La Mer à l’envers

Un roman psychologique qui peut laisser le lecteur sur sa faim mais qui illustre bien la problématique actuelle de l’immigration en Europe.
De
Marie Darrieussecq
Ed. P.O.L
256 pages
Notre recommandation
2/5

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Thème

Rose, une quarantenaire parisienne, se rend pendant les vacances de Noël avec ses deux enfants en séjour sur une croisière en Méditerranée, où l’atmosphère rime avec déconnection du réel et satisfactions matérielles illimitées. Désabusée et ne maîtrisant au fond rien du cours son existence tout en prétendant venir en aide aux autres grâce à son métier de psychologue, Rose tombe un soir sur un équipage de migrants ayant fait naufrage et repêchés par le bateau de croisière. Elle rencontre alors Younès, un jeune migrant d’une quinzaine d’années, à qui elle donne sur une impulsion le téléphone portable de son fils aîné du même âge. Elle retourne de nouveau dans sa routine parisienne tout en gardant en mémoire ce garçon, qui l’appelle à plusieurs reprises et essaye d'établir le contact. Ce n’est que lorsque Rose suit son mari dans le Pays Basque, alcoolique et dont elle n'arrive pas à divorcer, qu'elle semble reprendre le contrôle de sa vie et de celles des autres, se décidant à sauver Younès qui se trouve dans une situation critique.

Points forts

-    C’est un roman qui illustre particulièrement l’ambivalence psychologique des humains, entre courage et lâcheté. Chez Rose, l’héroïsme est le fruit d’impulsions tandis que ses renoncements sont celui de la réflexion, la rendant littéralement impuissante à aider Younès à certains moments. L’alternance entre phrases courtes et longues traduit bien le dilemme intérieur dans lequel Rose se trouve malgré elle.

-    Les personnages sont représentatifs du flou identitaire à l’heure de la mondialisation. Malgré leurs situations sociales contrastées, Rose et Younès incarnent tous deux des personnages déracinés, l’une bourgeoise parisienne enfermée dans une existence nihiliste en dépit de ses « pouvoirs magiques », l’autre né au Niger en quête d’un avenir sur un continent où l’herbe est plus verte. 

-    L’atmosphère du roman illustre bien la complexité des problématiques actuelles liées à l’immigration, tout comme l’hubris des sociétés européennes. D’abord, le séjour en croisière, symbole de la déconnection du réel et du matérialisme, illustrés par la messe de Noël désacralisée « dans une boîte », avec le divertissement comme règle principale.

- On retrouve les mêmes motifs que dans les autres romans de Darrieussecq, à savoir l’étrangeté des personnage et leur entrée en collision avec un univers inconnu. Ici, c’est la technologie qui a le pouvoir de brouiller les frontières et de modifier le rapport à l’autre ; le téléphone portable qui sert de lien entre Rose et Younès les rapproche comme elle les éloigne. Il n’y a pas de réel dialogue la majorité du temps et quand Rose reçoit des messages ou appels de sa part, la distance génère autant de malentendus que de renoncements.

Quelques réserves

-    Le récit est à mon sens excessivement orienté sur Rose et ses états d’âme, parfois ses enfants et finalement très peu sur Younès, qui est présenté en permanence comme le jeune migrant « à sauver » et servant par conséquent à la première de miroir à sa mauvaise conscience. En-dehors de sa condition sociale, de quelques faits et gestes et de la ressemblance avec le fils aîné de Rose, Younès n’a pas de personnalité propre et est privé de l’ambivalence psychologique qui caractérise tout être humain. Cela souligne la position de supériorité inconsciente dans laquelle est placée la personne censée aider son prochain sur l’autre, aussi héroïques ses actes puissent-ils être.

-    La syntaxe est glaciale et les descriptions cliniques. Les détails de la vie quotidienne de Rose et de sa famille, narrés à longueur de pages et s’amoncelant les uns sur les autres alourdissent superficiellement le récit au lieu de le nourrir. En-dehors de ses quelques faits guidés par un instinct volatile et ses supposés « pouvoirs », pas toujours évidents à cerner, Rose n’a pas grand-chose à dire en général. 

- La chute du roman est un tantinet prévisible, voire simpliste.

Encore un mot...

Après lecture, ce roman me laisse partagée. En littérature, le thème de l’immigration a tendance à susciter des réactions binaires, pour des motifs davantage d’ordre politique qu’esthétique soit un concert de louanges de ses défenseurs, soit l’opprobre de ses opposants. Or, contrairement à la politique, dont les ressorts sont la démonstration et la persuasion, le génie de la littérature réside peut-être davantage dans la suggestion et la peinture subtile de mondes, même étrangers. Malgré les réflexions purement intellectuelles que certaines ficelles du roman peuvent susciter chez le lecteur, le monde de Rose ressemble dans l’ensemble à une voiture volée sur laquelle on ne cesse de rajouter des couches inutiles. A contrario, celui de Younès ressemble à une peau de chagrin, réduit aux impressions un peu biaisées et inconsistantes que la première a vis-à-vis de lui. Peut-être ce déséquilibre est-il volontaire de la part de l’auteure pour nous montrer à quel point l’on devient méfiant et lâche quand l’on est trop centré sur soi-même.

À voir selon votre goût pour la prise de risque. Vous serez soit séduit justement par la démarche soit vous vous sentirez extérieur au récit et peut-être un peu coupable de l’être.

Une phrase

 - « C’est sa mère qui l’a convaincue de faire cette croisière. Une façon de prendre de la distance. De réfléchir à son mariage, à son métier, au déménagement à venir. Partir seule avec les gosses. Changer d’air. Changer d’eau. La Méditerranée. Pour une fille de l’Atlantique. C’est plat. Une mer petite. Les côtes sont rapprochées. On a l’impression que l’Afrique pousse de tout son crâne contre l’Europe, d’ailleurs c’est peut-être vrai. Une mer tectonique, appelée à se fermer. »

 - « Elle eut ce réflexe, de tendre la main vers eux, d'essayer quelque chose, mais. ».

L'auteur

Née en 1969 au Pays Basque et psychanalyste de formation, Marie Darrieussecq, connue pour sa littérature expérimentale, s’est fait un nom depuis la parution de Truismes en 1996. Adepte d’une littérature expérimentale, ses personnages décalés et son rapport particulier à la langue sonnent comme une aventure dans une zone inconsciente inexplorée.

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