La mort de Fernand Ochsé
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Thème
Fernand Ochsé est un artiste aux multiples talents qui sévit à Paris entre le début du 20 ème siècle et
la guerre de 40. A travers cette figure, Benoît Duteurtre nous promène dans le milieu charmant des
intellectuels et des artistes, essentiellement des musiciens, de cette période florissante de
notre histoire culturelle.
Points forts
1) La description de ce milieu artiste est passionnante et très documentée. Dès le début on est
embarqué dans la vie des salons, dans une réception donnée par la famille Ochsé en1908 et
dont la description est un bijou ciselé, un condensé des fêtes de la Belle époque parisienne
avec le sens du décor, le luxe, l’élégance des femmes, la beauté légère de la musique, la
liberté naissante des moeurs.
2) Le parti pris réussi d’un récit plus journalistique qu’historique ou musicologique : pas de
notes de bas de page, pas de justification systématique des sources, mais on peut faire
confiance à l’auteur pour la maîtrise son sujet.
3) Le voyage dans l’univers de la musique de cette époque. C’est un plaisir de renouer avec
cette musique, témoin d’une joie de vivre, d’une joie de réparer l’horreur par les bien
nommées années folles. Ainsi de Ciboulette de Reynaldo Hahn à Phi-Phi de Cristiné, c’est le
royaume de l’opérette qui se jouait pour le plaisir de tous en maintes petites salles dans la
capitale avant que le théâtre lyrique ne soit cantonné dans les grandes salles. Olivier Métra,
André Messager sont les oubliés d’un bonheur perdu. Et puis vient le cinéma, la chanson
avec Maurice Chevalier, Yvonne Printemps, l’arrivée du jazz américain, le spectacle complet
de Joséphine Baker, Les Collégiens de Ray Ventura.
4) Le portrait d’une société dans laquelle prévaut le plaisir, mais au prix d’un travail
incalculable, où l’on voit poindre la liberté des moeurs, la drogue…
5) L’analyse du basculement du destin des juifs en France au cours de la seconde guerre.
Nombreux sont les talents artistiques juifs. Au début, la France, et Paris sont une terre
d’accueil pour les juifs allemands comme Vladimir Cosma et Kurt Weil qui s’intègrent au
milieu parisien avant de gagner l’Amérique. Comme beaucoup, les Ochsé commencent bien
tard à prendre conscience du danger et gagnent la zone libre. Mais Louise Ochsé écrit encore
en 1942: « On ne pourra pas faire de mal à des gens du monde »… Jusqu’à l’horreur.
6) C’est une époque, et c’est aussi un personnage, un personnage comme il n’en existe plus. Un
homme riche et passionné d’art qui ne se contente pas d’envoyer des chèques à de grosses
structures comme les mécènes d’aujourd’hui, mais qui met son talent au service de l’art, qui
vit et travaille dans ce milieu et qui y trouve toute sa place. C’est un talent éclectique,
pianiste efficace, compositeur doué mais dilettante, peintre excellent, décorateur de
spectacle reconnu et recherché, organisateur de spectacles qui ne compte ni son temps ni
ses deniers. Et pourtant c’est un homme fragile, ô combien !
Quelques réserves
Le seul point faible de cet ouvrage, c’est la lacune de sources. Benoît Duteurtre a fait son maximum,
mais les traces restantes de la vie de Fernand Ochsé sont insuffisantes pour justifier une vraie
biographie. Du fait de la guerre, tous les objets lui ayant appartenu ont disparu et restent
introuvables (notamment une collection d’automates qui fait rêver), les courriers, le manuscrit d’un
opéra entier n’existent plus. Benoît Duteurtre compense cela par une étude à la fois magistrale et intime
de tout le milieu artistique parisien qui englobe ce destin - le personnage central devenant ainsi
personnage secondaire d’une oeuvre dont l’époque est devenue le personnage central.
Encore un mot...
Ma réaction est très personnelle : Je suis musicienne, ma famille est musicienne. Les chansons
composées par mon grand-père ont été éditées chez Ray Ventura et mon père a chanté avec Yvonne
Printemps. La lecture de ce livre ravive en moi le sourire paternel quand il évoquait cette époque
bénie.
Malheureusement, nous ne jouons plus, nous ne chantons plus ce répertoire, ou très peu, nous-même l’avons oublié !
Un grand merci, donc, à Benoît Duteurtre pour cette fresque vivante de ce monde de la musique de la première
moitié du vingtième siècle, de ce foisonnement musical dont il ne reste presque rien.
Une phrase
« Le service lyrique de l’ORTF fut démantelé en 1975 quand la direction musicale de Radio France
succomba aux premières urgences de l’internationalisation du goût. Rien ne parut alors plus urgent
que de supprimer cette activité jugée ringarde et d’inciter les orchestres du service public à jouer le
même « grand répertoire » que tous les orchestres du monde, quitte à perdre beaucoup de leur
singularité. Au contraire, l’oeuvre accomplie durant les décennies précédentes, dont témoignent ces
archives [de la Radiodiffusion française] permet encore en 2015 d’écouter des choses infiniment
rares …[qui] raniment instantanément les plaisirs d’un monde disparu. »
L'auteur
Benoît Duteurtre, musicologue de formation, est l’auteur de plus de vingt romans et de nombreux
essais dont les sujets sont souvent musicaux « mais pas que ».
Critique musical, il anime également des émissions sur France musique. Actuellement, on peut entendre tous les samedis de 11 h à 12 h
30 « Etonnez moi, Benoît » dont les thèmes varient entre l’opérette et la chanson d’avant-guerre en passant par Françoise Hardy et Enrico Macias.
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