Le Rayon Bleu
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Thème
Dans les années 50, Herbert de Lesmures s’installe avec sa jeune épouse, Andrée, à Saint Eleuthère, vaste domaine familial cerné de forêts, où naissent deux garçons, Audebert et Théophane, et une fille Carole-Anne.
Les années se succèdent, les Présidents de la République aussi. Herbert, brillant Saint-Cyrien, passe du statut d’attaché militaire à celui de grand commis de l’Etat, Secrétaire d’Etat proche du Président.
Ses absences se multiplient: il répond de moins en moins souvent au vieux téléphone fixe qui, depuis des décennies, sonne sans raison apparente dans le grand hall du manoir.
Mais, en 1994, Herbert se suicide dans son pied-à-terre parisien. Carole-Anne fait alors appel à un apprenti reporter qu’elle fascine et lui demande d’éclaircir les causes de ce « suicide à deux trous », lié, semble-t-il, à l’élaboration d’une -double- dissuasion nucléaire.
Points forts
1- L’élégance et le détachement des membres de la famille Lesmures, « la capacité de maîtrise émotionnelle de ce clan» : Herbert corseté par sa bonne éducation, Andrée qui se refuse à expliquer les absences de son mari par «l’hypothèse vulgaire», Carole-Anne qui se cantonne dans « une garde désespérée » et impose au journaliste-narrateur des relations de boy-scout, Théophane, pacha d’un sous-marin lance-missiles, qui prie chaque jour pour « ne jamais servir à rien », sachant que, si l’ordre venait, il ferait son devoir…
2- Les multiples contacts, Américains, Français, Roumains, Russes, qui forment une fraternité d’ « éveillés » parmi les politiciens «dormeurs», donnent à l’auteur l’occasion de brosser une série de portraits originaux, en particulier celui du vieux général Angénieux, dit Aga, retiré dans son appartement décoré de trompe-l’œil, après avoir été le père du parapluie nucléaire.
3- La crédibilité de l’intrigue : Le président Doudelanier a bien des traits de FrançoisMitterrand et le suicide d’Herbert n’est pas sans rappeler la disparition de l'un de ses principaux conseillers à la même date. La dissuasion nucléaire fut une réalité du temps de la guerre froide et le général Aga renvoie, il me semble, au Général Gallois qui en fut le vrai promoteur.
4- Le personnage central de ce curieux roman reste sans conteste le téléphone de bakélite noire dont la sonnerie lugubre résonne comme le symbole du lien indéfectible qui unit ceux qui devraient être ennemis.
Quelques réserves
L’intrigue, confuse, est encore compliquée par la forme d’un récit assez chaotique : il nous en faut suivre la trame comme le narrateur (dont on ne saura même pas le prénom) à travers des bouts de journaux de bord, des classeurs incomplets, des informations tronquées, lâchées au compte-goutte par des protagonistes morts ou en passe de l’être, des sous-entendus inaudibles.Le lecteur moyen qui n’a pas la culture politique suffisante aura du mal à s’y retrouver...
Encore un mot...
Plus qu’un thriller, « le rayon bleu » est une interrogation métaphysique sur la folie des hommes et, plus particulièrement, sur une époque de nains dépassés par leurs créatures, qui gomme les énergies anciennes et les fidélités nationales.
Une phrase
P. 97 Aga s’adresse à son « ashram », les jeunes gens qui suivent ses cours :
"Il n’y a pas de blocs. Il n’y a pas de doctrines : elles ne servent que d’alibi. Depuis l’avènement du nucléaire, il ne reste qu’une seule doctrine tenant en un seul mot : survivre. Il n’y a pas de camps, uniquement des hommes qui savent ou ne savent pas. Des éveillés et des dormeurs."
L'auteur
D’origine serbo-croate, Slobodan Despot vit en Suisse francophone depuis qu’il a six ans. Il arrive aujourd’hui à la cinquantaine avec un beau bilan du « métier du livre », traducteur, éditeur, journaliste, essayiste et, aujourd’hui, romancier, avec « Le miel » (2014) et « Le rayon bleu » (2017).
Ce polyglotte qui parle six langues, cet «émigré yougo à passeport helvétique» comme il se définit lui-même, et dont le français est le verbe d’élection, est essentiellement un esprit libre.
Il entre à 19 ans à « l’Age d’Homme » sous la férule de Wladimir Dimitrijevic (bien plus qu’une maison d’édition, une zone libérée, dit-il) comme traducteur des grandes voix du monde slave ; lors de la guerre de Yougoslavie, il prend le parti « du camp des proscrits, les Serbes » avec une petite revue artisanale « Raison garder », avant de fonder en 2005 les Editions Xenia qui ont pour devise « osez lire ce que nous osons éditer ».
Depuis 2015, il publie chaque dimanche une lettre numérique de ré-information intitulée « Antipresse » dont il est fier qu’elle ait attiré les foudres du Decodex du Monde.
Commentaires
Bonne analyse ci-dessus. Je confirme une certaine difficulté de lecture. Il faut avoir une culture politique, à partir de quoi les "clés" fonctionnent (Mitterrand, le général, etc...). Mais c'est solidement écrit et d'une réelle profondeur de réflexion. Alors que les Princes du monde (ou qui se croient tels) nous vamusent avec les gadget écolo et autres, l'épée de Damoclès bien réelle reste sur nos têtes,.Quand on commença à parler du danger nucléaire, je croyais naïvement qu'on pensait à la guerre nucléaire; Eh bien non! c'est le nucléaire "pacifique" qu'on avait en vue et Tchernobyl sembla prouver que là était le problème, faisant oublier qu'aujourd'hui c'est de la probabilité de la guerre, de l'autodestruction, qu'il faudrait parler. Un bon livre en tout cas, et "métaphysique" en plus !
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