La Femme-Messie

Une aventure comme un manifeste - originale !
De
Bernard Reumaux
Encre de nuit
Parution en avril 2024
330 pages
19,95 €
Notre recommandation
3/5

Infos & réservation

Thème

Agathe termine sa thèse sur une femme utopiste, Flora Tristan, qui fut au milieu du XIXème siècle une inspiratrice du socialisme, et dénommée à l'époque la "Femme-Messie". Au hasard d'un retour sur Paris en Blablacar, elle rencontre Maya, jeune femme étrange et magnétique, passionnée par l'élevage des abeilles.

Pour Agathe, cette rencontre ressemble à un signe du destin car le vrai nom de Maya est Flora. Comme son sujet de thèse, celle-ci lui révèle préparer un événement qui veut bouleverser la vie démocratique en France, selon elle si malmenée depuis la présidence d'Emmanuel Macron. Cet événement vise la révélation d'un changement de paradigme dans la vie politique française, qui aura pour instrument des abeilles victimes de la modernité et des attaques contre la biodiversité. Tenant le fil acéré de leur relation, Agathe, héroïne et témoin de cet événement improbable, va en suivre, avec Maya/Flora les développements et les drames. Sa nouvelle compagne serait-elle la Femme-Messie du XXIème siècle ?

Points forts

Le premier point fort du roman est l'originalité du propos, associé à un volet historique précisément évoqué, celui de la vie authentique de Flora Tristan, ombre portée du personnage central qu'est Maya-Flora.

Il accorde une grande place à la psychologie des personnages, assez nombreux auprès de cette "reine des abeilles", activistes de tout bord, écologistes sans doute, libertaires un peu, affamés de démocratie directe, sûrement !

Le tableau de la France, sous présidence Macron, est plutôt sombre mais pas dénué de justesse, et pourrait, sous le climat de juin 2024, paraître pour le moins prémonitoire. Une France avide de changement, mais ce changement-là veut justement s'affranchir des urnes, tout en veillant au respect de toutes les sensibilités. 

Ce roman est enfin particulièrement bien écrit, mêlant les points de vue, celui de la narratrice, celui de Maya Flora (en italiques) et de quelques autres protagonistes de l'aventure s'exprimant par mails, les décentrant au gré des chapitres.

Quelques réserves

L'envers de la médaille serait de trouver un rythme lent au roman, bien que son auteur sache susciter l’indiscutable envie de tourner les pages. N'attendez pas vraiment de suspens - il y en a quelques bons passages - les longs développements qui éclairent la psychologie des personnages seraient plutôt le marqueur de cette aventure.

En post scriptum, le sous titre sur la couverture n'est absolument pas révélateur du contenu de l'histoire. Des Abeilles, oui il en est question ; suggérer leur insurrection - je dirais que c'est de "l'attrape-lecteur" !

Encore un mot...

Ce premier roman de Bernard Reumaux, écrit à 70 ans, comme il le souligne dans la postface, est une assez belle découverte par son thème et la maturité de son écriture. Il pourrait sonner comme un manifeste pour une démocratie plus participative - arguments à la clef - dont les abeilles sont le symbole, et Flora Tristan, qui fut aussi la grand-mère de Paul Gauguin, l'inspiratrice, féministe et socialiste, entière et incomprise à son époque. 

Ces références composent un roman original, plaisant à lire, prémonitoire au second degré… peut être ?

Une phrase

  • "Cette respiration m'enchantait, car rien ne m'insupporte plus que les moulins à paroles, leurs discussions interminables, au téléphone surtout, le moi-moi-moi désespérant qui nourrit tant de monologues croisés, sourds l'un à l'autre. Thomas avait compris cela, il réservait son narcissisme bavard à ses amis et, sauf pétage de plombs parfois, il savait préserver ma bulle.
    ... Le plus incroyable, poursuivit-elle, c'est que mon père s'appelle Tristan! Oui, c'est véridique! Flora, fille de Tristan Maubert. Fallait le trouver." P27

  • "Flora n'avait pas été mentionnée. […]. Mon Dieu, qu'est-ce que je faisais dans ce mauvais remake des réunions militantes que Flora Tristan, enthousiaste et désespérée, enchaînait il y a bientôt deux siècles pour réveiller le peuple, bousculer la société au nom d'une utopie insubmersible, la justice sur terre? Je touchais du doigt les métastases de cette illusion qui, vague après vague, traverse les siècles et se reforme à chaque génération. J'étais projetée au cœur de mon sujet de thèse, et pourtant je n'avais qu'un désir, crier mon refus, ma répulsion même. Qu'est-ce qui, dans l'aventure de Flora Tristan, tout à la fois, m'attirait et me faisait fuir les formes de sa résurgence? Le vertige de l'échec sans doute. Si Flora n'était pas morte, jeune, avant que son projet prenne véritablement forme, si son journal n'avait pas livré le récit délirant et pathétique d'une illusion, la Femme-Messie qui va sauver l'humanité, je ne serais pas allée vers elle, consacrant mon projet de vie à sa quête romantique. C'est sa Crucifixion qui me fascinait, pas son improbable Résurrection." P100 et 101

  • "Une vibration, comme une alerte. La reine s'éveille entre mes seins. Le bijou crétois irradie en basses fréquences.
    Ce matin, Ramsay a placé une reine dans la partie boîtier.
    «Tu sauras quand tu auras à la libérer», m'a-t-il dit.
    D'étranges tressaillements me saisissent, je les laisse s'éveiller, se porter à incandescence, frottant doucement mes genoux l'un contre l'autre, en écho aux vibrations du bijou." P 165

L'auteur

Bernard Reumaux est journaliste, ancien directeur et rédacteur en chef aux DNA (Dernières Nouvelles d'Alsace). Il est directeur éditorial de la collection "La grâce d'une cathédrale" et préside l'Académie des sciences, des lettres et des arts d'Alsace. Auteur et éditeur, il a publié plusieurs essais historiques.

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