Les services compétents
300 pages,
19 €
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Thème
L’auteur raconte l’histoire de ses propres parents, Andreï Siniavski et Maria Rozanova, en URSS dans les années 60. Sous le pseudonyme d’Abram Tertz, Andrei Siniavski publie un traité d’esthétique ironique sur le réalisme soviétique qui suscite l’émoi au sein du pouvoir. Celui-ci déploie ses services compétents – en clair le KGB – pour mettre la main sur le dissident.
S’ensuit une longue traque qui durera six ans avant de mettre la main sur le facétieux écrivain et l’envoyer passer près de sept ans en Sibérie.
Tout au long de ces années, cette traque est ponctuée par les événements qui rythment la vie quotidienne en Russie.
Points forts
Le livre se fait l’écho de la société soviétique des années 1960, qui connaît une brève période de dégel sous Khrouchtchev, avant une nouvelle glaciation avec l’arrivée de Brejnev. Quelques années pendant lesquelles s’installa une relative tolérance – marché noir florissant, immixtion de la culture américaine avec une exposition à Moscou, funérailles de Pasternak, relâchement des mœurs – dans un climat général marqué par les passe-droits, la contrebande et la corruption.
L’histoire est racontée par le lieutenant Evgueni Feodorovitch Ivanov – qui finira général – avec une honnêteté et une naïveté déconcertante. Rouage sans méchanceté ni état d’âme d’un système tentaculaire, aveugle et oppressant, il apporte un touche d’humanité face aux multiples efforts déployés par une bureaucratie oppressante, grâce à ses échecs répétés et son incapacité parfois surréaliste.
Après l’écriture de treize livres, Iegor Gran raconte – enfin – l’histoire de ses parents, avec une distanciation qui n’a pas dû être évidente. Depuis le premier chapitre, qui décrit l’hilarante perquisition de l’appartement des Siniavski par le KGB alors que sa mère protège les livres compromettants en posant à l’officier du KGB les questions les plus incongrues, allant jusqu’à lui coller son fils – et auteur de ce livre- dans les bras, jusqu’à l’énoncé de la promotion de l’officier du KGB qui mena l’enquête et arrêta son père, l’auteur se pose en écrivain et non en fils de.
En inversant les points de vue – l’histoire est racontée par le KGB – l’auteur ne se place pas du côté des victimes mais rend hommage à leur personnalité, leurs idéaux et leur audace.
Enfin, le ton du livre, ironique sans être cynique, ne bascule jamais dans le règlement de compte et la dénonciation d’un crime. Relatant une histoire vraie, il reste une œuvre romanesque et satirique, qui a nécessité plusieurs années de documentation.
Quelques réserves
Pas de point faible, si ce n’est une sortie en librairie juste avant la crise sanitaire. Mais il est toujours temps de rattraper le temps perdu.
Encore un mot...
Cette histoire, c’est la victoire du talent et de l’imagination sur la petitesse et la bassesse humaine. Le désir de liberté jusqu’à la loufoquerie des héros dans des circonstances dramatiques l’emportent sur l’idéologie et le totalitarisme.
Une phrase
« Les organes de la sûreté de l’état ont été réorganisés avec succès, dit cet homme au regard d’acier et au costume impeccable. Les effectifs ont été significativement réduits. Les éléments carriéristes ont été priés d’aller voir ailleurs. Les services ne sont plus cet épouvantail que Beria aurait voulu qu’ils soient il n’y a pas si longtemps. Nous sommes maintenant une composante du parti. Aujourd’hui les tchékistes ont la conscience tranquille. Ils peuvent regarder le parti, le peuple soviétique dans les yeux ». (page 95)
« Les opérationnels chevronnés le savent bien, mercredi est le meilleur jour pour cueillir un suspect important. Les vendredis, les jeudis sont à proscrire – le weekend est trop proche. Avec son lot de bureaux fermés, de congés posés, d’esprits vagabonds, qu’on le veuille ou non, le rythme de l’interrogatoire baisse. Il n’y a plus la même pression. On donne l‘occasion au suspect de reprendre son souffle, alors même que le choc de son arrestation l’a rendu vulnérable. Le bonhomme risque alors de s’entêter et la garde à vue peut s’éterniser, faisant perdre plus de temps à tout le monde ». (page 268)
L'auteur
Iegor Andreïevitch Siniavski est né à Moscou, dix ans avant que son père, fraîchement libéré, n’obtienne l’asile politique en France où il déménagea avec sa famille.
Ingénieur et diplômé de l’Ecole Centrale de Paris, il est français et devenu écrivain en empruntant le nom de famille de sa femme.
Il a publié quatorze livres, tous chez P.O.L. et collabore également avec Charlie Hebdo depuis 2015.
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