Les soixante-quinze feuillets
Collection blanche, préface de Jean-Yves Tadié, édition de Nathalie Mauriac
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Thème
Laissons à Nathalie Mauriac et à Jean-Yves Tadié l’honneur d’un lever de rideau plus que mérité : les soixante-quinze feuillets –écrit-elle – sont le socle d’A la recherche du temps perdu. Proust les avait soigneusement conservés comme la plupart de ses manuscrits. Il les a écrit entre les premiers mois et l’automne de 1908 et s’est reporté à eux jusqu’en 1912 au moins… Avec leur entrée à la Bibliothèque nationale de France, c’est comme si l’immense vaisseau que constitue le « fonds Proust », en suspension depuis des dizaines d’années, pouvait enfin toucher terre. Proust ne le sait pas encore, mais ici commence A la recherche du temps perdu.
Pour Jean-Yves Tadié, auteur de la superbe préface des soixante-quinze feuillets, présenter des inédits de Proust, c’est raconter l’histoire d’ “Une passante” de Baudelaire. Une intelligence et un cœur étonnamment agités habitent Proust, il est le chérubin ou le Don Juan de la page écrite. Il en deviendra la Pénélope. Présenter des inédits, c’est aussi raconter l’histoire de résurrections successives …Le miracle des manuscrits est qu’ils permettent ce retour à l’enfance, impossible dans la vraie vie…Un petit enfant pleure à Combray, et il en sort un chef d’œuvre.
Points forts
Les écrits sur Proust, son œuvre, ses cheminements, sa personnalité, tout semble avoir déjà été dit, écrit et pensé sur l’un des auteurs français les plus célèbres du monde. Le mythe se poursuit avec la parution de ces textes datant de 1908 qui n’ont jamais été publiés. Les soixante-quinze feuillets sont l’adrénaline qui habitent l’homme de Combray. Le magnifique éditeur que fut Bernard de Fallois, décédé en 2018, est celui grâce auquel ces textes inédits nous sont parvenus. Au-delà d’eux la volonté, les talents conjugués de Jean-Yves Tadié et de Nathalie Mauriac permettent aux lecteurs de goûter à la saveur d’un cru inconnu. Pourquoi et comment une œuvre s’écrit-elle ? D’où viennent les mots, les souvenirs, les images qui, ligne après ligne, dessinent une histoire qui sait comment nous subjuguer ? Le plus singulier dans cet ouvrage est qu’il nous livre un Proust de trente-sept ans doutant encore de lui-même malgré sa renommée : comment faire d’un roman, une odyssée ?
Comment créer un texte à nul autre pareil ? Derrière son ambition, la grande ombre de son travail d'orfèvre des mots et des idées nous dévoile l’architecte qu’il fut tout au long de sa vie. Dans cette ultime résurrection, Proust est à la fois le patient et le psychiatre. La formidable énergie narrative, nous en percevons les spasmes avant même que l’intrigue ait pris son envol.
Quelques réserves
Pas un.
Encore un mot...
Surprendre les éditeurs autant que les lecteurs n’est pas donné à tous les écrivains. En gardant sous le coude durant presque cent ans ses soixante-quinze feuillets, Marcel Proust les sort enfin de ses cartons. Retrouvé par Bernard de Fallois, remis magnifiquement en scène par Nathalie Mauriac, l’élixir proustien a la verdeur des retrouvailles.
Une phrase
“Rien ne peut pénétrer dans le cœur quand on a trop de chagrin, les plus belles choses restent en dehors. C’est ce qui donne aux personnes inquiètes ce regard vide où l’on voit que rien n’entre en elles de ce qu’on leur dit, des choses qu’elles voient, des belles choses ou des choses gaies. Regard convexe comme est devenue leur âme, tendant sa préoccupation vers le dehors et n’en laissant rien pénétrer en soi.”
“Quelle meilleure manière de connaître l’âme de ses lieux perdus, de leurs habitants, que de devenir leur habitant, d’avoir à soi ce lieu, cette maison ignorée, ce pli dormant de rivière enfoui sous sa végétation aquatique, d’être justement la personne dont nous cherchions à pénétrer l’âme…des voitures passaient, des trains sifflaient, des fils télégraphiques chantaient, je me sentais uni à celle que j’aimais”.
L'auteur
Présenter Marcel Proust n’aurait aujourd’hui aucun sens. De Swann à Charlus, des Verdurin à la sonate de Vinteuil, des Guermantes à Méséglise, le monde de Proust continue à habiter les esprits. Le pan de mur jaune de Vermeer, la petite madeleine au goût inoubliable, les caprices d’Odette de Crécy sont quelques-unes des clés que l’auteur avait données à ses lecteurs. Les soixante-quinze feuillets en sont et en seront l’ultime sésame.
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