L'enfant qui apprenait à nager avec les buffles
Parution en avril 2204
368 pages, 22 €
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Thème
Tchaï est un petit garçon sans histoire. Il vit à Phnom-Penh, la capitale du Cambodge avec ses parents, frères et sœurs. Il y a bien les rumeurs de la guerre, qu'il observe du toit de sa maison. Qu'est ce que cela peut bien signifier ? Il ne va pas tarder à le savoir. Les Khmers Rouges investissent la capitale le 17 avril 1975. Tous les habitants sont "évacués" à la campagne. Commence l'exode sur les routes envahies de déplacés, les rumeurs, les disparitions, on parle d'exécutions… Puis c'est enfin l'arrivée dans un village où sa famille, qui a caché sa véritable identité pour ne pas être "raflés" comme de dangereux intellectuels, doit organiser une vie de subsistance sous le joug des corvées imposées par un chef de village qui n'aime pas les gens de la ville.
L'enfant qui apprenait à nager avec les buffles raconte, dans les yeux et dans la bouche de cet enfant qui devient adolescent, ces années de privations, d'apprentissages, de peurs, sous la dictature intellectuelle des khmers rouges, révolutionnaires maoïstes dirigés par Pol Pot, qui fut un des régimes les plus répressifs et sanguinaire de ce dernier quart du 20ème siècle.
Ce roman, inspiré d'une histoire vraie, décrit l'adolescence, puis l'âge adulte, l'exil en France et la reconstruction d'une vie pour cet enfant à la volonté peu commune.
Points forts
Ce roman est écrit avec des mots simples, et présente sans partis pris la difficulté de la déportation dans son propre pays, et plus tard, l'exil dans une autre culture.
Comme autant de thèmes ou de préoccupations de l'enfant, l'horreur de la dictature et son arbitraire sont omniprésents, la méfiance des dénonciations, les humiliations, mais aussi les apprentissages, les amitiés, les "débrouilles", la force des liens familiaux. En chapitres courts, ils forment la trame sur laquelle Tchaï apprend à vivre et à souffrir, avec humilité et intelligence, vues les circonstances.
C'est donc une tranche de vie des Cambodgiens qui nous est proposée, ceux qui ont survécu aux exécutions sommaires, aux maladies dans les villages ou les camps où ils étaient déportés.
Car Tchaï et certains membres de sa famille réussissent à immigrer en Thaïlande, puis en France, où l'adolescent va devoir réapprendre à vivre dans un pays où la liberté a pour contrepartie la nécessité de tout réapprendre.
Cette autre histoire dans l'histoire nous est également contée ; elle témoigne du chemin de volonté peu commun dont Tchaï fera la preuve, devenu adulte.
Quelques réserves
Le récit est très linéaire, qui s'attache à décrire en une sorte de "feuilleton", le quotidien du "héros", dans les moments les plus intenses de sa vie d'enfant, puis d'adulte. Le style est donc très factuel, avec de rares envolées lyriques.
Si ce constat donne une clé de la construction du récit, en revanche plus délicate m'a parue l'assimilation des patronymes, noms de famille et de lieux et liens de parentés des familles cambodgiennes mises en scène dans l'histoire. Mais cela n’est que question d'agilité intellectuelle !
Encore un mot...
L'enfant qui apprenait à nager avec les buffles est l'histoire d'une chute dans l'absurdité de la guerre idéologique, vue avec des yeux d'enfants. C'est aussi l'histoire d'une résilience, d'une transmission reçue dans la souffrance et le stress, dont Tchaï est l'objet, le sujet, et avec le recul de l'âge, le témoin. Histoire vraie commencée en 1975 qui se termine en 2020 par une consécration et une confession assez remarquables, que je propose de ne pas révéler dans ces lignes afin de vous permettre de les découvrir en refermant ce roman ! Son parcours n'est pas sans rappeler celui de la pianiste Zhu Xiao-Mei, victime de la révolution culturelle en Chine à la fin des années 1960, dont elle témoigne dans son très beau roman autobiographique La rivière et son secret.
Une phrase
"Alors, il comprend.
Préoccupé par sa propre survie et celle des siens, il ne s'est pas rendu compte. Les adultes le savaient peut-être, mais il n'est pas persuadé qu'eux-mêmes avaient vraiment conscience de l'ampleur des dégâts. Les noms qu'il leur arrivait de prononcer à mi-voix autour du feu n'étaient que quelques lignes sur la liste de ceux qui n'avaient pas survécu. Cette brutale désertion, c'est l'œuvre de la mort qui, sous ses multiples visages - malnutrition, épuisement, maladie, infection, noyade, rééducation -, s'est chargée de vider les lieux. Les réfugiés ont été balayés comme de vulgaires grains de sable dans la tempête, ne laissant derrière eux que le souvenir de silhouettes naufragées luttant pour survivre parmi les vestiges de leur existence passée. Le jour viendra peut-être aussi où leur maison, dont ils ont la chance qu'elle soit faite de quatre murs et d'un toit, sera aussi vide que ces espaces de misère, toute trace de leur passage sur Terre à jamais effacée, comme s'ils n'avaient jamais existé.
Tchaï détourne le regard et poursuit son chemin en s'efforçant de chasser de son esprit l'image de ces tombes à ciel ouvert.
Il passe d'abord chez Ry prendre les documents destinés à son responsable. Ry lui donne des nouvelles du village, Tchaï lui décrit son quotidien au campement de Klaeng, en se gardant bien de lui parler de la mort de sa grande sœur. S'il est au courant, il n'en laisse rien paraître ; il est d'un courage à toute épreuve ou, comme Tchaï est plus enclin à le penser, d'une effrayante insensibilité..." P 182
L'auteur
Christophe Vasse est auteur de romans policiers. Ingénieur de formation et de métier, il commence à écrire des thrillers et voit son travail consacré par deux prix : en 2017, le Prix du Polar de Femmes Actuelles pour Celle qui ne pleurait jamais, et en 2022 Celle qui ne pardonnait pas, prix du Coquelicot noir.
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