Les lettres qataries

Un ton alerte et drôle pour un sujet plus grave qu’il n’y paraît
De
Gilles Martin-Chauffier
Albin Michel
Parution le 22 janvier 2025
220 pages
19,90 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Gilles Martin-Chauffier propose à son lecteur une petite déambulation dans la France contemporaine, sur le mode du roman épistolaire, dans l’esprit de Montesquieu et de ses Lettres Persanes publiées trois siècles plus tôt. Hassan dans le rôle d’Usbek, qatari de son état et conseiller d’ambassade nommé à ce titre à Paris, décrit, la France et les français à son ami fidèle resté à Doha, un certain Driss qu’il apostrophe avec affection en préambule de chacune de ses Lettres Qataries, en insistant sur le contraste entre Paris et le reste des « territoires » qu’on n’ose plus appeler la province, l’usage de mots abscons bannissant toutes les discriminations dans un pays possédé par l’illusion du langage.

Le contempteur désigné fustige l’esprit gaulois, le complexe de supériorité affiché d’un vieux peuple qui décline, s’amuse du débat politique artificiel, de l’esprit de controverse qui prend le pas sur le goût de la conversation, des polémiques qui naissent pour tout et pour rien, de l’inaction politique et d’une sclérose administrative congénitale ou chronique, rien n’échappant à cette attaque en règle, sinon pour admettre que ce grand pays eut un passé qui sera bientôt remisé au rayon des accessoires. La revue de détail ne néglige rien puisqu’il est question tout à trac du goût pour la tauromachie et les arènes en contrepoint des vociférations de la « maltraitance animale », de l’obsession révolutionnaire et de l’amour transi déclaré au vieux roi d’Angleterre reçu en grande pompe à Versailles, des déclarations du jeune prince élu et qualifié « d’eunuque » qui s’agite beaucoup et n’obtient rien, ainsi et notamment sur la scène internationale, et en somme de tous ces sujets qui font polémique, seul exercice dans lequel la France reste en tête des pays développés. 

Points forts

 Au premier degré, on s’amuse de ce regard critique, d’autant que le style ne manque pas de sel. Certaines formules frappent et prêtent gentiment à sourire, ainsi quand il est question de « la parfaite garde rouge repeinte en vert », alias l’ineffable Sandrine Rousseau, de « Depardieu, oscar de la muflerie et Macron, césar du pire second rôle »,  du « Ministre de la Justice convoqué au Tribunal », ou de « MeToo chez Marivaux » ; encore de Rachida Dati, maire emblématique du VIIème arrondissement, une « beurette » sortie de la banlieue qui va à la rencontre de ses électeurs à Sainte-Clotilde, « la paroisse la plus snob de la capitale ».

Quelques réserves

La légèreté du propos qui finit par lasser, tant ce vieux pays apparaît comme la caricature de lui-même, sans souffle ni respiration, condamné à la peine de réclusion à perpétuité.

Encore un mot...

L’exercice présente un intérêt bien actuel en ce sens que les critiques portées par Usbek et Rica, les deux voyageurs persans au pays des Lumières semblent encore et aujourd’hui transposables. L’autocratie n’est plus monarchique mais républicaine mais elle perdure bel et bien avec sa cohorte d’obligés et de courtisans, l’esprit de mode est toujours à l’œuvre chez les bobos, Paris méprise toujours la Province, le pays continue de se perdre dans des débats inutiles, ainsi récemment l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution quand personne ne menaçait la Loi Veil. Tocqueville s’agaçait aussi après Montesquieu de « la politique littéraire » déconnectée des questions de fond et attentive aux modes de l’heure. Ainsi rien n’a vraiment changé, au pays de la Révolution institutionnalisée ! 

Et l’idée n’est pas anodine de choisir un Qatari après un Persan, dans les deux cas un musulman, pour de leurs points de vue respectifs et à trois siècles de distance, combattre les préjugés et les idées reçues, ainsi hier celles de Montesquieu qui fustigeait les harems et la polygamie, aujourd’hui celles d’une droite française qui confond quelquefois la cause et l’effet dans la surenchère de violence dont le pays fait les frais, en accablant l’Islam, trop souvent et à bon compte.

Une phrase

“ Évidemment, à force de se bercer d’insouciance, le pays a dégringolé de l’estrade. Pendant des années, ils se sont prétendus cinquième puissance mondiale. Désormais, ils sont septièmes, derrière l’Inde. Ne parlons pas du classement de leur PNB par habitant : Trente pays les devancent. Ils ne s’en soucient guère. Dans ce pays de cocagne, l’argent tombe du ciel. Les études sont gratuites, les soins médicaux aussi, les retraites garanties. Ils se voient comme une URSS qui aurait réussi. Si les journaux publient des chiffres inquiétants dans leur rubrique économique, les lecteurs passent aux pages « Culture »”. Page 67

L'auteur

Gilles Martin-Chauffier, fils et petit-fils de journaliste, est lui-même journaliste à Paris-Match et auteur de nombreux romans, certains primés ; son terrain d’élection, l’opportunisme politique et l’hypocrisie sociale, avec en ligne de mire, les donneurs de leçons d’une certain société parisienne, auto-érigée en arbitre de la bien-pensance, ainsi dans Les corrompus (Prix interallié 1998) ou dans Silence, on ment (Prix Renaudot des lycéens 2003) ; un terrain d’investigation inépuisable transposé dans la Rome antique dans Le dernier Tribun (Grasset 2021) et aujourd’hui dans cette caricature de la France, dans l’esprit de Montesquieu.

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