LE MANCHOT MAGNIFIQUE

Un héros de légende endormi réveillé par la plus noble des biographes
De
Guillemette de SAIRIGNÉ
Editions ALLARY
571 pages
Notre recommandation
5/5

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Thème

1884, Nijni-Novgorod, sur les bords de la Volga. Naissance de Yeshua Sverdlov dans une modeste famille juive. A priori aucun avenir pour eux dans cette Russie tsariste antisémite. 84 ans plus tard, la Légion étrangère rendra les honneurs en la cathédrale orthodoxe de la rue Daru à cet homme hors du commun, qui quitta l'école à 14 ans mais finit général français 4 étoiles, Grand Croix de la Légion d'honneur, ambassadeur de France, ancien compagnon de route de Maxime Gorki qui en avait fait son fils adoptif ;  Yeshua Sverdlov changeant son patronyme deviendra Zinovi Peshkoff, du nom de Gorki lui même. L'ancien "légionnaire", le seul mot de son épitaphe, sera l'un des hommes de confiance du général de Gaulle, son conseiller diplomatique pendant la guerre, remuant ciel et terre de Madagascar à l'AOF et à l'Indochine pour rallier combattants et soutiens à la cause de la Résistance.

Le Manchot magnifique est donc une biographie, pas une biographie ordinaire, mais la vie d'un aventurier de haut vol,  d'un personnage romanesque s'il en est, au pouvoir de séduction hors du commun qui n'a d'égal que son sens de l'Etat et des valeurs humanistes.

Car Pechkoff est un preux chevalier, ni affairiste ni opportuniste, aussi brillant sur les champs de bataille qu'autour des tables de négociations. Sa vie est un roman, le livre de sa vie un monument ... historique. Personnage complexe et paradoxal, Lyautey disait de lui :  "Il fut un grand soldat mais jamais tout à fait un militaire"; Pechkoff mit sa grandeur d'âme russe au service de la grandeur de la France. Bolchevik de la première heure, tandis que son frère Iakov, compagnon d'armes de Lénine deviendra Président du comité central exécutif en 1918, il prendra les armes aux côtés des Russes " Blancs".

Points forts

- Une grande fresque historique ; le livre d'une destinée légendaire et captivante, ce "Manchot" est un sésame pour nous aider à mieux comprendre les bouleversements et enjeux du monde du 20e siècle, à la rencontre des 100 grands  hommes qui l'ont façonné. Des prémisses de la révolution russe avec Gorki, à l'épopée de la France libre avec De Gaulle en passant par la pacification du Maroc avec Lyautey et la campagne de France avec le Général (à l'époque) de Lattre, sans oublier son poste d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire en 1943, en Chine nationaliste  auprès de Chiang-Kaï Shek, nous caracolons avec le Manchot Magnifique à travers les plaines sibériennes, pénétrons l'inaccessible Caucase, crapahutons dans les montagnes de l'Atlas, jouons les gardiens de phare du Cap de Bonne Espérance" , collectons des fonds pour la Résistance au Waldorf Astoria ! Bien avant , au sortir de l'armistice de 1918, nous avions suivi Pechkoff en Syrie et dans "le Grand Liban", alors sous mandat Français, où notre héros avait fait preuve d'une rare perspicacité et habileté, comme chargé du renseignement militaire aux côtés de futur général Catroux.              

- La rencontre de gens remarquables qui ont marqué notre époque à des degrés divers , avec force détails sur leur intimité, leurs comportements, activités et talents : Maxime Gorki, son père spirituel, que nous retrouverons exilé dans sa "cage doré" de Capri aux côtés de Lénine lui même et de notre "chauviniste émérite" selon les mots du poète de la révolution, Aragon, Blaise Cendras alias Frédéric Sauzer (rencontré dans une tranchée en 1915), Maurice Druon, Picasso , Derain ...Le prince de Danemark,  le Général Mac Arthur, qui recevra la légion d'honneur des mains du Manchot (!) à Tokyo, sa dernière conquête Edmonde Charles-Roux, et 100 autres. Ils deviennent tous, grâce à la complicité de Zinovi Pechkoff et à l'érudition de Guillemette de Sairigné, de vieilles connaissances pour le lecteur notamment grâce à des "tête-à-tête proustiens" selon le mot de Matthieu Galey.      

- La richesse de la documentation reproduite dans L'ouvrage, l'imaginaire stimulé par l'iconographie (cartes, photos de l'époque très émouvantes, fac- similé de correspondances ).

- La belle écriture,  à la fois dense et fluide, au service des tribulations et de la fabuleuse destinée de cet aventurier de fer et de charme, ami des plus grands, attentif aux plus démunis ; la sobriété et la précision du style font mouche dans la description des heures dramatiques. Par exemple, lorsque le petit caporal légionnaire, le 9 mai 1915 en pleine campagne d'Artois, s'extrait avec ses camarades du 1er Étranger d'une tranchée près de Douai , part à l'assaut sous la mitraille "et s'effondre le bras droit fracassé par une balle explosive" ;  il le perdra sur le champ...! Ce jour là,"4 kilomètres seulement resteront acquis. À quel prix" ; le 2e Marche du 1er Etranger a perdu 50 officiers et près de 2000 sous officiers et légionnaires tués ou blessés".
La légende du Manchot est née. A la fin de sa vie, il confiera à son ami l'ambassadeur Huré : "C'est à cause de ma blessure que je suis devenu quelqu'un". "Quelqu'un d'autre ! " lui rétorqua Madame Huré. Un critique contemporain ne résistera pas au bon mot : "Il a eu malgré tout le bras long ".

Quelques réserves

Quand on aime, on ne compte pas... les 571 pages de cette saga qu'aurait voulu écrire sa grande amie Edmonde Charles-Roux avant d'être emportée par la mort. Donc, aucun point faible pour moi qui aime tant les histoires qui nourrissent l'Histoire.

Encore un mot...

De Gaulle a écrit cette lettre à Zinovi Alexeïevitch Pechkoff, élevé à la dignité de grand-croix dans la légion d'honneur : " C'est  une belle et noble carrière que vous avez eue là, mon cher général. Pour moi , je puis témoigner que vous avez été, au moment où il le fallait , l'homme qu'il fallait,  là où il fallait. J'ajoute que vous avez mis le style". Ce "Manchot magnifique" est bien l'hommage qui lui faut avec le style qu'il faut, écrite par la biographe qu'il faut ! Un travail titanesque pour un homme immense. Le Panthéon n'aurait certes pas été trop grand !

L'auteur

Guillemette de Sairigné, née en 1947, est journaliste, ancienne collaboratrice à L'Express, Le Point,  Madame Figaro, spécialiste des grandes interviews. Elle est aussi, et surtout, la fille de son père, ce héros de Bir Hakeim, Gabriel de Sairigné, tombé au champ d'honneur en Indochine quelque mois après sa naissance ; elle écrivit "pour lui", à cinquante ans,  son premier ouvrage Mon illustre inconnu. Enquête sur un père de légende (1998) ; grand succès d'édition. Plus tard elle s'attaqua à la biographie d'une grande dame, figure légendaire de l'Armée, icône de la légion, d'origine russe ayant fui la révolution de 1917 et qui consacra sa vie, une fois revenue en France, à la création et à l'animation de la première brigade d'ambulances militaires équipées pour la chirurgie lourde (campagne de Tunisie, d'Italie en 44/ 45) puis qui, plus tard, servit en Algérie ( La Circassienne, Robert Laffont, 2011).

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