Le temps des féminismes

Le et les féminismes décryptés par une Sage ! Un essai d’une lecture facile et si didactique !
De
Michelle Perrot, avec Eduardo Castillo
Grasset
Parution en Janvier 2023
190 pages
25 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Michelle Perrot fête ses 95 ans en 2023, un détail qui a son importance. Elle a vécu et étudié, en femme militante et en historienne, les mouvements d'émancipation, de libération de la femme, qui ont fortement marqué ces 60 dernières années. Sujet de cet essai, avec son regard expert et le temps long de ses analyses, elle poursuit son récit sur l'histoire des femmes, sous les prismes "intersectionnels" de la religion, des origines et des luttes sociales, de la famille, et plus innovants, sous ceux des mouvements féministes, des conquêtes de la contraception, de l'avortement, du respect du corps, des identités culturelles et de genre, des mouvements nés au 21ème siècle comme #Metoo, des groupes identitaires et des mouvements LGBT.

Tout cela, elle le raconte avec simplicité et clarté au cours d'entretiens menés avec un de ses anciens étudiants, Eduardo Castillo.

Points forts

Si l'on se réfère à la façon dont cet essai a été construit, on pourrait croire à une suite de questions et de réponses. Et bien pas du tout !
Le livre se développe de façon continue, sans que les questions, qui ont permis de le construire, n'apparaissent. 

Il est très clair dans son déroulement. D'abord personnel ("essai d'égo-histoire"), l'analyse suit un chemin historique qui part de la nécessité d'écrire l'histoire des femmes quand la "grande" histoire", majoritairement écrite par des hommes, les estompait dans les récits, sauf quelques rares exceptions. Du patriarcat insufflé par toutes les religions, et promu comme modèle de la relation entre les femmes et les hommes, est né le féminisme, en particulier au cours du 20ème siècle - les deux Guerres Mondiales ayant quelque peu contribué à motiver les discours pour l'égalité des droits, si ce n'était l'égalité des sexes. Cette partie, comme les autres, fourmille de références et mêle les auteurs et les œuvres - notamment littéraires ou cinématographiques - qui ont fait date ou clash, dans le combat des femmes pour la reconnaissance de leurs libertés civiles, sexuelles et professionnelles. Sur ces terrains, les débats récents sur le harcèlement, #Metoo, l'essentialisation, les replis identitaires comme la question complexe du féminisme hors de la sphère occidentale, sont parfaitement décrits. 

Et vous feront comprendre les approches universalistes, "intersectionnelles", "essentialisatrices". Cela peut paraître du jargon, mais les comprendre est un plus de cet essai. 

Les nombreuses citations de romans, d'études, d'essais, de films apportent beaucoup de clarté au raisonnement. De ce fait, on peut prendre le pari que les lecteurs les plus "matures" (pour ne pas dire séniors…) auront un véritable plaisir à voir abondement citées Françoise Héritier, Virginia Woolf ou Laure Adler, Simone Veil et Simone de Beauvoir - "on ne nait pas femme, on le devient" - Gisèle Halimi, Benoite Groult et Camille Kouchner, Vanessa Springora (Le consentement) autant que Georges Sand, le code civil et la Bible, Manon Garcia et Elisabeth Badinter, l'aujourd'hui incontournable Judith Butler (philosophe américaine de la pensée Queer) et pour ne pas oublier quelques hommes, Hegel et Marx, Norbert Elias et Georges Duby, et deux auteurs souvent cités dans nos chroniques, Alain Corbin (ami de longue date de Michelle Perrot) et Georges Vigarello - pour ne pas désespérer de la gent masculine, qui sait aussi analyser l'histoire des femmes et le féminisme !

Quelques réserves

Pas de réserve ; cet essai est très facile à lire et sa modération, si l'on peut ne pas partager certaines analyses, le rend assez spontanément didactique.

Encore un mot...

Sur un concept apparu dans les années 1870, cet essai parle au singulier et au pluriel d'un féminisme qui se dit fille de la laïcité, ni caricature, ni censure, ni lutte contre un masculin diabolisé. Il valorise le féminisme comme pensée et comme interrogation d'un passé de domination de la femme, jugé comme "naturel" car ancestral. "Etre féministe signifie lutter contre l'ombre, l'ombre dans laquelle les femmes dans l'histoire étaient ensevelies, et l'ombre sur les problèmes que posent les rapports entre les hommes et les femmes, y compris la sexualité. Je vois le féminisme comme une ouverture, comme la dissipation d'un brouillard." Un point de vue certes exprimé quelques pages avant la fin, mais qui transparaît dans l'ensemble de cet essai et apporte sur la question du et des féminismes d'hier et aujourd'hui, un recul nécessaire et une incontestable lumière.

Une phrase

  • "Jusqu'aux années 1970, on ne parlait pas des femmes, sauf de pionnières comme Marguerite Thibert ou Edith Thomas. L'histoire a été écrite par des hommes, avec un regard masculin occultant les femmes, entraînant silence et oubli. L'idée de les réintroduire dans la trame historique n'est pas seulement le fait d'une démarche féministe. C'est d'abord une revendication de vérité. " P 32
  • "De tout temps, l'accès des femmes à la peinture s'est révélé particulièrement difficile, et plus largement l'accès à la création des images, à cet imaginaire qui, en définitive, est une dimension de  pouvoir et de fabrication du monde. Il n'y pas de mot pour désigner une femme peintre." P 44
  • "Dans le monde occidental, le féminisme est un complément de la démocratie. Il opère pour les femmes, mais a du mal à s'imposer à tous comme une vision partagée et universelle du monde. Au moindre acquis, on veut croire que la question des femmes est réglée et qu'il faut tourner la page, sans réfléchir au fondement systémique de la domination. Le féminisme apparaît top souvent comme la simple expression d'une revendication plutôt que comme une pensée critique." P 122

L'auteur

Peut être davantage connue comme militante féministe, Michelle Perrot est probablement une des plus célèbres spécialistes française de l'histoire des femmes. D'abord professeur de lycée à Caen, elle soutient une thèse en 1971 et devient Professeur d'université à Paris. Si elle fait suite à de précédents travaux publiés dès les années 1970, son Histoire des femmes en occident, publiée en 1991 avec Georges Duby, contribue à donner des racines historiques et universitaires aux combats pour la liberté des femmes. La place des femmes dans la société, leurs entraves à leur liberté civile et sexuelle et leur revendication d'une citoyenneté "universelle” sont au cœur de ses recherches et publications depuis 40 ans. Elle a collaboré au quotidien Libération, produit et présenté Les Lundis de l'histoire sur France Culture.
Michelle Perrot a reçu en 2014 le Prix Simone de Beauvoir pour la Liberté des femmes ; elle est aujourd'hui professeur émérite d'histoire contemporaine à l'université Paris Diderot.

Ancien professeur d'histoire-géographie, Eduardo Castillo est journaliste et écrivain. Auteur d'essais sur le Chili, coordinateur d'un ouvrage collectif sur Albert Camus, il anime des émissions de radio, des conférences et des débats.

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