
Le Syndrome de l’Orangerie
Parution le 21 août 2024
432 pages
22 €
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Thème
Au cours d’une visite au musée de l’Orangerie, Grégoire Bouillier est pris d’une crise d’angoisse devant les Grands panneaux, les fameux Nymphéas de Monet pourtant présentés le plus souvent comme une œuvre de paix. Aussitôt, s’impose à lui le pressentiment que ce malaise inexplicable fait écho à quelque chose de caché en lui mais aussi à l’inconscient de l'œuvre, un secret morbide que le peintre y aurait enterré, peut-être à son corps défendant. Décidé à élucider l’énigme, il confie à son avatar le détective Baltimore, le soin de mener l’enquête (sans toutefois lui déléguer complètement la parole). Commence alors une plongée, niveau par niveau, en spirale, au cœur de l'œuvre, de la vie du peintre, de son époque… Au cœur (surtout?) des sentiments, des intuitions, des analogies surgis du fantasme de l’enquêteur...
Points forts
Le principal point fort de ce livre, outre le travail de documentation, c’est la liberté formelle et interprétative de son auteur. Sans doute aussi celle de l’éditrice qui lui laisse carte blanche pour écrire des récits apparemment entropiques. Le Syndrome de l’Orangerie est un dispositif littéraire foisonnant qui ne s’interdit aucune forme, aucune figure, aucune digression pour épuiser les informations susceptibles de nourrir son fantasme (le secret enterré), c’est-à-dire le livre lui-même.
Monet a peint quatre cent fois les nymphéas. A cette obsession répond l’obstination de l’enquêteur à (se) convaincre que les Grands panneaux sont un tombeau. Chaque fois qu’il pense lever un lièvre, ou plutôt déterrer un cadavre, Bouillier s’exclame non sans humour : « J’avais raison depuis le début ! » ; y compris lorsqu’il atteint la limite de ce que le lecteur veut bien accepter de gober. La distance par l’humour autorise tous les débordements.Un autre point intéressant est évidemment d’ordre référentiel puisque le livre est aussi une biographie de Monet très documentée qui n’apprendra rien de nouveau aux admirateurs du peintre mais a le mérite de concentrer toute une vie privée et artistique dans ces 420 pages. A savoir : le contexte macabre de l’œuvre, les deuils qui ont touché le peintre, notamment la mort de sa jeune épouse Camille, laquelle fait opérer un virage décisif à la peinture de Monet; le projet Giverny et la série obsessionnelle des Nymphéas; l’influence sur les peintres américains et l’abstraction...
Quelques réserves
On peut difficilement mettre un bémol à un récit délibérément libre. La créativité langagière et l’esthétique de cet auteur en signent la singularité dans le paysage littéraire actuel.
Encore un mot...
Je suis restée à distance jusqu’à la fin ou presque - mais peut-être Grégoire Bouillier travaille-t-il à déjouer une possible identification ou complicité du lecteur ? J’ai trouvé le livre froid, bavard (et je me fiche que ce soit fait exprès), aussi frénétiquement bavard que l’auteur en interview. Je n’y ai trouvé ni humanité (et pourtant, que de morts convoqués…!), ni authenticité dans le délire. Je n’abonderai donc pas dans le sens de ceux qui le classent au côté de Philippe Jaenada.
En revanche, je partage avec l’auteur cette impression de sombre malaise qui transpire des Nymphéas. La palette, le all-over, l’effacement de l’horizon, du haut et du bas, le ruban de la scénographie, tout contribue à ce que cet ensemble originellement ornemental et hymne à la paix aspire le « regardeur » dans les profondeurs d’une inquiétante étrangeté.
Une phrase
“ Rentré chez moi, j’ai songé qu’à l’Orangerie, ce n’était pas une salle de musée que j’avais vue, c’était une scène de crime. Les Nymphéas étaient un mystère de chambre close. Je n’en démordrais pas. Désolé, Penny. Qui ou quoi Monet avait-il bien pu enterrer dans son bassin aux nymphéas ? Quel cadavre ? Quels secrets ? Cela me tracassait.” (P.38)
L'auteur
Remarqué en 2002 pour Rapport sur moi (Allia), une autobiographie plutôt concise, Grégoire Bouillier est devenu la coqueluche des critiques avec le pari audacieux d’un récit total : Le Dossier M. (Flammarion, 2017 et 2018). Unanimement saluées, ces 1600 pages (tout de même...) livrent exhaustivement (en tout cas, c’est le projet ) les pièces d’une histoire d’amour vécue. Entré dans la catégorie Marathonien de l’écriture du réel, Bouillier récidive (rechute?) en 2022 avec les 900 pages de Le Coeur ne cède pas (Flammarion) où son avatar, le détective Baltimore, enquête sur la vraie mort lente d’une ancienne vraie mannequin. De nouveau, la critique se pâme. Pour cette rentrée littéraire, même chœur de louanges en faveur du Syndrome de l’Orangerie (Flammarion), 420 pages seulement qui régalent les amateurs avec une nouvelle enquête.
Grégoire Bouillier a été primé plusieurs fois et figure sur plusieurs listes des grands prix de la rentrée littéraire 2024.
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