La Famille
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jessica Shapiro
Parution le 16 mars 2023
400 pages
24 €
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Thème
En 1930, à New York, deux très jeunes filles d’origine italienne sont inséparables. Sofia Colicchio et Antonia Russo, adorables voisines, s’aiment à la vie à la mort au sein d’une même famille, « La » Famille. Chacun est tenu au secret et à l’obéissance. On vit de petits puis de gros trafics illicites. La violence n’est jamais loin. On se jure fidélité mais la trahison et la mort attendent à la porte au gré de l’humeur des organisations rivales et de l’ambition des gros bonnets de Brooklyn. Sofia et Antonia regardent leurs mères subir une vie d’inquiétudes et de soumissions, sous la férule de maris ou d’hommes œuvrant pour Cosa Nostra ou autres Camorra.
Elles ne parlent pas beaucoup mais se disent tout et surtout entendent tout. Elles sont différentes, la première légère, rebelle, curieuse de la vie, l’autre cérébrale, réservée, travailleuse, mais elles sont comme les doigts de la main. Une chose est certaine : elles se refusent à suivre le chemin tout tracé par le Parrain et le Capo de tutti capi. Le premier n’est autre que Joey, le père de Sofia. D’entrée, on suppose que Joey a quelque chose à voir avec la disparition de Carlo, le père d’Antonia. Compliqué et dur à vivre pour les Petites ! Dix ans plus tard, c’est la guerre et le trafic change de dimension. Mais bientôt un autre séisme va surprendre les jeunes filles, les submerger, les transfigurer : l ’Amour.
Un sang épais bouillonne en Sofia, de turbulents rapides battent dans ses veines, le changement s’approche en vrombissant de la surface de sa peau lorsqu’elle rencontre Saul. Dans le même temps, Antonia a réussi à se convaincre que le mariage est sa planche de salut. Il lui faut s’échapper de ce milieu mortifère et admettre que la vie qu’elle construit soigneusement, méthodiquement, avec Paolo, est ce qu’elle désire le plus. Deux détails qui éclaireront la suite du roman : Saul, l’homme de confiance de Joey est juif, et les deux fiancés, Saul et Paolo, sont de la Famille. Le Capo demande des comptes, la vengeance est en route, la guerre des Familles est déclarée. Saul est condamné, Antonia est déchainée, Carlo vengé. « C’est comme ça que ça se passe », dans la Famille !
Points forts
- La psychologie très fouillée des deux héroïnes. Leur « résistance » palpable devant les règles instituées par l’organisation criminelle, leurs obsessions et leur courage en fin de compte. Mais aussi leurs différences.
- Une émotion permanente saisit le lecteur et le tient en haleine pendant les trois quart du roman. Suspense sans pathos, tension insidieuse, amitié indestructible, font de ce roman une histoire très originale sans clichés, sauf peut-être au moment du règlement de compte final.
- Cette relation fusionnelle de filles « enfermées » n’occultent pas les caractères trempés mais sensibles des hommes parrains ou parrainés auxquelles leurs filles prétendent tenir tête. Une adaptation cinématographique serait prometteuse et pourquoi pas le prix suprême de littérature à titre étranger ?
Quelques réserves
Effet de longueur (et non de langueur) parfois. Le temps s’étire, les méandres s'enchaînent. Les allers et retours nous égarent parfois sur une tranche de vie de 1928 à 1948 et son long fleuve de drames et de passions.
Encore un mot...
« Maman, tu es mon étoile polaire, Je suis de toi, grâce à toi. Papa, merci de m’avoir appris à lire, à rugir. Mon frère Alain qui écoute son cœur... ». Ce cri de remerciement figurant à la fin de l’ouvrage nous fait imaginer que ce roman est de la sensibilité d’une autobiographie tant la sincérité est à fleur de peau et la sororité comme vécue. Mais non. La famille de Naomi Krupitsky est seulement une famille d’immigrés d’origine de l’Europe de l’Est débarquant à New York en 1930. En pleine crise ! Son pari et son exigence ont simplement été, dit-elle, de faire coexister Amour et Violence sur une même page. Sur 380 pages, en réalité ! Merci est « prodigieusement » insuffisant, conclut l’auteur ; pas comme cette fameuse « amie prodigieuse », justement. Un autre bonheur !
Une phrase
« Joey tout comme sa fille a un peu de sang trouble qui coule dans ses veines. Il se délecte des tremblements de ses convives endettés. Quand il veut rappeler à une personne qu’elle a une dette à régler, il lui téléphone, l’invite à déjeuner et s’abstient de mentionner cette dette. L’autre type terrifié, gérant d’un bar, restaurateur, propriétaire d’un cinéma, oscille généralement entre un calme hésitant et désinvolte et une panique presque palpable : « ça vient je vous jure, dit-il, je vous en supplie il me faut juste un peu plus de temps ». Joey termine son repas. Il questionne l’autre sur sa femme, ses enfants, il mentionne leur nom, et sourit. (…) A bientôt ! Joey Colicchio peut charger un révolver en 6 secondes, et sa femme le (censuré).C’est l’homme le plus puissant de ce coin biscornu de Brooklyn ! » (p. 82/83)
L'auteur
Naomi KRUPITSKY, née à San Francisco, est auteure, éditrice et libraire. Elle est diplômée (2012) de la Gallatin School Individualized Study (NYU). La Famille est son premier roman (2021).Traduit en 15 langues et vendu à 100 000 exemplaires en un an aux Etats Unis.
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