L’espion qui aimait les livres
parution le 7 octobre 2022
240 pages
22 euros
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Thème
Julian est un trader reconverti dans le métier de libraire dans un petit port du Suffolk, sur la côte est de l’Angleterre. Il fait la rencontre d’Edward Avon, peut-être 70 ans, qui se présente comme un ‘universitaire de peu de renom’. « J’ai connu votre père à Oxford » lui annonce Edward ; « Il cherchait Jésus ». Alors qu’Edward et Julian réfléchissent ensemble à l’avenir de la libraire, Edward charge Julian de remettre une lettre à Mary, une mystérieuse maîtresse, près de Liverpool Street, à Londres.
Stewart Proctor, alias Pearson, totalise 25 ans au Foreign Office. Il forme un couple d’espions avec sa femme Ellen, qu’il soupçonne d’adultère avec un séduisant archéologue. Deborah, l’épouse d’Edward, est une brillante ex-analyste au sein du service Moyen-Orient. Elle a pris contact avec Stewart. Mourante, elle soupçonne un problème de sécurité.
Après cette introduction, nécessairement sous forme de teaser, on ajoutera seulement que cette nouvelle histoire d’espions a pour toile de fond la seconde moitié du XXème siècle et plus particulièrement les années 90 et la guerre de Bosnie. Whitehall, ses bureaux encaustiqués, ses espions qui doivent composer avec la règle de droit, Oxford, incontournable quand il est question d’espions, le bourg portuaire et ses figures tutélaires, voilà planté le décor du dernier opus du grand le Carré. L’ancien du MI6 explore avec talent et sur un ton nostalgique les ressorts psychologiques d’une galerie d’hommes et de femmes mus par leurs histoires personnelles et leurs passions, tous patriotes aussi ardents que modestes et tous potentiellement sujets à la défaillance.
Points forts
Dans sa postface , Nick Cornwell, le plus jeune fils de le Carré, insiste bien sur le fait que l’espion qui aimait les livres est un roman non publié et non un roman inachevé. Le lecteur a donc sous les yeux du le Carré en version originale.
L’humour est donc une marque de fabrique de ce récit. Ainsi quand Julian interroge Edward sur la perspective d’un mariage avec sa fille Lily, Edward lui rétorque drôlement « Oh non, mon cher ami, rien d’aussi fatal ».
Le lecteur se délectera aussi de retrouver tout ce qui fait la pâte d’un bon roman de John le Carré. Rien ne vaut sa description de Londres, réduite à ses traits essentiels, celle de ce petit port du Suffolk ou de cette ancienne base de l’OTAN qui respire encore la guerre froide. On jubile à la vue de ces personnages pittoresques qui peuplent le roman : ce couple d’anciens espions, qui a connu ses heures de gloire dans la Station de Belgrade et qui ne décroche jamais tout à fait; Battenby, ce haut fonctionnaire racé du renseignement, un opportuniste dont la carrière a pris de vitesse celle de Proctor ; ou enfin Julian, cet ancien trader qui a tout pour devenir un brillant espion. Et que dire de ces femmes puissantes, courageuses, qu’elles soient ancienne espionne, mère, ou activiste et qui font à l’évidence l’admiration de l’auteur.
Ce dernier livre montre aussi comment le Royaume Uni, la plus vieille démocratie du monde, s’attache, au moins en apparence, à marier le respect de la règle de droit et l’efficacité dans la conduite de la guerre du contre-espionnage, sous le contrôle du pouvoir politique. Un peu à la manière du nuage de lait dans le thé!
On reste séduit par le style d’écriture de l’ancien du MI6. Les phrases sont mises au régime sec. Elles transcrivent l’évocation juste, sans fioritures, ni emphase, dans le style d’un rapport d’un HC (Honorable Correspondant). Comme si la guerre, l’affrontement n’étaient jamais loin. Ainsi cette description de Mary : « Accent peut-être français. Elle tend la main. Bague en saphir à l’annulaire, pas de vernis à ongle ».
Pour finir, on conseillera au lecteur qui n’a pas été suffisamment attentif la première fois, de parcourir de nouveau le texte pour découvrir comment le Carré s’y prend pour parsemer son récit de petits indices qui ensemble font la cohérence de l’histoire et de ses personnages. On voudrait ici ressembler à Edward, ‘l’homme le plus observateur que (Julian) a jamais rencontré ‘ !
Même si l’analyse psychologique l’emporte toujours sur l’action chez le Carré, les dernières pages du livre, jubilatoires, sont dédiées à l’action, mais, à la manière distinguée de l’auteur, c'est-à-dire tout en sobriété et en efficacité.
Quelques réserves
Dépourvus du sens de la nuance raisonnable, les fans de le Carré ne trouveront pas matière à réserve sérieuse dans ce livre ! Peu importe le cadre (la Pologne, la Bosnie et la Palestine ici), cela fonctionne toujours aussi bien à la manière d’un Black et Mortimer, le réalisme en plus !
Encore un mot...
Une histoire d’espionnage sobre et millimétré, teintée de nostalgie, où le service de la patrie compose avec les passions individuelles.
Une phrase
- “ Elle (Lily) se posta ensuite face à Proctor, dont le demi-sourire lui rappelait un vieux prêtre auquel elle était censée confesser ses péchés à l’internat “ (p.8)
- “ Disons que je suis un sang-mêlé britannique à la retraite, un ancien universitaire de peu de renom, un factotum de la vie” (auto-présentation d’Edward p.23)
- “ Comme toutes les familles de ce genre, les Proctor apprenaient dès le berceau que les services secrets constituent le sanctuaire spirituel des classes dirigeantes britanniques” (p.38)
- “ J’ai adhéré toute ma vie aux superstitions de ma tribu, et j’ai l’intention d’être enterrée selon ses rituels “ (p.177)
- “ Les murs étaient joliment lambrissés de loupe d’orme qualité directeur haut gradé, les nœuds noirs ressemblaient à des impacts de balle “ (p.197)
- “ Entra d’un pas large la grande et redoutable Teresa, dans son tailleur noir de cadre sup, portant un dossier ocre à la couverture barrée d’une grande croix verte, le symbole le plus puissant dans le service pour signifier « bas les pattes » “ (p.199)
L'auteur
David John Moore Cornwell, dit John le Carré (1931-2020) a étudié à Oxford avant d’intégrer le Foreign Office pendant cinq ans, puis d’être recruté au sein du Secret Intelligence Service (MI6). Il est devenu un écrivain à succès avec son roman L'Espion qui venait du froid paru en 1964. Sa Trilogie de Karla, qui met en scène George Smiley, s'inscrit dans le contexte de la guerre froide. Ses romans suivants ont comme toile de fond des univers géopolitiques plus contemporains. Parmi son œuvre abondante, on peut citer : Le Miroir aux espions, Robert Laffont, 1965 ; La Taupe, Robert Laffont, coll. « Best-sellers », 1974 ; Les Gens de Smiley, Robert Laffont, coll. « Best-sellers », 1980 ; Un pur espion, Robert Laffont, coll. « Best-sellers », 1986 ; La Maison Russie, Robert Laffont, coll. « Best-sellers », 1989 ; Le Tailleur de Panama, Seuil, 1998 ; La Constance du jardinier, Seuil, 2001; Un homme très recherché, Seuil, 2008 ; et enfin, L'Héritage des espions, Seuil, 2018, et Retour de service, Seuil, 2020, dont les chroniques sont à retrouver ci-dessous :
- L'héritage des espions
- Retour de service
Commentaires
Je le relis aussitôt rien que pour le plaisir de la lecture.
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