La femme et l'oiseau
390 pages
20,9 €
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Thème
Ils ont chacun leur blessure. Thomas l'Alsacien, que sa captivité en Russie obsède, lui qui fut enrôlé de force par l'armée allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. Lui qui devint un "malgré nous". Elisabeth, mère et femme d'affaire dynamique, voit sa fille Vina, torturée par ses origines, son intelligence hors norme, et les bouleversements de l'adolescence. Et il y a le faucon - l'oiseau qui voit mieux que tous, lui qui a choisi Thomas lors de sa captivité, lui qui offre l'évasion et la clairvoyance, par la force de l'esprit.
Leurs histoires vont se mêler quand Elisabeth va décider d'éloigner Vina du lycée, suite à une altercation avec un élève. Elle va trouver refuge chez son grand Oncle Thomas, que la solitude des forêts vosgiennes aide à apprivoiser ses souvenirs. Cette sorte de huis clos en pleine nature sera l'occasion de révéler leurs fractures, où chacun est mis au défi de se dévoiler, ou de se laisser dévorer par ses démons.
Points forts
Ce roman semble un prétexte à évoquer la souffrance de ces Alsaciens enrôlés de force dans l'armée Allemande, les "Malgré nous" - souvent laissés en marge de l'histoire. Les années de guerre et de captivité de Thomas, qui vous tiendront sans doute en haleine car elles portent en elles les clefs de son caractère, sont inspirées de faits réels et parfaitement documentées, en l'occurrence la captivité de ces Français au camp 188 de Tambov, dans la forêt de Rada, au sud de Moscou.
La narration croise les points de vue des personnages, Thomas, Elisabeth, Vina et Mona (l'aide ménagère de Thomas), dont Isabelle Sorente évoque tour à tour la sensibilité, les sentiments, au fur et à mesure que se déroule l'histoire.
L'histoire enfin, sur un substrat historique glaçant, est belle et intéressante, qui associe les générations dans une recherche de résiliences croisées, celle de l'un aidant à celles des autres.
Quelques réserves
Je n'en vois (éventuellement) qu'une : le parti pris un peu ésotérique du rôle de l'oiseau - qui ne troublera probablement pas les familiers des philosophies bouddhiques.
Au cas où il y aurait un doute - ce roman n'est pas un prétexte à une exploration ornithologique ; il est en revanche une évocation parfois très crue de la condition des prisonniers de Tambov. Ce n'est pas une réserve, mais une particularité à savoir au moment où l'on engage sa lecture.
Encore un mot...
Ce roman est étonnant et beau. Par le lien que porte Thomas, un homme de 91 ans, avec son passé, sa façon de l'apprivoiser, comme sa relation avec ces faucons, âmes des forêts des Vosges, âmes de ceux qu'il a aimés. La relation mère-fille, qu'une origine particulière lie et divise, n'est pas sans évoquer les récits de Delphine de Vigan.
Avec une écriture dynamique et incisive, Isabelle Sorente fait preuve d'une belle sensibilité à traduire les tourments des amours perdus et amours naissantes, de la mémoire d'un frère, de la culpabilité, de la quête des origines, des interrogations sur le destin, les choix de vie et d'identité qu'il impose, ou propose. Oui, La femme et l'oiseau forment un étonnant fil conducteur à ce roman original. En ré-ouvrant un pan de la mémoire des souffrances d'un homme qui a vécu l'indicible, ce roman parle bien, et même très bien, de résilience et de transmission entre les générations.
Une phrase
- Elisabeth (p.164) :
"Elisabeth regarda l'heure. Elle pensa aux automates de la cathédrale. Dong. Dong. Dong. L'homme dans la force de l'âge passait devant la mort. Et la femme, où était elle? Dissimulée quelque part ? Déjà morte ?
Dong. Dong. Dong. A quoi bon perdre du temps. Elle décide de dire la vérité à sa fille. Elisabeth parla de sa fatigue à Vina. Elle n'employa pas le mot de burn out qu'elle trouvait à la fois effrayant et imprécis, mais pour expliquer ce que c'était, elle lui dit ce que ce n'était pas. Ce n'était pas une grosse fatigue qui passait après une bonne sieste. Après un week end de repos. Après une semaine de vacances. Un bouleversement, voilà ce que c'était. Quelque chose qui remettait en cause ses habitudes. ".
- Thomas à Vina (p.233) :
"Pour que ton champ de vision s'élargisse, il y a une frontière à passer et que ce soit une barrière, un péage ou un fleuve, pour passer la frontière, il faut payer quelque chose. C'est comme ça depuis toujours.
- Donc je suis en train d'arriver au péage ?
- Oui.
- OK.
- Quoi OK ?
- Je veux passer cette frontière. Je n'appellerai pas ma mère. Je vais lui faire confiance.
[…]
- Comment peut-on être sûr que les preuves d'amour silencieuses arrivent à leur destinataire ?
Thomas frémit.
- Personne ne peut en être sûr. C'est pour ça que c'est une frontière. Et c'est pour ça que ça vaut la peine."
- Thomas (p.280) :
" D'abord il ne vit rien. Puis soudain il le vit traversant la clairière.
Le gerfaut.
Le grand rapace aux rémiges mouchetées qui l'avait choisi neuf mois plus tôt. […] Il le suivit du regard aussi loin qu'il put jusqu'à ce qu'il semble plonger entre les arbres, alors il baissa les yeux.
L'oiseau s'était changé en femme.
Elle aussi avait suivi l'oiseau des yeux, les baissant en même temps que lui. Pour elle, le faucon venait de se transformer en homme. "
L'auteur
Isabelle Sorente est une romancière et essayiste au parcours particulier ! Scientifique, Polytechnicienne, pilote… Elle décide de prendre des cours de théâtre, et d'écrire son premier roman, L, à 30 ans. Ses romans comme La Faille (2015) et Le complexe de la sorcière (2020), accordent une attention particulière aux questions de dépendance, d'emprise, de transcendance. Elle est cofondatrice de la revue Ravages (2008, et relancée en juin 2020), du site d'information Blast, a écrit deux pièces de théâtre, 3 essais et des nouvelles publiées dans la presse magazine.
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