LE PAQUEBOT

De l’euphorie du départ au désastre du retour. Une grande traversée n’est jamais un long fleuve tranquille. Bouleversant et captivant
De
Pierre Assouline
Gallimard
Parution le 17 mars 2022
396 pages
21 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

  • Février 1932,  la date a son importance, le Georges Philippar, fleuron des Messageries Maritimes, quitte Marseille destination Yokohama, à 18 000 kms, via le Canal de Suez et Djibouti, Colombo, Saïgon, Hong Kong mais fera demi-tour à Shanghai pour cause de guerre au Japon. C’est son voyage inaugural, son baptême du feu en quelque sorte, un peu précipité d’ailleurs. A cette époque, on ne lésine pas, mais on est pressé. Le Philippar, c’est le comble du luxe et du raffinement, rien n’est trop beau mais rien n’est moins sûr ! Rassurant, le personnel de bord est à l’unisson, 347 membres d’équipage, le Pacha, le Commissaire de bord, le Président de la compagnie en tête, aux petits soins d’un même nombre de passagers, à peu de choses près.
  • A bord, la fine fleur de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, de riches entrepreneurs ou hommes d’affaires, quelques dignes représentants de l’administration coloniale, beaucoup de jolies femmes. Un monde cosmopolite, cultivé et insouciant, quelques personnages hauts en couleur, joueurs à l’occasion, ou affabulateurs, tel cet incroyable « docteur »  Knock  et surtout un certain Jacques Marie Bauer qui tient ses carnets de bord, précieux pour la suite et la compréhension du voyage. Chargé, semble-t-il, d’une mission gardée secrète, libraire d’art de son métier, célibataire et séducteur, il se lie facilement avec ses compagnons, et compagnes de voyage.
  • Ce voyage au long cours s’annonce radieux comme le ciel, la mer est d’huile, la table est excellente, les grands crus accompagnent les mets les plus savoureux les conversations au fumoir vont bon train, on flirte de ci de là mais pas trop, l’esprit Jockey-club règne.                           
  • Grains de sable : bien sûr, plongé « dans une sorte d’ivresse d’un opium fait de houle et de mondanités », on s’ennuie un peu en dehors des parties d’échecs entre deux authentiques champions. Mais de nouveaux voyageurs, tristes annonciateurs de l’incendie du Reichstag, droits dans leurs bottes, et quelques incidents techniques répétitifs (une ampoule qui grésille !) d’apparence anodins, vont faire faire des étincelles sur le navire, dans les salons dans les cabines et conduire peu à peu à un double chaos : à bord même puis en Europe toute entière. Au large d’Aden, sur la voie du retour, c’est le drame : avaries, mutinerie, incendie ? Le bateau s’enflamme comme une allumette : responsable, un simple court-circuit ! Les faits sont réels, notamment la disparition d’un célèbre journaliste.

Points forts

  • L’écriture et la mise en scène. De péripéties en témoignages, le chroniqueur Bauer-Assouline mène l’enquête On suit ce récit comme un livre policier, d’escales en escalades, on s’enferme d’abord avec délices puis avec frayeur dans ce huis-clos mondain et littéraire ou comme dans une pièce de théâtre toujours « sous tension ». Personnages, décors, intrigues et rebondissements, accidents, suicide même, tous les ingrédients d’une dramaturgie sont en place. On va voyager sur une autre planète comme sur le Titanic lorsque joue l’orchestre jusqu’à la fin sans désemparer, ou aux côtés d’un Hercule Poirot dans Mort sur le Nil à la recherche des responsabilités et culpabilités. Le héros malheureux  de cette croisière c’est le gigantesque Georges Philippar lui-même, objet de tant d’alertes minuscules en cabines sur lesquelles on ferme les yeux et les oreilles, défaut de jeunesse, mise à l’eau prématurée, et le responsable, le bureau Véritas ! Un autre acteur du drame à venir, et non le moindre, va bientôt monter à bord, à Shanghaï précisément puis… disparaître corps et âme ? Très contrariant pour le narrateur, c’était un des buts secrets de son voyage.
  • Le formidable talent de chroniqueur mondain ou d’écrivain d’aventures. Proust ou Jack London : galerie de portraits, caricatures, tableau d’une société ou et d’une époque révolue.  La description dantesque du désastre final et la suite mystérieuse à propos de la destinée du grand Albert Londres,  sans doute le modèle de Bauer. Avec Giraudoux bien évidemment, et Stefan Zweig, tant la culture germanophone de l’auteur est prégnante ici.
  • La description, véritable reportage, de l’incendie (cat il s’agit bien d’un incendie)  qui ravagea en quelques instants le Georges Philippar au large d’Aden au retour : 49 morts et… un disparu (de marque). Exemple : un témoin raconte : « C’est le Bazar de la Charité. Le spectacle est dantesque, surtout à bâbord ».
  • Les débats tendus avec les partisans de ce qui sera bientôt le nazisme (nous ne sommes qu’en 1932 !) dont certains arguments font mouche chez les voyageurs !

Quelques réserves

Des longueurs parfois. Quelques scènes répétitives (trop), ces parties d’échecs n’en finissent pas. Certains personnages féminins comme Salomé (fil rouge de l’histoire) sont moins intéressants, simples faire valoir d’un évènement dramatique à bord mais marginal (un suicide) ou compliqués. Ces réserves sont naturellement secondaires par rapport au grand bonheur de lire Assouline.

Encore un mot...

On reconnaît la patte du biographe passionné et infaillible. Les références littéraires sont nombreuses et viennent fort à propos dans le déroulé de cette aventure en Extrême Orient. Par exemple, les réflexions de «  Monsieur Londres », les citations de José Maria de Hérédia ou de Baudelaire ou encore des extraits des Provinciales de Jean Giraudoux qui lui inspire tant de nostalgie et le thème de la Guerre de Troie n’aura pas lieu, sans doute. En apothéose, l’Opéra de Platon, objet de toutes les convoitises et ultime objectif, dans sa version originale, du voyage du libraire-voyageur. Ajoutons que la poésie et l’humour agrémentent ce récit à peine romancé.

Une phrase

  • “ Le soir vers 5 heures quand l’odeur des sureaux et le vent d’Est sont montés dans ma chambre, nous fermons les fenêtres pour les y garder » (Jean Giraudoux). Qui dira jamais la nostalgie de la terre pour tout citoyen bien né ? J’éprouvais même le regret des mots d’autrefois. Des mots d’un monde enfui, ceux des grands navires d’avant : misaine d’artimon et brigantine, gui et roufles, gabier…. Enfant, on pouvait lire sous la plume de Jules Verne, que les nageurs étaient munis d’une « ceinture natatoire en liège en lieu et place de ceinture de sauvetage…” (page 192)
  • Encore une phrase : “ Ah Bauer, à force de faire ces citations vous mourrez un jour d’une rupture d’aphorisme !” (page 187)

L'auteur

  • Pierre Assouline est né en 1953 au Maroc, à Casablanca alors sous protectorat. Après ses études aux Langues O il s’oriente très jeune vers le journalisme, collaborant d’abord au Quotidien de Paris (78-88) puis à France-Soir (88-93).
  • Pierre Assouline est un de nos plus grands biographes  par l’écriture, la recherche documentaire et le nombre d’œuvres produites. Parallèlement il continue et amplifie sa collaboration avec les éditeurs et les médias : Editions Balland, France Culture, France Inter, le Monde 2, le Nouvel Obs et devient directeur du magazine Lire.
  • En premier lieu, il publie une biographie de Gaston Gallimard qui donne son nom, grâce à lui, à une rue de Paris, ex. Sébastien Bottin (où sont installées les Éditions), puis ce sera les biographies de Marcel Dassault, Georges Simenon, Albert Londres, Daniel Henry Kahnweiler, le dernier des Camondo, Hergé, Nadine de Rothschild (le Portrait)…. Il écrit aussi des romans comme Luttia, La Cliente, Sigmaringen, souvent dédiés à la période de l’Occupation. Il obtient plusieurs prix, dont en 1989 le prix de l’Essai de l’Académie Française pour Albert Londres, et en 2005 le prix des Maisons de la Presse pour Lutetia.
  • Pierre Assouline est membre de L’Académie Goncourt. Il vient d’échouer, à deux voix près, à l’entrée à l’Académie Française. Aucun n’a fait mieux ! Ce n’est que partie remise.

Commentaires

Legrand
lun 29/08/2022 - 15:29

Que de longueurs !

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