Le Mage du Kremlin
Parution le 14 avril 2022
280 pages
20 €
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Thème
Comment un ex-artiste a aidé un personnage, falot d’apparence, à revêtir les habits du pouvoir absolu.
Dans cette fiction réaliste, Giuliano da Empoli décrit de l’intérieur comment Vladimir Poutine a établi son pouvoir absolu sur la Fédération de Russie avec le concours de son spin doctor, le “mage du Kremlin”. Une perspective intimiste éclairante alors que se poursuit la guerre en Ukraine.
Petit-fils d’un opposant impavide à la Russie communiste et fils d’un fonctionnaire zélé du régime des Soviets (“la petite garde rouge”), artiste, lettré, Vadim Baranov fait la rencontre de Boris Berezovsky, devenu propriétaire de l’ancien réseau de la TV d’État ORT. Berezovsky, un oligarque puissant aux fréquentations troubles, gouverne de fait le pays à la place d’Eltsine.
Sous la plume d’Empoli, Vadim nous introduit auprès de Vladimir Poutine, un Mister Nobody terne, chef du FSB, que Berezovsky a identifié comme successeur possible d’un Eltsine faible et incapable. Berezovski voit en Poutine le dirigeant capable d’incarner “l’axe vertical” de l’autorité quand Eltsine occupait “l’axe horizontal” de la proximité. Il a compris que les Russes étaient fatigués, qu’ils “voulaient un peu d'ordre'' alors que les héros de la mythologie communiste (l’ouvrier, le soldat…) avaient été remplacés par de nouveaux héros (banquiers, top models…) occupés à piller l’économie.
Vadim, devenu le spin doctor de Poutine, comprend que le nouveau Président ne sera jamais assujetti à aucun intérêt privé, qu’il peut être “accompagné mais non pas conduit”. Poutine déroule sa stratégie de conquête et d’affermissement de son pouvoir : lutte implacable contre les islamistes (et sa promesse “d’aller chercher les terroristes dans les chiottes”) à la suite des attentats de Moscou en 2000, mise à l’écart des oligarques (avec comme point d’orgue l’emprisonnement de Khodorkovski) qui pensaient que Poutine serait leur jouet, et enfin reconstruction d’une posture de puissance avec l’Amérique de Clinton qui “avait géré d’une main de fer le démantèlement de l’Empire soviétique”. Poutine met à la tête de l’État et des entreprises privées des hommes forts, ces “patriciens de la Rome antique qui cumulent pouvoir et argent”. En politique étrangère, il se comporte tout comme son labrador Koni, qui avait tant effrayé Angela Merkel, et qui “agit en souverain(e), sans demander la permission”.
Vadim contribue à consolider le pouvoir de Poutine en manipulant différents groupes auxquels peut s’identifier la population (des motards, des orthodoxes, des musiciens…) et qui installent la confrontation avec les “politiquement corrects''. Comme le résume l’auteur, il s’agit “d’abolir la nécessité d’une révolution”.
Les jeux de Sotchi en 2014, dont la chorégraphie est réglée par Vadim, sonnent comme la consécration de cette stratégie de grandeur retrouvée de la Russie. Vadim n’aura ensuite de cesse que de quitter cette scène, décidément trop pesante pour l’artiste qu’il est.
Points forts
Ce premier roman s’inscrit puissamment dans la réalité historique de la Russie post-communiste. Il implique des personnages réels comme Berezovsky ou Khodorkovski. Le personnage de Vadim est lui inspiré de Vladislav Sourkov. Ce récit rappelle à grands traits pittoresques la genèse de la Russie post-communiste et son ultra-libéralisme mafieux. Il montre que le choix de Poutine était pertinent tant il répondait aux aspirations du peuple russe lassé du déclassement du pays et de sa mise en coupe réglée par les oligarques, souvent des criminels.
Personnalité complexe marquée par des ascendants tout en contraste, Vadim est un acteur et témoin séduisant qui déploie des trésors de cynisme et de manipulation pour favoriser les aspirations de son chef. Il jette néanmoins un regard lucide et réaliste sur la galerie de courtisans qui s’est installée auprès du Tsar et celle des oligarques puissants tolérés tant qu’ils ne se mêlent pas de politique.
On réalise que ce roman, autant que des chroniques journalistiques ou académiques, aide à identifier la nature hégémonique de ce régime.
Quelques réserves
Certains détecteront peut-être des signes de complaisance pour le régime dans cette fiction réaliste. Après tout, l’histoire était écrite, il suffisait d’y prêter attention. Les Russes ont retrouvé leur dignité compromise par les excès de l’ère Eltsine. Ils soutiennent le régime autoritaire, son président et ses oligarques affairistes. Un système propre à séduire les populistes de tout poil, adeptes de la “Démocratie Souveraine”.
On regrettera enfin que le récit ne soit pas parvenu à donner plus d’épaisseur à son mage du Kremlin (plus de noirceur, encore plus de cynisme aurait pimenté davantage ce bon texte) qui s’efface devant le personnage qu’il sert, le maître du Kremlin, finalement le sujet central du livre.
Encore un mot...
Une lecture vivante pour saisir, au voisinage des acteurs, l’essence du pouvoir dans la Russie de Poutine.
Une phrase
- “Il y a les renards libéraux, les mammouths communistes et puis il y a l’ours, le symbole de l’âme russe, sauvage, puissant et noble. C’est ce qu’il nous faut Vadia : si les gens ne s’intéressent plus à la politique, nous leur offrirons une mythologie”. (page 87)
- ”Son occupant, un blond pâle aux traits décolorés, portait un costume en acrylique beige, arborait une mine d’employé, veinée d’une imperceptible pointe de sarcasme. «Vladimir Poutine», dit-il en me serrant la main”.(page 90).
- ”Au moins, à l’époque, la férocité des chiens de garde du KGB était contrôlée par les hommes du parti. Maintenant le parti n’existe plus et les tchékistes ont pris le pouvoir directement… Le KGB sans le parti communiste n’est qu’un gang de bandits “. (page 132).
- ”Notre chef d’œuvre a été la construction d’une nouvelle élite qui concentre le maximum de pouvoir et le maximum de richesse. Des hommes forts, capables de s’asseoir à n’importe quelle table sans le complexe de vos politiciens loqueteux et de vos businessmen impuissants”. (page 166).
L'auteur
Né en France en 1973, Giuliano da Empoli a grandi dans divers États européens. Sa riche carrière embrasse les professions de journaliste et éditorialiste de presse écrite et télévisuelle, d’enseignant et de conseiller politique (de Matteo Renzi en particulier). Son premier livre écrit à 22 ans Un grande futuro dietro di noi (Marsilio, 1996) sur les difficultés de la jeunesse italienne a rencontré un écho considérable en Italie. Il est aussi l’auteur remarqué d’un essai consacré aux spin-doctors nationaux-populistes, Les ingénieurs du chaos (Lattès, 2019).
Commentaires
On pourrait toutefois se demander ce que pense Poutine lui-même de ce livre,…Simple curiosité !
Ce livre a pour principal atout d'avoir été édité au bon moment. Je me suis ennuyé ferme face à un petit talent littéraire et a des ficelles politiques et romanesques un peu grosses. C'est un roman bon chic bon genre qui plaît car il est facile à lire et incite à la paresse intellectuelle. Bref ce qu'il faut pour l'intelligentsia parisienne et provinciale qui ne se cultive qu'à coup d'émissions télévisées.
J’ai acheté ce roman dans une gare et j’ai dû mettre un bon mois avant de l’achever : le style est propre mais banal ; le journaliste du récit cadre est attachant mais il s’efface ensuite pour laisser la parole au « mage », qui est vraiment très ennuyeux. Le régime de Poutine est glorifié tout en paraissant plus soporifique encore . La fin du roman vaut bien les romans de gare. Je ne comprends pas ce pourquoi ce livre a reçu prix et éloges.
Tout à fait d'accord avec les deux commentaires ci-dessus. Ce n'est ni un roman historique ni une fiction, ce qui donne toute liberté à l'auteur d'inventer des réalités là où le réel n'est pas assez aguicheur; et d'employer un style d'écriture sans intérêt littéraire, entre journalisme et analyse (pseudo) historique.
Comme on peut s'y attendre, les femmes sont toutes des acteurs de second plan mais belles et mystérieuses à souhait.
Il est bien triste que ce roman ait été tant célébré. On se demande quelles relations bien placées l'auteur doit avoir. Ce qui est bien dans la ligne du roman.
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