un milieu plus aisé.

• Des portraits d’une vérité criante : Nicolas Mathieu entre dans l’intimité de chacun de ses personnages avec un naturel et une aisance incroyables. La psychologie de ces jeunes est fort bien saisie à travers leurs hésitations, leur manque d’assurance, leurs illusions, leurs déceptions, leurs contradictions et aussi leurs courts moments de bonheur. Leurs dialogues pris sur le vif sont d’un réalisme brut.

• Des situations très diverses, décrites avec autant de sensibilité que d’acuité : aussi bien les rencontres  amoureuses que les confrontations parents-enfants, ou encore les rassemblements populaires.

• Des commentaires d’une drôlerie irrésistible, qui effacent la couleur grise du roman.

• Un style tranchant, parfois très cru.

Quelques réserves

Des lecteurs peuvent être choqués par la liberté du ton et du langage.

Encore un mot...

Nicolas Mathieu nous propose dans ce roman plein de fougue une analyse sociologique remarquable sur ces territoires oubliés, où les fameux déclassés se résignent à subir les effets néfastes de la mondialisation, qui a détruit leur outil de travail. Même si les conditions étaient difficiles, appartenir au monde de la sidérurgie rendait les hommes fiers et unis au sein d’une communauté, dont l’organisation avait un sens, alors que l’individualisation et la séparation sont imposées dorénavant dans la vie professionnelle.

 Le lecteur est littéralement emporté par l’évocation dense, vibrante et tellement juste d’une génération perdue : cet auteur talentueux, sélectionné par plusieurs jurys, mérite vraiment un prix !

Une phrase

« Un siècle durant, les hauts-fourneaux d’Heillange avaient drainé tout ce que la région comptait d’existences, happant d’un même mouvement les êtres, les heures, les matières premières … Anthony la connaissait bien cette histoire … Elle avait sifflé, gémi et brûlé, leur usine, pendant six générations, même la nuit. Et pour finir, il ne restait que ça, des silhouettes rousses, un mur d’enceinte, une grille fermée par un petit cadenas. » p.87-88

L'auteur

Né en 1978 à Epinal, Nicolas Mathieu (licence d’histoire de l’art et maîtrise en cinéma) a vécu à Paris, puis est revenu à Nancy. Il a publié en 2014 "Aux animaux la guerre", qu’Alain Tasma vient d’adapter pour la télévision. 

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