LES ANNÉES RETROUVÉES DE MARCEL PROUST, ESSAI DE BIOGRAPHIE

La vie de Proust après 1922 : une fausse biographie, une vraie réussite
De
Jérôme Bastianelli
Sorbonne Université Presses
Parution le 9 mars 2022
256 pages
8,90 euros
Notre recommandation
5/5

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Thème

Le 18 novembre 1922, Marcel Proust a survécu à la maladie qui aurait dû l’emporter. Il s’en est allé retrouver ses amis dans son restaurant préféré pour fêter son rétablissement. Puis il est parti dans le sud de la France, s’est préparé à une élection dont son père avait rêvé pour lui, a visité la Corse qu’il n’avait jamais vue, a lu des livres à la mode, voyagé encore, rédigé des articles et rencontré des écrivains célèbres. Il a aussi écrit de nouveaux livres et a renoncé à une solitude qui, avec le temps, commençait de lui peser. 

Lui faut-il se réjouir de cette situation ? Les honneurs seront-ils une bénédiction pour son œuvre ? Devrait-il renouer avec les mondanités ? Ne lui faut-il pas, de nouveau, s’enfermer pour écrire ? Toutes ces questions prennent un tout autre sens et semblent soudain dérisoires lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate à la fin des années 1930.

Cette biographie imaginaire donne à Marcel Proust un supplément de vie, un nouveau souffle impossible. Et pourtant, cette supercherie, rédigée avec tous les codes d’une “vraie biographie”, est parfaitement crédible. Loin d’être un livre de circonstance écrit à la hâte pour le centenaire de la mort de Marcel Proust, ou encore l’hagiographie d’un personnage idéalisé par les fantasmes que suscite son œuvre, ce livre singulier, particulièrement bien rythmé, malicieux, parvient à créer un univers hors du commun et à tenir son lecteur en haleine.

Points forts

- Ce roman intitulé Les Années retrouvées de Marcel Proust - Essai de biographie, est particulier parce qu’il est construit et pensé comme un essai au sens le plus courant du terme. Le livre paraît d’ailleurs chez un éditeur universitaire, dans la collection “essais”, comme pour entretenir l’illusion et accréditer le travail scientifique de l’auteur. Car cet “essai de biographie” est aussi un essai au sens littéral du terme, c’est-à-dire une tentative, une expérience. Ici s’entremêlent des vérités historiques, des citations authentiques, des événements qui auraient effectivement pu avoir lieu si Marcel Proust avait survécu à sa maladie. Tout est vrai, sauf ce point de détail, à savoir que Marcel Proust est mort et n’a jamais pu agir durant les périodes évoquées. Tout est vrai, en somme, sauf que tout est faux, et la sensation d’absurdité que procure ce paradoxe est dépaysante, presque comique, à la manière des faux exposés scientifiques de la Rubrique-à-brac de Gotlib où l’on peut lire que “le pélican est, avec le kangourou, le seul oiseau qui possède une poche ventrale sous le bec”. 

- Pour réaliser son projet de vraie-fausse biographie, l’auteur a fait de ce roman un texte extrêmement factuel. Il cite les personnages (que l’on peut retrouver facilement grâce à un index en fin d’ouvrage), leurs fonctions ou leurs oeuvres, il décrit les lieux, explique l’origine du nom de la ville de Bastia, parle d’un détail du tableau du Sacre de Napoléon par David, rédige de fausses lettres, comme celle que Proust aurait écrite à Jean Giraudoux, mais ne s’approprie pas réellement son personnage principal (qu’il appelle d’ailleurs presque toujours par son nom de famille). Les sentiments de ce protagoniste ne sont pas exposés à proprement parler, semblant ne jamais dépasser les bornes de ce qu’il est permis d’imaginer. L’identification entre le biographe et son sujet aurait pu se faire sentir (on notera, par exemple, qu’à la date de parution de son livre, l’auteur a le même âge que Marcel Proust à sa “vraie” mort en 1922, qu’il semble partager avec lui des centres d’intérêt précis). Mais toute projection reste vague. Tout débordement est comme contenu par le plan net, le foisonnement des personnages, des lieux, des anecdotes. Il y a pour le lecteur à la fois une multitude d’informations et une sorte de manque, une interrogation perpétuelle sur les pensées du protagoniste. On découvre en lui, pourtant, par petites touches, un être ombrageux, maladroit, maniaque, ayant des élans de lucidité folle mais aussi une propension certaine à s’aveugler. Ce portrait ainsi brossé, fasciné mais jamais dithyrambique, parfois empreint d’une sorte de moquerie légère, presque tendre, évite finalement la faute de goût en se refusant à être intrusif. 

- La forme du roman lui donne un rythme qui soutient l’attention. On le lit vite et il est difficile de s’en détacher. Composé de vingt-cinq chapitres courts couvrant vingt années, le texte suit un plan retraçant les périodes du supplément de vie de l’écrivain et mentionne les lieux où il aurait séjourné, comme dans un journal. Aucune préface ne vient parasiter la lecture, plongeant sans sommation le lecteur dans ce délire méthodique. Déjà, l’auteur avait employé ce procédé dans son précédent roman, La vraie vie de Vinteuil, lorsqu’il avait inventé la biographie d’un personnage d’À la Recherche du temps perdu. Une fois encore, à la manière de certains prestidigitateurs qui dévoilent les astuces de leurs tours à la fin du spectacle, l’auteur explique, une fois son roman achevé, dans une sorte de postface intitulée “Notes, éclaircissements et repères bibliographiques”, les procédés qui l’ont poussé à écrire tel ou tel passage. Ce choix, qui préserve l’effet de surprise jusqu’au bout, est judicieux. 

- Le livre, apparemment léger, mettant parfois son protagoniste dans des situations cocasses (on appréciera, entre autres, son rôle de prête-plume auprès d’une vieille dame en mal d’inspiration romantique) a également le mérite d’être instructif. En effet, en se plongeant ainsi dans la période de l’Entre-deux-guerres, on croise des auteurs, des diplomates, des compositeurs qu’on ne connaît que de nom, voire pas du tout. Ce roman éveille la curiosité à leur égard, donne envie d’en savoir plus. Enfin, parce qu’il rappelle aussi les événements tragiques d’une nouvelle guerre qui n’avait pas été envisagée dans sa forme par son personnage et qu’il fait écho, peut-être malgré lui, à l’actualité, il nous pousse à réfléchir en nous ramenant à notre propre fragilité, aux problèmes apparemment insolubles qui, en un instant, s’évaporent avec tout le reste à l’approche du vrai danger.

Quelques réserves

Si ce texte pouvait être relié à un genre identifiable, il y aurait peut-être à redire à son sujet. Mais il se crée une existence bien à lui : la distance qu’il installe fait partie intégrante de sa supercherie, ses détails surabondants ne paraissent pas futiles parce qu’ils donnent une impression d’exactitude, et la sensation de décalage perpétuel qu’il provoque fait son originalité. Autrement dit, ce livre surprend trop pour décevoir.

Encore un mot...

Un roman ingénieux, espiègle et instructif.

Une phrase

« Au cours de l’année 1936, Proust retrouva un peu de goût pour la vie sociale et littéraire. Il reprit sa chronique hebdomadaire dans Le Figaro et put ainsi saluer la parution de l’essai que Vladimir Jankélévitch consacrait à L’Ironie, pratique qui ne lui était d’ailleurs pas entièrement étrangère. Le jeune philosophe lui avait été présenté par Henri Bergson, au début des années 1930, et Proust avait immédiatement été séduit par sa vivacité d’esprit et par sa culture. Ils avaient échangé quelques lettres dans lesquelles, notamment, Jankélévitch ne manquait pas d’éloges au sujet de l’essai que Proust avait consacré à Gabriel Fauré. À vrai dire, l’insistance du jeune homme à ne jamais parler que de ce livre, et jamais d’À la Recherche du temps perdu avait un peu agacé Proust, mais celui-ci, touché par l’enthousiasme et l’érudition qui émanaient de ces missives, ne lui en avait rien dit». p. 147.

L'auteur

Jérôme Bastianelli, né en 1970, a été initié très jeune à plusieurs disciplines artistiques, notamment au violon, un instrument dont il a poursuivi l’étude jusqu’à son entrée en classes préparatoires. Il a également étudié le contrepoint, c’est-à-dire l’art de la composition sur plusieurs lignes mélodiques. Il a été élève de l’École polytechnique et de l'École nationale de l'aviation civile. Durant ses études, il a pris des cours afin d’obtenir son brevet de pilote d’avion. Il a ensuite pris des cours de piano. Après avoir travaillé à la Direction générale de l’aviation civile en tant que chef de la division puis du département technique du Bureau d’Enquêtes et d’Analyses, il a rejoint la Cour des comptes en tant que rapporteur. Il est actuellement directeur général délégué du musée du quai Branly.

Il est l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels le Dictionnaire Proust-Ruskin, paru aux éditions Classiques Garnier, et quatre biographies de compositeurs (Mompou, Bizet, Tchaïkovski et Mendelssohn) parues aux éditions Actes Sud. Son premier roman, La vraie vie de Vinteuil, paru en 2019 aux éditions Grasset, a été distingué par l’Académie française en 2020. Jérôme Bastianelli est président de la Société des Amis de Marcel Proust, une association reconnue d’utilité publique légataire de la maison de “Tante Léonie” à Illiers-Combray, dans l’Eure-et-Loir. Il fait des photographies dont certaines sont éditées ou exposées, contribue aux catalogues de plusieurs expositions, rédige des chroniques de disques ou de concerts pour le magazine Diapason, donne des conférences et participe régulièrement à des émissions littéraires sur France Culture, ainsi qu’à La tribune des critiques de disques sur France Musique.

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