Le Rire des déesses
Septembre 2021
240 pages
19,50€
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Thème
Le livre s’ouvre sur une image forte : la main d’un homme posée sur le corps d’une fillette nue.
Retour en arrière. Dans une ville pauvre de l’Uttar Pradesh, une petite fille de dix ans vit avec sa mère prostituée dans le bordel de la Ruelle. L’enfant a tant de grâce qu’elle conquiert toutes les prostituées, ainsi que Sadhana, une « hijra », méprisée parmi les méprisées pour être née dans un corps d’homme. Seule Veeta, la mère de la fillette, ne se laisse pas attendrir. Elle est trop en colère contre son sort et la société. Sa fille est un fardeau qui, dès ses quatorze ans, aura le même destin qu’elle. Pourquoi l’aimer ?
Un jour, un client très différent se présente au bordel. Il parle aux divinités : c’est un swami, un homme saint. Que vient-il chercher dans ce monde si éloigné du sien ? Son choix se porte sur Veeta et il prend ses habitudes avec elle. Apprenant qu’elle cache une fillette, il demande à lui parler. Pour lui, c’est un éblouissement ; elle sera sa déesse. La vie de la Ruelle et celle de l’enfant s’apprêtent à basculer…
Points forts
-De même qu’elle a déconstruit dans de précédents ouvrages la carte postale d’une île Maurice idyllique, Ananda Devi emprunte cette fois les ruelles des bas-fonds d’une ville indienne, loin, très loin de l’iconographie du Taj Mahal ou des ors de Bollywood. Indienne d’origine et anthropologue de formation, elle maîtrise son sujet. Le roman est réaliste et décrit par les yeux de l’enfant, de Veeta et de Sadhana la condition épouvantable des prostituées et des hijras sur lesquelles se déchaîne la violence sociale et sexuelle. C’est d’ailleurs lors d’un échange avec des prostituées de Calcutta que l’idée de ce livre est venue à l’auteure.
- Le roman dénonce l’hypocrisie des swami (en tout cas, Shivnath), ces hommes soi-disant pieux qui exploitent les plus vulnérables, les moins éduqués et bâtissent leur fortune sur les dons et leur pouvoir sur les peurs. Du même coup, l’auteur brosse le tableau d’une Inde où les anciennes croyances sont toujours vives.
- Très imagée et travaillée, l’écriture donne lieu à de belles pages.
Quelques réserves
-L’histoire est prévisible, voire rebattue. On voit arriver gros comme une maison le rôle que va jouer Shivnath et quelle réaction il finira par susciter. Le portrait du « méchant » est caricatural et sa fin hallucinante et hallucinatoire fait sourire.
-L’écriture, très foisonnante, est parfois grandiloquente.
-Le dénouement est invraisemblable.
Encore un mot...
Attention, spoiler ! Voilà un livre qui commence bien. La langue, les thèmes abordés éveillent l’intérêt et lancent efficacement la lecture. Mais l’auteure a voulu conjuguer vérité sociale et conte féministe. C’est bancal et on ne peut pas croire que ces femmes, écrasées comme elles le sont, puissent se soulever et monter jusqu’à Bénarès causer la chute d’un homme aussi riche et puissant. Même pour l’amour d’une fillette qui incarnerait leur espérance. On retiendra surtout le personnage magnifique de la fillette.
Une phrase
"Je suis, pense-t-elle, la fourmi rouge qui se dérobe, qui s’échappe, les pique dans le gras du corps, laisse la marque de ses morsures et n’en reçoit aucune, surtout les bleus et les violets qu’ils impriment sur la peau de ma mère. Je suis celle qui s’échappera de la Ruelle.
Chinti, petite fourmi à ailes, survole ses rêves. Pour la première fois, ayant trouvé son nom, elle sourit. Pendant ce temps, Veena la regarde d’un œil mauvais. Sa fille ne devrait pas sourire. Il n’y a rien ici qui y invite, surtout pour un enfant" (p 36)
L'auteur
Issue d’une famille du sud de l’Inde, Ananda Devi est une anthropologue, écrivaine et poétesse mauricienne née en 1957 à Trois Boutiques. Entrée en littérature à quinze ans par la porte de la poésie et des nouvelles, elle a écrit depuis de nombreux romans dont Manger l’autre (Grasset 2018), L’Ambassadeur triste (Gallimard 2015) ou Le Sari Vert (Gallimard 2009). Ananda Devi a été plusieurs fois primée.
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