Le livre de la rentrée
Parution le 24 août 2023
236 pages
19,9 €
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Thème
Delafeuille est éditeur. Dans une petite maison d'édition, au titre prémonitoire : Mirage. Sa nouvelle directrice du marketing lui passe un message très clair : il n'a pas encore proposé de titre susceptible d'emporter un prix littéraire - à Delafeuille de le trouver parmi les manuscrits qui fourmillent depuis la crise sanitaire. Il y a bien ce texte composé par un jeune Geek, assemblage de SMS. Il y a l'invitation dans le Pays Basque par Luc, auteur à succès, qui pourrait bien faire basculer la donne. Car ces retrouvailles se font sous le charme de la nouvelle épouse de Luc, dont Delafeuille semble vouloir s'éprendre.
De ce Luc, il va être largement question. De son œuvre littéraire, dont est né le personnage de Delafeuille - ami et modèle d'éditeur dans deux de ses thrillers, de son union avec Delphine, dont est né Tommy. Et de leur rencontre, si longtemps repoussée, est née l'idée d'un livre … sur Delphine. Sera-t-il à la hauteur des attentes de la critique, qui peut valoriser une femme rebelle et indépendante, et non une femme, mère de famille et admiratrice de son mari, femme d'intérieur (au sens ménager comme intellectuel) accomplie ? Mais dans ce manuscrit que lui confie son ami, Delafeuille découvre décrits ses amours cachés pour Delphine et les moments qu'il vient de vivre alors que le texte a été écrit des semaines plus tôt. Où se cache la réalité ?
Points forts
Ce roman a le délice de mettre en scène un personnage qui connaît bien le monde de l'édition, ses codes, ses modes, ses portes d'entrées, germanopratines bien sur - du quartier de Saint Germain des Prés à Paris pour les non initiés ! La satire du milieu est savoureuse sans être méchante, mais au fil des pages, la chasse au best seller qui saura plaire à la critique est d'autant plus amusante que l'équipe de Culture-Tops, chroniqueurs bénévoles, se garde bien de ces "petits travers" !
Les chapitres sont courts, faciles à lire et emprunts d'un humour qui mélange l'ironie des situations, la description distante des personnages, les allusions amusantes à la littérature, au cinéma et à la musique du XXème siècle - clins d'œil qui contribuent au ton léger du livre.
Et ce qui semblait une histoire banale bascule progressivement dans l'étrange, sous les narrations successives et entrecroisée des personnages. Delafeuille en reste le point focal, entre personnage de romans noirs, éditeur dans la vraie vie de ce roman, personnage dans une œuvre en gestation tout au long de ces pages.
Cela pourrait s'appeler une mise en abyme.
Quelques réserves
Abîmes, abyme et habile sont les mots qui viennent à l'esprit quant aux réserves que peut susciter ce roman. Habile par sa construction, il peut se révéler excellemment savoureux alors que son étrangeté très subtile puisse, au terme du récit, s'avérer déroutante, voire décevante.
Encore un mot...
Bien écrit, facile à lire, d'une ironie souriante, la mise en abyme progressive de l'histoire forge saveur, complexité et originalité de ce roman. Au fond, ce n'est peut être pas si compliqué, voyez plutôt : Delafeuille est le personnage principal. Il est aussi le personnage de deux romans de Luc. Et il le sait, puisqu'il a peut-être publié ses romans. Ah non attendez ! Les romans en question sont signés de Luc Chomarat - des romans qui existent bel et bien, publiés notamment à la Manufacture des livres, qui publie Le livre de la rentrée de Luc Chomarat. Le livre de la rentrée, c'est aussi le titre du livre écrit par Luc sur sa femme Delphine et son ami Delafeuille. Mais le Delafeuille du Livre de la Rentrée, pas celui des Thrillers… Ah j'oubliais ! L'auteur de Le Livre la rentrée s'appelle Luc. Enfin, notez bien que l'auteur du livre, celui de la rentrée dont il est question dans le roman, et qu'il intitule Le livre de la rentrée, s'appelle Luc. Luc est Luc ? Chomarat est un sorcier !
Une phrase
- " Tout le monde avait écrit son livre.
Voilà la conclusion déprimante à laquelle était arrivé Delafeuille, quinze jours auparavant.
Pour des raisons que personne ne comprenait très bien, même si des théories toutes plus loufoques les unes que les autres circulaient dans le milieu de l'édition, une des conséquences les plus lourdes des dernières périodes de confinement était la multiplication des manuscrits qui encombraient les trains postaux, la moquette de l'entrée ici chez Mirage et, depuis qu'on avait eu le malheur d'autoriser la démarche sous forme numérique, les messageries électroniques des directeurs de collection.
Des citoyens lambda, entrés en confinement dans leur état normal, n'avaient pas tardé à devenir des génies littéraires, et souvent, même s'il était difficile de prouver la moindre relation de cause à effet, des alcooliques." P 49 - "- Mais il faut une histoire, non ?
- Ah oui, une histoire… Bon, vous savez comme moi ce qui marche. Le capitalisme, c'est pas bien, et ça il faut le dire, il faut avoir le courage de le signifier courageusement. Quoi d'autre ? La planète est en péril, d'après ce que j'ai entendu dire… Et puis les femmes, oubliez ce que j'ai dit, les femmes qui en ont marre, c'est toujours une bonne idée… Et la maladie, le malheur sous toutes ses formes. Un peu de cul. Du cul féministe, évidemment. Je ne vais pas vous apprendre votre métier.
- Non bien sûr… mais est ce que nous n'avons pas envie de découvrir un bon texte ?
- Un bon texte est un texte qui se vend." P 56 et 57 - "Les daims le firent penser à Delphine, à nouveau. S'il avait jamais cessé d'y penser. Sa mince silhouette s'imposa à lui, son sourire évidemment […]. Si naturelle. Elle semblait délivrée du souci de paraître. Le fait d'avoir quitté Paris ? C'est ce qu'elle disait. Mais il n'en croyait pas un mot. Elle était ainsi, simple et spontanée, même si elle était visiblement rompue au manège social.
Sur le siège à côté de lui, dans le sac de voyage, le manuscrit de Luc attendait. Ce tas de papier faisait un vacarme de tous les diables. Un bruit que Delafeuille était seul à entendre. Le texte cherchait à l'attirer à lui, à capter son attention, l'aspirer tout entier, lui sa vie son âme, lançant des phrases au hasard, des phrases qui parlaient d'elle." P 92
L'auteur
Luc Chomarat est un écrivain français, traducteur d'ouvrages en anglais. Avec un premier livre écrit à 22 ans, son œuvre se répartit à parts à peu près égales entre romans - à majorité policiers - essais et ouvrages pour la jeunesse. Il a reçu en 2016 le Grand Prix de la littérature policière pour Un trou dans la toile. Pour information, la mise en abyme n'est pas une première dans l'œuvre de Luc Chomarat - situation dans laquelle se retrouve le héros Delafeuille dans L'espion qui venait du livre (2014) et Le dernier thriller norvégien, paru en 2019.
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