LE RETOURNEMENT
Parution le 5 janvier 2022
301 pages
20,90 €
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Thème
Nous sommes à Beyrouth au lendemain d’une explosion gigantesque ! L’auteur, éditeur à succès adulé, est à la recherche de son identité juive non assumée, de sa judéité, à la faveur du partage de sa vie avec Nour, descendante libanaise des premiers chrétiens d’Orient et gardienne du temple. Ce récit quasi autobiographique est une odyssée de la pensée à rebours. Sa «vie de jeunesse (dorée ndlr) ayant été un mensonge» selon Carcassonne lui- même, c’est Nour, sa compagne et inspiratrice dans le récit, qui va lui faire faire ce voyage intérieur au cours duquel défilent tous les malheurs et avanies du peuple des Justes.
On va découvrir ce monde chaotique d’un Orient compliqué où se croisent les « Juifs du Pape » (en Provence), le Hezbollah, la Bible, les sourates et tout à coup au détour d’une ruelle d’Achrafieh, Jean Genet, Romain Gary ou encore Levinas et surtout le couple infernal Benny Lévy, philosophe talmudiste et néanmoins chef de la gauche prolétarienne et Alain Finkielkraut qu’on ne présente plus. Manuel refait le voyage des cinquante ans qui séparent le lieu de naissance de son père au 12 rue d’Arcole à Marseille de l’église Saint Nicolas de Myre, propriété du patriarcat d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie et qui suit le rite gréco-catholique melkite. Nour est la descendante directe de l’archevêque qui construisit l’église, Maximos III Mazloum*.
En réalité 7 minutes et un kilomètre séparent les 2 lieux, mais c’est tout un monde. Entre l’appartement bourgeois des juifs laïcs de Provence - les Carcassonne sont bijoutiers /diamantaires de père en fils, quelquefois fripiers- et le destin qui lui est tombé dessus (sic), l’a couronné « roi ubuesque du saccage beyrouthin » qui traîne en tongs sur la corniche, que s’est-il passé ? « Pourquoi suis-je séquestré dans « ce pays du lait et du miel » ? La question taraude Manuel Carcassonne tout au long de ce Retournement, truffé de références philosophiques, historiques et métaphysiques par ailleurs.
Et nous nous posons la question : quel processus magique et fusionnel fait se réunir une libanaise gréco-catholique de rite melkite (maronite donc) convaincue à la cause de la paix et un Ashkénaze par sa mère lointain séfarade par son père, non pratiquant, ex jouisseur germanopratin et brillant intellectuel, sur le chemin du repentir ? La réponse est dans ce grand Retournement illustré à chaque ligne de chaque page par les aphorismes et réflexions d’un Finkielkraut, d’un Gilles Deleuze et autre Derrida sur fond d’une guerre qui n’a pas de sens sauf le martyre d’un Beyrouth « écartelé entre quatre confessions » et l’assassinat de milliers de réfugiés (souvenons-nous, avec l’auteur, de Sabra et Chatila).
Points forts
- La lumière dans les ténèbres
- Le grand talent de l’auteur c’est de faire la lumière, de nous guider à chaque instant sur des chemins forcément compliqués et obscurs qui conduisent encore aujourd’hui cultures, religions et civilisations à se dresser les unes contre les autre, dans un Moyen Orient, et en particulier au cœur de l’ancienne Phénicie, à feu et à sang.
- Le style (au-delà des mots, les images) et l’érudition (au-delà des faits, la pensée) ; la destinée de ce fils d’Avrom (selon le titre de Roger Ikor dans sa saga les Eaux Mêlées) devient limpide. Elle coule de source, une source jamais tarie. Tout s’enchaîne, à rebours, tout naturellement, dans un style éblouissant. Manuel Carcassonne a enfin retrouvé ses racines, les racines du ciel ! Remercions-le d’avoir su partager avec nous ses émotions d’héritier des Justes.
- Le Retournement est aussi une histoire de famille chargée d’émotions, de souvenirs et de rencontres exceptionnelles pour l’esprit et les valeurs humaines. Gardant le meilleur plat pour le dessert, Manuel Carcassonne nous emmène en Corse, page 270, presque au terme de ses mémoires à rebours chez son ami Jean d’Ormesson. On y rencontre Maurice Rheims « tordant le nez » de Guy Schoeller, François Nourissier « tricotant et détricotant le Goncourt » ou François Sureau « barrissant d’une voix grave ». On se prend à sourire. Ouf, retour à la case départ, on est bien chez soi. Profitons de cette parenthèse tardive mais bienvenue.
Quelques réserves
Je n’en vois aucune, ce récit se déguste comme du miel, se boit comme un nectar. On en sort abasourdi et subjugué. Prévenons le lecteur toutefois. L’histoire, l’évolution de la langue judéo-provençale et les tribulations des juifs comtadins ne sont peut-être pas passionnantes pour le commun des mortels. Mais le charme opère.
Encore un mot...
Nous sommes effectivement tout retournés par ce cri d’amour pour un Liban défiguré à jamais, par ce cri d’espoir pour la réconciliation des peuples ; Manuel Carcassonne, le Juif du Pape, le dandy de Saint Sulpice, retrouve le sens de sa vie grâce à Nour, l’Arabe descendante des premiers chrétiens d’Orient et rejoint avec elle « l’aristocratie des opprimés ». De la confrontation de leurs émotions, de leur sensibilité et de leurs idées naissent la vérité et l’amour.
Une phrase
« Le juif qui s’ignore est une sorte d’Ulysse, qui après avoir bourlingué, rentre chez lui fourbu, retrouve pleinement la douceur de la Nation. Je tire de la glaise même ce que je ne connais pas mais que je reconnais comme si je l’avais toujours su, le matériau malléable d’un nouveau moi. Ce « Gottloser Jude », ce juif psychologique, ce juif laïque quasiment dépourvu de contenu, je le vois comme un Golem (informe..) qui s’anime soudain. Dans le Juif imaginaire Alain Finkielkraut a si bien défini cette catégorie « étrange mais répandue » des juifs qui ne sont pas religieux. Je crois humblement que par l'imagination, par la sensibilité, par l’altérité en soi on peut s’incarner dans ce rêve, ce rêve plus noble que moi, dans cette maison du savoir, où j’ai déjà le gîte et le couvert ».(p.126-127)
L'auteur
Homme du livre et de l’écrit… sans être écrivain, critique littéraire craint et adulé en même temps, Manuel Carcassonne a été longtemps, après avoir été critique au Point et au Figaro directeur littéraire de la Maison Grasset avant de prendre la direction des éditions Stock. Directeur de l’ouvrage collectif Gombrowicz, il signe, avec le Retournement son premier ouvrage, à 50 ans. Pour la petite histoire, compagnon pendant 15 ans d’Héloïse d’Ormesson. Officier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
*L’épouse actuelle de l’auteur est née Diane Mazloum
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