Les yeux de Milos
345 pages -
21 €
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Thème
Les « deux phares d’Antibes », Picasso et Nicolas de Staël, enflamment, dès l’enfance, l’imaginaire de Milos. Il est exaspéré par le premier, le Minotaure nain, doublé d’un Satyre, mais épaté par sa vitalité créatrice intarissable. La noble prestance du second, le grand prince des steppes russes, l’impressionne par sa quête d’absolu. Obsédé jusqu’au vertige par l’antagonisme de ces deux peintres, il ne saisit dans sa vie que des reflets, des échos de leur présence. Étudiant en paléontologie, il arpente les musées et effectue plusieurs voyages sur les traces des « êtres hybrides » dans les peintures rupestres des grottes préhistoriques. Il croit y retrouver l’art sauvage de Picasso, jailli de ces scènes primitives à travers leurs arborescences et leur bestiaire chaotique. Touché au plus profond de lui par le destin tragique de Nicolas de Staël, qui se jettera dans le vide à quarante et un ans, il partage avec lui des accès de mélancolie et un désir d’infini. Doté d’un regard bleu au pouvoir foudroyant, Milos suscite l’amour passionné de trois femmes : Marine « harmonieuse et radieuse » aime, comme lui, l’art et les jeux érotiques et elle tente d’apaiser ses tourments ; plus âgée et fort séduisante, Samantha, une spécialiste de Picasso, s’intéresse, pour son malheur, aux proies de l’Ogre andalou et semble obsédée par le fameux été 1937, celui de Guernica ; entre les deux, Vivie, rencontrée à Paris, se montrera aussi élégante que cruelle.
Points forts
• Une magnifique symphonie en bleu, celui des « yeux de l’Azur » de Milos, celui de la Méditerranée, « qui flambe … ce rêve de céruléennes sirènes », celui du regard de Staël et de ses tableaux, un « bleu, (aux) dégradés subtils. »
• Une charge jubilatoire contre Picasso, affublé de surnoms innombrables, de « Cro-Magnon majuscule » à « Zorro nabot », en passant par Ali-Baba, Dagobert ou Barbe-bleue ! Un portrait rageur du « torero bronzé », menteur, manipulateur, calculateur, prédateur, « usurpateur-né », multipliant les caprices et les colères, additionnant les femmes et conservant jalousement le moindre barbouillage. Cependant sa fierté, sa force, son énergie vitale sont admirées à travers son inventivité instinctive et virtuose.
• Dans ce roman sur les pouvoirs du regard, l’académicien déploie, grâce à une érudition prodigieuse, son art de la description, en magnifiant, avec fougue et allégresse, aussi bien la mer, les arbres, les animaux, les créations artistiques, la corrida, que les corps, les rencontres amoureuses ou les rêves.
• Une écriture tourbillonnante, faite de nombreuses énumérations : les mots l’emportent sur la syntaxe de la phrase et se répondent par leurs sonorités.
Quelques réserves
• Les interprétations sexuelles omniprésentes des peintures préhistoriques ou des œuvres de Picasso et les multiples scènes érotiques audacieuses peuvent effaroucher des lecteurs qui ne connaîtraient pas ce choix assumé de l’auteur.
Encore un mot...
Après avoir brillamment opposé Gustave Courbet à Claude Monet, dans son roman très abouti par son ampleur Falaise des fous, en 2018, Patrick Grainville s’adonne une nouvelle fois à sa passion pour la peinture, en s’intéressant ici à Picasso et à Nicolas de Staël, « une figure double, antagoniste et presque sacrée. » Il nous emmène dans son univers flamboyant, parfois halluciné, souvent lyrique, toujours animé du souffle de son style baroque, en illustrant ce qu’il a déclaré à l’Académie française : « Les mots sont la présence, l’arbre de vie, le fleuve intarissable, le paradis retrouvé. Le paradis inventé. Je chante la langue française. Sa luxuriance lucide. »
Une phrase
« Quel ultime regard avait lancé Nicolas de Staël du balcon bleu de l’absolu ? … Là, tout à côté du Picasso joyeux, renaissant, aux avatars intarissables. L’échec du peintre le plus pur. Le suicide de Nicolas. Dans la gueule et le rire du Minotaure. Comme si la corne de la bête était sortie de la cape des eaux étincelantes pour saisir et transpercer le torero slave et perdu de la peinture. » (p.27)
L'auteur
L’œuvre de Patrick Grainville, né en 1947, et élu à l’Académie française en 2018, est considérable. Il obtient le prix Goncourt, à 29 ans, en 1976 pour Les Flamboyants. Il a publié plus d’une vingtaine de romans aux éditions du Seuil, dont La Lisière (1973), L’Atelier du peintre (1988), Colère (1992), Le Lien (1996), Le Baiser de la pieuvre (2010), Bison (2014), Le Démon de la vie (2016), Falaise des fous (2018).
Le clin d'œil d'un libraire
Librairie livres anciens LE FEU FOLLET, à Paris
Directeur fondateur : Pascal Antoine
« Le Feu Follet », petite flamme éternelle du livre rare, dotée de pouvoirs magiques, illumine depuis plus de 20 ans le Boul’Mich à deux pas du Luco (le Jardin du Luxembourg… et du Sénat !). Sis au 31 rue Henri Barbusse et au 121 du Boulevard Saint-Michel, les deux établissements de la librairie éponyme distillent leurs bienfaits aux amoureux du livre ancien, des lettres autographes exceptionnelles, d’incunables ou même d’estampes rares, en provenance des musées, collections privées et fonds culturels du monde entier. Dans ce palais de la culture médiévale et de la culture tout court, officie un personnage passionné et passionnant, Pascal Antoine, qui a roulé sa bosse dans les mines de malachite, pierre semi-précieuse du Haut Katanga (le fameux Shaba de Mobutu), pierre verte de la persuasion très utilisée en litho thérapie, avant qu'il ne retombe, en 1998, dans le creuset de ses amours de jeunesse, le livre.
Ici, présentés par huit libraires (record national pour ce type de librairie) 30 000 livres précieux, depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours, attendent patiemment leurs futurs et heureux propriétaires. Qui dit livres précieux ne veut pas dire forcément livres chers : « Nous proposons des livres rares et des éditions originales de 20 € à 17 000 € (rare en effet !) couvrant 500 ans de l’histoire des idées, de l’impression de la pérennisation de la mémoire écrite » confie Pascal Antoine. Une véritable épopée de la littérature en somme « accessible à tous types de bibliophiles ». Fixons les idées, par curiosité : un grand auteur «moderne» sinon le plus grand ? « Je dirai un Marcel Proust version originale édition limitée, dédicacée à un de ses contemporains : entre 5 000 et 20 000 € (!) en fonction de la dédicace » précise Pascal Antoine. Cela étant dit : « Non, le livre ancien n’est pas un produit de placement, je ne le vois pas comme cela » ajoute-il un peu choqué...et prudent.
On l’aura compris Le Feu Follet est un trésor. Une dernière question : pourquoi ce nom d’enseigne un brin ésotérique : « Un clin d’œil à Drieu la Rochelle ...et à Louis Malle bien sûr ». Mais c’est aussi la reprise d’un thème qui ne doit rien au hasard ! Oui, Antoine prénommé Pascal, entrepreneur dans l’âme a la littérature dans le sang. Comme il le dit joliment : « Je suis toujours à la mine, à la mine des livres » (l’école du même nom, Ecole des Mines, est à deux pas).
Librairie Le Feu Follet, 31 rue Henri Barbusse et 121 bd Saint Michel, Paris 75005. Tel. 01 56 08 08 85
Texte et interview réalisés par Rodolphe de Saint-Hilaire pour Culture-Tops
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