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Thème
A Liévin, le 27 décembre 1974, au fond de la fosse 3 bis de Saint-Amé, meurent 42 mineurs, dont Joseph Flavent, 30 ans. Le malheur s’abat sur sa famille : son père, qui avait tenté en vain de le dissuader du choix de ce métier si dangereux, renonce à la vie un an après.
Michel Flavent, le narrateur, ne se remet pas de la disparition de ce grand frère adoré, qui lui apprenait la vie. Interprétant la dernière lettre de son père comme un ultimatum : « Venge-nous de la mine », il rumine pendant quarante ans sa vengeance.
Devenu chauffeur routier à Paris, il réunit dans un box toutes les traces de cet accident tragique. Même s’il est un temps apaisé par sa douce femme, Cécile, la maladie et la mort de celle-ci font renaître sa rage. Persuadé de la culpabilité du contremaître Lucien Dravelle, il retourne au pays en 2014 pour lui faire payer ce « crime », commis au nom du rendement à tout prix.
Mais rien ne se passera pas comme prévu et la vérité n’apparaîtra que dans les dernières pages …
Points forts
• Sorj Chalandon nous entraîne dès le début dans un récit habilement construit, qui nous réserve de multiples surprises. L’alternance des époques maintient une sorte de suspense.
• Michel, le narrateur, est touchant par l’admiration qu’il voue à son frère aîné : le souvenir de leur complicité joyeuse hante son « cœur de charbon ».
• Deux personnages féminins lumineux dans cet univers si sombre : Cécile, la femme de Michel, et Aude, l’avocate. Elles partagent la même beauté pâle ; intelligentes, sensibles et pudiques, elles affrontent les épreuves de la vie avec élégance et courage.
• Le monde de la mine est reconstitué avec minutie, depuis le souffle des chevalements jusqu’à la taillette ou le vestiaire du mineur, en passant par les rues grises, les maisons en briques, les terrils, l’unique café, sans oublier l’humble quotidien des familles.
• La mine elle-même est traitée comme un personnage mythologique du récit, un monstre qui menace, qui enlève, qui dévore. On pense au « Voreux » de Zola dans Germinal. Elle est opposée à la terre, à laquelle certains paysans, comme le père de Michel, restent si attachés.
Quelques réserves
On peut reprocher à Sorj Chalandon une certaine idéalisation des mineurs, à travers l’éloge sans réserve de leur dignité, de leur grandeur, de leur fraternité. « Fierté » est un mot qui revient comme un leitmotiv du début à la fin.
Encore un mot...
Un fait divers transformé en roman de l’humanité dans ce livre fort et profond, qui touche autant qu’il surprend. Sorj Chalandon poursuit ici sa quête sur la vérité des êtres ; rien n’est tranché pour lui, le bien et le mal coexistent en chacun de nous, victimes et coupables se confondent.
Il analyse avec talent les ressorts complexes de personnages torturés par le remords, qui n’hésitent pas à se sauver au prix de l’imposture. La trahison semble toujours être un de ses thèmes de prédilection. Et, comme Michel, il est doté d’une sensibilité à fleur de peau et habité par la colère face à la souffrance et à l’injustice.
Une phrase
- « Il avait appris à imiter le souffle des beffrois d’acier. Il s’était entraîné, le regard rivé aux poulies. Il jurait que ce vacarme était l’un des plus difficiles à reproduire. Et l’un des plus beaux. – N’importe qui peut imiter le chant du coq. Mais le chant du travail, c’est une autre histoire, disait Jojo. » p.13
- « La mort de Joseph m’avait fané. Ma jeunesse était vieille. » p.31
L'auteur
Chroniqueur judiciaire et grand reporter à Libération pendant trente-quatre ans, Sorj Chalandon, né en 1962, est depuis 2009 journaliste au Canard enchaîné. Il publie son premier roman en 2005 Le Petit Bonzi, suivi d’Une promesse, prix Médicis 2006, Mon traître, prix Joseph Kessel 2008, La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs, Grand Prix du Roman de l’Académie française 2011, Le Quatrième Mur, prix Goncourt des lycéens 2013 et Profession du père (2015).
Commentaires
Je viens d'acheter le livre "le jour d'avant". Une chance que je sois tombé "par hasard" sur une interwiew de Chalandon sur France inter je crois.
Je ne l'ai pas encore lu mais qu'il soit remercié de l'avoir écrit en 2017 soit plus de 40 ans plus tard.
Je suis né à Liévin, mon père etait mineur (décédé à 55 ans de la silicose).et j'etais aux obsèques au domicile de l'une des 42 victimes (François Kaczmarek).
Il est vrai que, finalement, et avec le recul, ce fut un bonheur de naître là. Les clichés, le misérabilisme, qui entourent cet univers, émanent de concepts que la société de consommation a imposés aux individus.
Oui la vie des mineurs était dure. Dur surtout par la perspective d'une mort prématurée et l'exploitation qu'ils subissaient.
Mais quelle richesse! (avec le recul toujours). Et ce n'est pas "idéaliser" que de le dire puisque je l'ai vécue.
La simplicité intelligente (car les mineurs avaient une conscience parfaite de la domination du capital et de sa prédation permanente). "Comparaison n'est pas raison" mais je dirais que vu la situation actuelle, politique, sociale et "intellectuelle", les mineurs et leurs luttes de haute tenue politique et sociale, sont une convergence exemplaire entre l'histoire et le présent à reconstruire.
Certes les rapports de production étaient plus "directs" alors qu'aujourd'hui la "communication" et les nouvelles technologies faussent la donne (et pourtant en France de 2017 + de 500 morts par accidents du travail et 4000 mises en invalidité chaque année).
Il.n'en reste pas moins qu'il apparaît de plus en plus que le système (capitaliste) qui nous gouverne n'est pas plus adapté à l'existence humaine qu'il ne l'était hier.
Mais, toujours avec le recul, et paradoxalement, je suis "nostalgique" (la nostalgie peut être un avenir parfois) de cette époque dont je n'avais pas suffisamment conscience en fait. Ce sont mes experiences d'après qui ont fait jaillir cette "nostalgie" (et pourtant j'ai rencontré des gens biens comme on dit, y compris des gens "intellectualisés" au sens où ce pays a tendance à le comprendre ou à en abuser de sens réel).
Jamais ce pays minier n'est sorti des entrailles de mon âme. Je l'aime plus que jamais en fait (peut être un effet de l'âge diront certains; tout simplement l' intégration sensible d'une histoire tellement riche d'humanité)
Je remercie Chalandon pour l'hommage qu'il rend à ces hommes, ces victimes d'un "capitalisme" assassin, qui hélas, aujourd'hui, sous d'autres formes, perpétue ses crimes.
Merci pour cette région.
Cordialement.
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