La Messe allemande

Entre vérité et mensonge, un récit sur la culpabilité de la survie, étrange et profond
De
François Eulry
Éditeur Le Cherche Midi, mars 2021 -
268 pages -
18 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

Entre 1974 et 1980, Joseph entreprend entre Metz et Hambourg d'étranges et douloureux voyages. Il y convoque sa peine, ses fantômes, sa culpabilité. Officier français prisonnier en 1940 en Allemagne dans un oflag - un camp de prisonniers "réservé" aux officiers - il y est auxiliaire de Paul, prêtre captif avec lui, qu'il doit seconder puis remplacer, dévoué au réconfort des captifs. Il noue d'étranges relations avec les uns et les autres - à l'écoute de leurs confidences, avec le commandant Allemand du camp, qui semble le protéger. De cette période si singulière, Joseph est miné par une culpabilité dont il décide de raconter, à la première personne, la genèse.

Ce livre est son récit, au cours duquel les choses se révèlent peu à peu ; il est celui d'un homme accablé d'une forfaiture qui le tiraille dans sa foi, dont il offrira le recours et  le secours aux hommes qui l'entourent.

Points forts

-  Ce roman aborde le thème original et compliqué de la foi et du pardon en temps de guerre, de la difficulté de ne pas haïr, de ne pas juger, de porter des paroles d'espoir dans un univers de violences, celui de la défaite, de la honte et de la résistance dans un camp de prisonnier.

- Il aborde aussi le thème de la trahison, celle qui fit dire trois fois à l'Apôtre Pierre, aux Romains qui venaient arrêter le Christ, qu'il ne le connaissait pas. Cette tension pour comprendre les contradictions entre convictions et actes est "incarnée" par Joseph, aux portes d'une époque et d'un univers où la mort est une compagne qui révèle, qui libère ou qui tétanise.

- La construction du roman fait aussi son originalité, qui mêle subtilement le présent au passé, les styles d'écriture selon les périodes du récit, les états d'âme du narrateur et la lente découverte de ses démons, que l'on observe bien avant de les comprendre.

Quelques réserves

Cette histoire ne se décode ni ne se dévoile facilement. Si elle parle de foi et de pratique sacerdotale, fait de nombreuses références aux livres sacrés - ce qui pourraient effrayer certains lecteurs - elle le fait dans un contexte historique et dans une histoire personnelle très particulière. La compréhension progressive du besoin de témoigner de Joseph, atténue ce relatif "point faible" qui serait plutôt un point "discriminant".

Il en est un autre, plus littéraire : ce récit de guerre met en scène un narrateur et des personnages qui font de quelques mots rares et de l'imparfait du subjonctif un mode d'expression  courante. Il n'est pas certain, même dans un camp d'internement réservé à des officiers, que cela fut très courant. Mais ne boudez pas, à l'occasion de cette observation, un petit saut dans le Salut aux bêtes sauvages de Philippe Barthelet, sa dissertation (ou sa divagation) sur les "imperfections subjonctives". Voir plus globalement Salut aux bêtes sauvages.

Encore un mot...

Ce récit sur la culpabilité de la survie d'un homme écartelé entre vérité et mensonge, est aussi étrange à notre temps que singulièrement profond.

En oscillant entre roman historique et presque policier, méditation sur la foi, introspection de la culpabilité et du pardon, il expose à une tension qui dérange car elle n'est pas fiction, qui obsède parce qu'elle se refuse au premier degré, et qu'il faudra bien découvrir. Pour ce premier roman, François Eulry, dans un français "soutenu", nous surprend par la variété des styles et des rythmes d'écriture, tantôt factuels, tantôt exaltés, narratifs ou méditatifs, dont les "pourquoi" se révéleront peu à peu. Il offre aussi de belles références théologiques, ce qui en fait un roman hors du commun, du temps et des modes, un OVNI littéraire, une belle matière à réflexion !

Une phrase

"Je ne veux parler à mes camarades que de leur état de captif, voilà, que j'évoque l'Eden ! Me revient à l'esprit - je la garde pour moi - cette sentence si juste et tellement douloureuse là où nous sommes, de je ne sais quel Sage : "Ici-bas, nous sommes à moitié vivants, là-haut, nous vivrons entiers". Inaudible. A l'oflag, ce n'est pas la vie éternelle qui nous fait défaut, mais la vie tout court ; nous n'y vivons pas même à demi." P 176

L'auteur

Médecin militaire et "officier Général", François Eulry a dirigé l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce à Paris. Il y a longtemps été titulaire d'une chaire d'enseignement. Il a pris sa retraite après d'importantes fonctions d'État major. La Messe Allemande est son premier roman.

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