Le dernier des siens
Parution Août 2022,
220 pages
19 €
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Thème
Notre histoire débute en 1835, sur l'île d'Eldey, au large de l'Islande ; Augustin, zoologue, capture un Grand Pingouin lors d'une chasse qui les décimera tous, sauf lui. Conscient qu'il est le seul survivant de sa petite colonie, il le protège, lui apporte les soins nécessaires et le sauve de l'avidité des marins qui en apprécient la chair et les reliques, qui se vendent à prix d'or auprès des collectionneurs. Ce roman raconte à la fois l'union improbable entre ce jeune scientifique et ce grand pingouin, la vie de l'un et de l'autre entre Islande, Îles Féroé et Danemark et la conscience naissante de l'extinction proche de la seule espèce de grand pingouin de l'Atlantique nord. Il propose, par le détail de leurs aventures, une réflexion sur l'attachement réciproque de l'homme à l'animal, sur la notion d'évolution et extinction des espèces, en plein débat au milieu du 19eme siècle.
Points forts
Le Grand Pingouin, qui vivait sur les rives de l'Atlantique Nord, a été déclaré "espèce éteinte" en 1844, sur la base de constats effectués précisément sur la microscopique île d'Eldey, au sud-ouest de l'Islande. Si ces faits sont avérés, pure fiction, la tentative de "Gus" de sauver, élever et de rendre à la mer "Prosp" afin qu'il contribue à la préservation de l'espèce, s'inscrit cependant dans un cadre historique, géographique et social précisément reconstitué.
Convenons qu'elle aurait pu être vraie, jusqu'au dénouement qui atteste que Prosp fut vraisemblablement "le dernier des siens".
Les relations de l'animal à l'homme et le regard presque ethnologique de l'homme sur l'animal sont décrites de façon empathique et détaillée, rendant la projection de l'histoire vers le lecteur facile et intéressante.
Bien entendu, ce roman pose, par l'exemple, la question de l'extinction des espèces animales, des théories en balance à l'époque (Buffon, Lamarck, Cuvier, Darwin) et avec une actualité qui ne peut être démentie, sur le rôle de l'homme dans ces extinctions.
Quelques réserves
Peu de réserves sur ce roman bien écrit, qui raconte un fait divers "tragique", dont la portée ne fut pas ignorée à l'époque.
Si l'on peut comprendre l'attachement d'Augustin à Prosp, ses efforts acharnés pour lui faire retrouver les siens au prix de sa raison, certaines marques de l'attachement de Prosp à Augustin relèvent peut-être plus des "figures anthropomorphiques" que de la réalité.
Encore un mot...
Le Grand Pingouin, un peu moins que le Dodo de l'île Maurice, sont les symboles connus de la prédation de l'homme sur les espèces vivantes, ces deux gros volatiles ayant disparu au cours du 19eme siècle. Le dernier des siens témoigne de cette prise de conscience naissante, que l'ère industrielle anesthésiera fortement et que les prévisionnistes les plus pessimistes déclarent aujourd'hui "sixième extinction", en particulier pour les mammifères. Sans vouloir faire de chaque livre qui en parle un manifeste pour la préservation et le bien être animal, ce roman offre facilement deux niveaux de lecture. Une belle histoire, captivante et immersive, d'une amitié exclusive et folle entre un homme "instruit" et un pingouin, qui ne sait évidement pas (et c'est le sujet de l'autre versant de la lecture), qu'il est pingouin, devenu unique. L'alternative est de lire ce roman comme une métaphore des débats actuels sur la préservation des équilibres écologiques de la Terre, et la place délétère, ou non, prise par l'homme dans la nature. A vous de choisir. Dans l'un ou l'autre cas, vous ne serez probablement pas déçus car à aucun moment il ne bascule dans la caricature, le mélo "décliniste" ou le militantisme animalier.
Une phrase
- "Gus le regardait avaler ses poissons, émettre des bruits de déglutition, des cris de réconfort, et il comprenait que sans lui, ce qui vivait, là, sur son sol, mourrait. L'impératif était rendu encore plus grand par leurs différences insurmontables, par le fait qu'ils ne se parleraient jamais, ne se comprendraient jamais, que la seule chose qui les unissait était une connaissance intuitive de la vie, qu'ils voulaient l'un et l'autre conserver." P 49
- "Gus aurait mieux surmonté la disparition du grand pingouin s'il avait pu accuser un volcan, ou les orques, ou des ours blancs. Mais cet oiseau mourrait d'avoir été la matière première des ragoûts, de steaks noirs, d'huile qui n'était même pas meilleure que celle des baleines." P 129
- "Ils arrivèrent au nord-ouest de l'Islande pendant l'été 1849. Ils s'installèrent dans une maison d'une seule pièce, faite de pierres et d'herbes, près du rivage. La maison garderait la chaleur en hiver. Le premier village se trouvait à quatorze kilomètres. Ils étaient juste tous les deux, sur les cailloux et les prairies, mais c'était normal, ils étaient les seuls et les derniers : Gus le dernier homme sur terre qui verrait un pingouin, Prosp, le dernier des siens." P 159
L'auteur
Sibylle Grimbert est éditrice et romancière. Cette dualité intéressante l'a conduit à découvrir certains ouvrages sur le comportement animal, qui ont inspiré sa plume. Elle crée sa maison d'édition, les Editions Plein Jour en 2013. Raconter "l'étrangeté" est présenté comme une de ses singularités. Elle publie son premier roman en 2000, et avec Le dernier des siens, en a écrit 11. Celui-ci a été retenu dans les sélections des Prix de l'Académie Française, du Prix Renaudot, et du Fémina à l'automne 2022.
Commentaires
Je partage votre analyse très juste
C'est un livre merveilleux
A lire et faire lire à notre jeunesse
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