La plus secrète mémoire des hommes
Août 2021
557 pages
22 €
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Thème
Diegane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre un livre étrange et envoûtant : Le Labyrinthe de l'inhumain. Fasciné par le texte et les vérités intemporelles qu'il énonce, il cherche à en connaître l'histoire. Car ce livre semble avoir valu à son auteur l'admiration puis l'opprobre, trop exceptionnel pour avoir été écrit par un "nègre" (le livre est publié dans les années 30), trop érudit pour ne pas cacher quelques fraudes littéraires et plagiats.
Diégane ne se lance pas moins sur ses traces - nous sommes en 2018, et il tente de retrouver "T.C Elimane", ses proches, son éditeur, ses égéries, sa famille. Sa quête va le mener, à travers les rencontres fortuites ou les intuitions, à retrouver des témoins de l'époque, une poétesse noire et sa mentore haïtienne, des critiques littéraires, des morts étranges et beaucoup de vivants, membres de la diaspora littéraire francophone en Europe. Les chemins à rebours du temps et de la mémoire, de témoignages en témoignages, d'amours intenses vécues, fantasmés ou craintes, vont le conduire à parcourir 70 ans d'histoire, de fuites, de ressourcements, dont le fil conducteur restera la passion d'écrire et la condition d'écrivain africain.
Points forts
Ce roman est indubitablement inventif dans la forme et dans le fond. Il est composé de trois livres qui sont trois temps de la quête de Diégane, principal narrateur, mêlant personnages, époques, lieux, témoignages vécus et racontés, rationalisme et traditions africaines.
Il imbrique et dévoile très subtilement, par le récit, le dialogue, les lettres retrouvées ou perdue, le chemin personnel et littéraire de cet auteur mystérieux, dont l'œuvre unique interroge tous ceux qui l'ont côtoyé, singulièrement Diégane, sur la vocation de l'écrivain et le sens de son engagement.
Quelques réserves
Récit labyrinthique s'il en est, La plus secrète mémoire des hommes résonne comme une mise en abîme qui brasse les identités, les lieux, les conteurs, le passé, le présent, les écrits, les SMS, les réflexions sur la littérature… au risque de s'y perdre.
Le début de l'histoire, quand Diégane décide de partir à la recherche de cet homme effacé de l'histoire, m'a paru long tant la mise en place des décors semblait nous éloigner du sujet. Pour autant, cela vaut la peine de poursuivre car certains chapitres sont passionnants et surprenants d'inventivité - pour avancer sur les traces de cet auteur perdu.
Encore un mot...
Encensé par la critique, La plus secrète mémoire des hommes est un roman qui m'a paru inégal dans le fil de son déroulement, incontestablement bien, voire très bien écrit (un plaisir qui ne se boude pas) et surprenant dans son thème. Pour autant, je ne passerai pas sous silence la déception de la fin, la rencontre avec quelques poncifs : amours dans toutes les combinaisons possibles, plaidoyer contre l'aliénation du colonialisme, massacres éthiques et transmission de la haine, démagogie des élites africaines, le questionnement sur le sens de l'œuvre de l'écrivain.
Toutes réflexions utiles et sommes toutes intelligemment amenées dans le fil du récit, mais contradiction à dénoncer la dictature de la culture littéraire occidentale et de sa perception stéréotypée du continent africain et de ses traditions, alors que les plus belles pages du roman me semblent se situer au cœur du Sénégal, dans les descriptions de la famille, de l'enfance et l'errance de cet homme étrange.
Soyons juste : cette fiction habillée d'un très beau titre abrite un roman intéressant, un auteur qui ne l'est pas moins - et interroge enfin sur la perception occidentale des écrivains africains, tiraillés entre comparaison et légitimité naturelle. Il est dit enfin que ce roman est inspiré du destin tragique de l’écrivain malien Yambo Ouologuem, vainqueur du prix Renaudot en 1968 pour son premier roman Le Devoir de violence. Il lui est très vite reproché d’insinuer que des chefs locaux ont contribué au colonialisme en Afrique et d’avoir plagié des extraits de romans connus, de la Bible ou du Coran. Le contexte de la décolonisation et des indépendances des années 60/70 lui ont valut le reproche ultime d’être un traître à l’identité africaine.
Une phrase
"Le Labyrinthe de l'inhumain appartenait à l'autre histoire littéraire (qui est peut être la vraie histoire de la littérature) : celle des livres perdus dans un couloir du temps, pas même maudits, mais simplement oubliés, et dont les cadavres, les ossements, les solitudes jonchent le sol de prisons sans geôliers, balisent d'infinies et silencieuses pistes gelées." P 22
"Je demeurais silencieux. Devais-je mentionner Elimane et le Labyrinthe de l'inhumain ? Je craignais, comme je l'avais craint avec mes parents, qu'Aïda ne me trouvât vain ou indécent. Mieux valait mentir qu'assumer une passion que le contexte rendait soudain honteuse. Face à ce qui se passait dans le pays depuis quelques jours, quelle valeur, quelle importance pouvait avoir ma recherche ? Que pesait la question de l'écriture devant celle de la souffrance sociale ? La quête du livre essentiel devant l'aspiration à la dignité essentielle ? La littérature devant la politique ? Elimane devant Fatima ? Je mentis donc à Aïda. Je lui dis que j'étais là pour les vacances, pour voir ma famille." P 353
L'auteur
Francophone, Mohamed Mbougar Sarr est un jeune écrivain d'origine sénégalaise. Il a écrit trois romans entre 2015 et 2018 - La plus secrète mémoire des hommes est son quatrième roman - prix Transfuge du meilleur roman français 2021.
Son premier roman, Terre ceinte (2014, Editions Présence Africaine) a reçu en 2015 le prix Ahmadou-Kourouma au salon du livre de Genève, le Grand Prix du roman métis de Saint-Denis-de-la-Réunion et le prix du roman métis des lycéens. Silence du chœur, publié en 2017 par les Editions Présence Africaine, a reçu le Prix littérature monde du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo et le Prix du roman métis des lecteurs de la ville de Saint-Denis en 2018.
Commentaires
livre très intéressant, bien écrit MAIS je me demande pourquoi l'auteur a éprouvé le besoin d'utiliser un nombre relativement important de mots savants peu connus de le plupart des lecteurs. je lis beaucoup, j'ai une formation supérieure mais je n'avais jamais eu recours aussi souvent au dictionnaire ! Est-ce pour prouver qu'il maitrise parfaitement la langue française ? ce n'était pas nécessaire, cela fait un peu pédant !
Je cite en vrac parmi ces mots exotiques : gamahucher- épectase - prolegoménes - pygaphilie - mystagogie (et ce n'en est qu'une fraction)
De plus, l'utilisation de "prolégomènes“ ( définition : Longue introduction placée en tête d'un ouvrage, contenant les notions préliminaires nécessaires à sa compréhension) me semble incongrue alors qu'il s'agit (page 85) des préludes à une liaison amoureuse … pourquoi pas tout simplement "préludes" ?
Merci Madame pour ce commentaire qui révèle effectivement une des caractéristiques du roman. Intéressant, bien écrit - oui, vous avez raison de le rappeler en préambule. A votre remarque, je propose une interprétation : ce recours aux mots savants de l'univers littéraire est un en cohérence avec le profil du narrateur, qui est un jeune écrivain formé aux "lettres classiques", d'où ces mots à priori courants dans son quotidien, effectivement "exotiques" dans le notre !
Je ne suis qu'à la moitié, contrainte de faire des pauses tant ce livre est intense.
Je n'adhère à aucune des analyses ou commentaires que j'ai pu lire .
Il y a dans chacune de ces pages une authentique et universelle quête profondément existentielle de l'humain.
Ce livre est à lire pas trop jeune et surtout pas critique littéraire.
J'y reviendrai quand j'aurai terminé.
Il faut avoir vécu pour apprécier ce livre à son ample valeur, car on y trouve toutes questions personnelles et universelles qu'on a pu se poser au cours de sa vie. L'attachement qu'on éprouve à poursuivre est précisément de s'y retrouver soi même.
Et le génie de cet auteur jeune relève précisément du mystique. Le titre de son livre essaie de préparer le lecteur mais je vois d'après tout ce que je lis d'analyses et de commentaires qu'il n'y parvient pas.
Surtout pas dans le milieu médiatique actuel.
Et j'avais noté que Le Masque et la Plume souvent tranchants ou badinants..avaient observé la plus grande prudence teintée de gravité pour ce livre.
Tout à leur honneur
j'ai commencé ma lecture de ce livre en visite chez ma mère en Kabylie. j'ai eu du mal au début à y entrer. j'ai l'ai finis en retrouvant ma vie quotidienne à toulouse.je suis en train de le relire. j'attends la fin de ma relecture et je reviendrai faire un commentaire. la question de la bi culturalité et de la relation entre la France et les peuples issus de "ses colonies" est traitée de manière majestueuse.
je n'ai pas pu finir ce live tellement il st mal construit
On n saura jamais de quoi il parle et au fond on s'enfiche un peu.Peut-être du nazisme<?
Je suis retourné vers ma bibliothèque pour y puiser un livre soit de Marguerite Duras (quel soulagement) soit de Gide ou de Proust
le très beau style permet de continuer la lecture malgré un " fond " compliqué ...l'auteur est un grand amateur de Scrabble ...ce qui explique peut être ces mots " exotiques " !! et puis il ya la grande jouissance de trouver des imparfaits du subjonctifs ,très à propos !!
On n'entre pas aisemment dans le roman,mais certains passages sont jubilatoires par la musique des mots, la délicieuse description des sentiments,et aussi cette imagination narrative qui nous perd parfois et nous rattrape toujours...
Un bel hommage à notre belle langue française en tout cas.
Quand on n’est pas issu des études de lettres classiques ni bibliophile, le thème central, le Mc Guffin d’Hitchcock, peut sembler lointain. Les préoccupations littéraires d’un jeune auteur pourraient éloigner le lecteur « profane« mais comme le disent nombre des critiques ici déposées , l’intérêt capital de cette œuvre est l’existence. Des peurs enfantines terrifiantes (qu’il s’agisse de la Shoah ou des massacres au Zaïre ) jusqu’à la mort, l’absence, la parentalitė, en passant par le sexe (finalement assez sobre contrairement à ce que j’au pu lire parfois) , toute la vie est là . Je l’ai fini hier et j’en pleure encore .
Quel plaisir de découvrir (en ce qui me concerne) un auteur jeune et talentueux ! Un récit qui déroute par sa construction narrative mais tellement bien écrit.
Récit décevant d’une quête - laquelle au juste ? d’un auteur? d’un livre ? de soi ? d'une identité? de la littérature ?- l’intérêt s’émousse au fil des ruptures narratives… Pourquoi cette volonté de brouiller les genres ? les catégories ? les identités ? de multiplier les personnages ? les témoignages ? les lieux ? les époques ? les mises en abîmes ? les citations ? les supports d’écriture ?
Livre labyrinthique et savant, soit… qui à force de vouloir être total en devient confus et laisse Ariane perplexe.
Ce qui reste intéressant, au-delà du recours à une langue châtiée, c’est la réflexion sur la perception de la littérature francophone en Occident, le dialogue porté par l’auteur entre Afrique et Occident. Ce qui est beau, ce sont certains témoignages en particulier celui de Musimbwa à la fin du roman.
Si je cherchais à définir ce livre d'un mot, ce serait : la générosité.
La première partie du livre, vous êtes complètement perdu. Une suite de mots que vous avez du mal à comprendre, heureusement qu’il y a internet. J’ai lu tous les grands auteurs récents ou anciens et je me suis donnée comme règle de toujours terminé un livre. Pourquoi ce livre a-t-il eu le prix Goncourt alors que les 3/4 des élèves de terminale sont incapables de le comprendre.
Félicitations au juré
Si les 3/4 des éleves de terminal ne sont pas capable de le comprendre, c’est car le niveau baisse et c’est un autre sujet, bien inquiétant.
Un livre puissant, complexe, merveilleusement écrit. A la hauteur de son titre.
Je lis vos commentaires, vos critiques. Pour certains, vous ramenez tout à vous, comme Edith. Nous ne sommes pas le centre du monde, même pas de notre monde "privé". Un livre se ressent tout d'abord, on se laisse séduire, on abandonne nos préjugés et on part à la découverte. J'ai voyagé dans le cœur et l'âme des personnages, dans l'histoire aussi , j'ai appris de nouveaux mots, je me suis enrichie à tout point de vue et j'ai redécouvert ce qu'est la littérature.
PS : Merci Patrice pour ce rappel.
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