Le dernier des soviétiques
Parution en mars 2023
180 pages
19 €
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Thème
Situé en 2010, au milieu de nulle part, ce récit romancé met en scène un lieu et des personnages emblématiques de la Russie d’aujourd’hui : quelques centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, vivent, isolés au sein de la forêt boréale, à près de 2.000 km au nord-est de Moscou. Isolé du reste du pays, à équidistance de la Mer de Barents, au nord, et de l’Oural, à l’est, le village d’Izhma desservit pendant vingt ans (1978 à 1998) une grande région sauvage dont les ressources, minières et pétrolières, paraissaient alors prometteuses pour les gouvernants communistes. Son aéroport rustique servit de plaque tournante aux liaisons aériennes de l’époque, au cœur de la république socialiste des Komis.
La chute de l’URSS et l’émergence chaotique de l’actuelle fédération de Russie ont changé la donne : après Gorbatchev & Eltsine, les dépôts de carburant, la fourniture d’électricité et les personnels aéroportuaires s’évanouirent: les passagers se raréfiaient et les vols s’espacèrent. Seul resté à son poste, Sergueï s’évertuait pour entretenir sa piste et son bâtiment de services, avec les maigres moyens du bord…
Le récit débute vers la fin de l’hiver 2009-2010. Toujours pas d’avion pour Izhma ; solitaire, Sergueï poursuit une mission impossible, surtout l’hiver : maintenir sa piste en état pour recevoir des avions. Des ragots entretiennent l’espoir d’une relance du trafic lorsque des compagnies minières montrent le bout de leur nez ; jusqu’au jour où, sans préavis, la vie de Sergueï bascule ! Medvedev est alors président intérimaire de la Fédération de Russie, et Poutine son Premier ministre omnipotent. Izhma, sa piste, son gardien, son policier, le pope local et un localiste du Drapeau Rouge, sont brutalement plongés dans l’actualité nationale. Leur destin va-t-il basculer ? C’est le thème de ce livre passionnant dont je préfère laisser le lecteur découvrir l’intrigue.
Points forts
Si les aventures que décrit ce récit romancé sont en partie imaginaires, la trame de l’histoire, en revanche, repose sur des faits réels. L’art du conteur lui permet de mettre en scène des êtres de chair et de sang, parfaitement crédibles ; de les mouvoir au sein d’un décor qu’il connaît ; et de relier ses personnages à des faits historiques.
Cela révèle son double talent : celui d’un observateur attentif des hommes et des situations d’une part ; et d’autre part, celui du romancier qui transpose ce qu’il a connu pour animer des héros vraisemblables. Les principaux caractères de ce livre sont, je l’ai dit, des emblèmes de la société russe : déplacés loin de leur base dès leur jeunesse, suite aux foucades planistes de l’Empire soviétique, ces personnages n’ont plus d’attache ; mais tous conservent, plus ou moins consciemment, des stigmates du matérialisme socialiste au sein duquel ils ont grandi ; et une pulsion irrépressible de rédemption qui fait parfois bon ménage avec leur fatalisme slave.
Avec une saine économie de moyens, l’auteur porte sur nos contemporains russes un regard aigu mais bienveillant ; il décrit sans fard des choses vécues : les points-presse présidentiels au Kremlin, par exemple ; ainsi que la brutalité cynique et méprisante qui sue par tous les pores d’un agent du FSB qui rappelle les commissaires politique décrits par Arthur Koestler à l’époque des grandes purges staliniennes (Darkness at Noon, 1945 ).
Quelques réserves
Bâti sur une solide trame, ce récit assez bref n’a guère de faiblesse. Il peut se lire à l’improviste, sans aucune connaissance antérieure de la géographie ou de la politique, ni en Russie actuelle, ni de l’URSS qui l’a précédée. Mais le lecteur ne goûtera vraiment du sel et de la profondeur de ce livre que s’il fait l’effort de s’informer quelque peu sur les lieux, sur les circonstances et sur le contexte auxquels ce livre fait écho. Il découvrira alors les intentions de l’auteur et le message liminal qui sous-tend ce récit qui se lit, certes, comme un roman policier ; mais dont on retiendra d’autant mieux les leçons après avoir fait l’effort de l’inscrire dans la Russie contemporaine, un territoire si grand, si divers et très différent de ce que nous connaissons en Europe occidentale !
Encore un mot...
Le talent de Marc Nexon traduit fort bien les tensions profondes et les désillusions qui minent le moral d’une partie de la population qui vit loin des villes et de la société clinquante, intéressée et corrompue de la Russie d’aujourd’hui. Parfois pointilliste, son écriture sobre et directe est d’excellente facture. Quant au fond de l’histoire, il illustre avec force l’exact contraire de ce qu’annonce son titre : non, le dernier soviétique n’a pas encore disparu !
Une phrase
- « Sergueï avait eu raison de craindre le pire…en 1991, le sol se dérobait, l’URSS se disloquait. » p.29
- « L’humeur positive du Père Goutchov…-des jours heureux attendent Izhma…il n’est pas exclu que Sergueï ait eu (alors) une pensée pour le Très Haut !» p.86
- " Aujourd’hui, rien ne garantissait l’impunité…le renseignement ne circulait plus (que) dans un marécage où s’enrichissait la nouvelle aristocratie du Kremlin. » p.109
- [à propos de Poutine] : « Oleg, le journaliste du Drapeau Rouge, le confirmait : -le boss, c’est lui, il est là pour longtemps ! » p.131
L'auteur
Marc Nexon est un grand reporter français qui a sillonné la Russie en tous sens depuis plus de vingt ans. Publiés dans l’hebdomadaire Le Point auquel il est attaché depuis 1998, ses multiples reportages sur la Russie et sur les anciennes républiques soviétiques sont toujours très parlants. Nexon se rattache à la longue tradition des reporters ethnographes (comme Florence Aubenas) qui s’intéressent non seulement aux lieux, aux hommes et à leurs conditions de vie, mais savent aussi traduire pour le grand public le climat des sociétés qu’ils approchent et ou qu’ils découvrent. Il a publié en 2020, chez le même éditeur, un récit qui décrivait l’atmosphère étouffante des rues de la capitale de Corée du nord, traversée par un marathonien : La traversée de Pyong Yang.
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