Journal de guerre Roumanie-France-Suisse 1943-1945
Réédition le 16 novembre 2023
1056 pages
35 €
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Thème
Cette deuxième partie du Journal de guerre de Paul Morand, alors écrivain adulé et diplomate dilettante, débute en juillet 43, un an avant l’épilogue de la Collaboration et la fin d’un État français en déliquescence. Paul Morand, enfin « remercié » de son allégeance au régime de Vichy largement documenté dans le tome 1 et de ses 16 mois au cabinet de Pierre Laval, se voit confier les clés (ministre plénipotentiaire) de l’ambassade de France en Roumanie alors que l’Armée rouge est aux portes du pays. Il accédera dans la foulée à la dignité sinon aux honneurs, à part entière cette fois, d’ambassadeur en Suisse, à Berne précisément.
Il y restera 5 semaines (!), révoqué ou démissionnaire, comme il le prétendra plus tard, mais se gardera bien de rentrer tout de suite en France. Ce deuxième tome du Journal de guerre de Paul Morand tranche avec le premier. Le ton est plus grave, les tensions sont palpables. On passe de jour en jour, pratiquement d’heure en heure, des saillies d’un homme d’esprit agrémentées de considérations politico -mondaines, à l’état de guerre. L’arrivée à Belgrade n’est pas simple.
Le dénuement est partout, les bruits de bottes russes se font entendre de l’autre côté du Danube. Notre diplomate semble inquiet. Parallèlement, les observations de l’écrivain sont plus profondes, ses réflexions littéraires sont précises : Tolstoï qu’il n’aime pas et il dit pourquoi, Dostoïevski qu’il admire, Balzac qui l’inspire, tant l’homme que l’écrivain, Giraudoux qu’il vénère, Talleyrand son maître, son modèle, apparaissent à chaque page ou presque.
La culture de diplomate est immense, mais il reste fidèle à ses convictions, ajoutant le cynisme à l’humour : « Je m’étonne qu’on n’ait jamais essayé de se suicider en dormant trop ; quand je dépasse 10 heures de sommeil je ne peux plus me réveiller, je crois qu’on pourrait arriver au coma, d’ailleurs le sommeil est une sorte de coma ». Ailleurs, Morand évoque un souvenir : [le journal] Littérature demanda un jour à Giraudoux : « Pourquoi écrivez-vous ? » Celui-ci répondit : « parce que je ne suis ni suisse ni juif. Ce n’était pas amical pour ses camarades suisses ». Protégé par « le Président » (Laval en réalité), il sera ensuite, in extremis, exfiltré en Suisse, « clinique pour politiciens vaincus » et refuge réputé assez sûr pour envisager l’avenir avec sérénité.
Il y rejoindra quelques intimes soucieux de sauver leur peau ou simplement emportés dans le maelstrom des relations culturelles inter-civilisationnelles en cette époque charnière. Il suivra de près les évènements avec quelques personnalités proches, par exemple l’ex et futur ministre Georges Bonnet, Jean Jardin, ex-directeur de cabinet de Laval, Bertrand de Jouvenel, réfugié ici car sa mère était juive, l’académicien Edmond Jaloux, la danseuse étoile Yvette Chauviré ou l’entrepreneur d’une vieille famille de la Champagne, Melchior de Polignac. Gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche. Sa maîtresse May de Cossé Brissac (née Schneider !) n’est jamais loin.
Sa fidèle épouse Hélène (ex-princesse Soutzo, fortunée, d’origine roumaine), incorrigible optimiste mais germanophile sans illusion, est à ses côtés, et le restera ici encore un long moment après l’armistice. Il faut (bien) préparer la défense et « donner à la chance le temps de tourner ».
15 Octobre 1945, c’est la chute avec l’exécution de Pierre Laval, quelques jours après un procès expéditif. C’est le point final de ce Journal de guerre deuxième partie. En Roumanie, on a suivi le quotidien du diplomate en action. En Suisse, on a côtoyé brièvement « un ambassadeur de papier » mais on a découvert l’auteur élégant, l’écrivain authentique avec ses commentaires de lectures, ses projets de littérature romanesque, ses exercices de styles éblouissants, son florilège de citations ou de maximes, ses passions esthétiques et… sa philosophie. Les deux piliers d’une légende contrastée !
Points forts
- L’homme de lettres exceptionnel. C’est bien sûr l’écrivain qu’il faut saluer avant tout. Il se révèle également dans ce Journal de guerre en maître de l’écriture. Paul Morand est dans tous les sens du terme un fin observateur de la comédie humaine. Son maître est Honoré de Balzac sans conteste. Il n’est pas de jour où le diariste engagé ne cite l’auteur des Illusions perdues, n’évoque ses aphorismes, ne vante ses qualités de peintre de la société ou son sens de la formule. Giraudoux est également un de ses contemporains favoris. Il évoque au travers des lignes leur amitié ainsi que celle partagée avec Proust. Il n’est pas nécessaire de se plonger dans son œuvre majeure, L’homme pressé (1941), pour mesurer le talent de Morand. Il fait jaillir sa pensée avec des phrases, des mots simples et denses, en limitant l’usage des adjectifs. La lecture des auteurs lui donne l’occasion de donner quelques conseils dans un véritable cours de syntaxe et de cohérence. (Il s’en prend même à Proust). Ses amis sont du sérail. D’abord Proust, puis Cocteau et Claudel, Nimier et Chardonne un peu plus tard. Ses portraits d’écrivains sont expressifs (exemple, celui de Maupassant). Le buffet de la gare de Lausanne deviendra sous sa houlette un véritable salon littéraire pour exilés. Il aime Céline qui curieusement ne l’apprécie pas (rivalités d’égo ?). Son style sec et mordant, son humour acerbe, son cynisme parfois insupportable parce que sans nuance font mouche (Mauriac et Churchill en font souvent les frais, « Gaulle » aussi !).
- L’autre face de l’homme: matière à controverse. Fin 44-mi 45. La roche tarpéienne est près du Capitole. Après avoir écouté et retranscrit les conversations mondaines, noté ses impressions politiques et fait part de ses convictions, Paul Morand se retrouve sous les bombardements ; il attend en Roumanie avec anxiété l’invasion soviétique et traverse une Europe à feu et à sang. Il est présent aux avant-dernières heures de Vichy, il quitte son ambassade dans le modeste fourgon de l’exil. Morand vit dans la peur de la proscription, peur de la prison, peur surtout de la pauvreté (très relative). Morand, après la mort dans des circonstances étranges de son héros, c'est-à-dire de Laval, son mentor, se réconforte en pensant à l’homme qui mériterait « la reconnaissance du pays ».
- Il va jusqu’à s’approprier le qualificatif cité par Laval pour lui-même et s’en fait une fierté : « Je suis devenu impopulaire en France, ce qui vaut 1000 fois mieux que d’être démodé ». À l’été 45 Paul Morand rêve de Laval, encore dans sa prison (il aurait pu rester exilé volontaire en Espagne) et lui fait cette déclaration : « Vous êtes un homme, je vous aime ». Surprenant quand même ! Peut-être une des clés qui expliquent comment et pourquoi Morand s’est fourvoyé dans cette direction. On comprend mieux la fracture intellectuelle et sociale durant cette période de l’histoire de la France. On se prend à admirer la sincérité, l’humour et la passion qui animaient ce redoutable dialecticien. Il n’est pas honteux d’admettre qu’une certaine émotion puisse gagner le lecteur, voire même de l’admiration, devant la franchise et la résistance de cet homme autrefois plein de morgue qui se retrouve au tapis. Ceci n’excuse pas tout : absence de courage au feu et antisémitisme viscéral.
Quelques réserves
Aucune hormis celles évoquées supra.
Encore un mot...
Cette chronique serait incomplète et injuste sans l’évocation du travail de recherche et de présentation remarquable effectué par l’éditrice Bénédicte Vergez-Chaignon pour Les Cahiers de la NRF. En effet l’ouvrage, au total d’un millier de pages, comprend un incipit complet et très clair intitulé « les avatars du journal d’un ambassadeur », et au début, une chronologie des faits vécus depuis le 28 août 43 jusqu’au 21 octobre 45, soit une semaine après l’exécution de Pierre Laval. Enfin, on retrouve en annexe tous les noms propres qui renvoient à autant d’annotations de bas de page pour chaque chapitre. Au bas mot près de 400 noms de personnalités, d’Otto Abetz à Emile Zola, sont ainsi référencés. Ajoutons les 80 pages qui reproduisent les correspondances relatives aux procédures judiciaires dont a fait l’objet Paul Morand à la Libération, courriers administratifs et diplomatiques et une partie de la correspondance personnelle entre l’ancien diplomate et son épouse Hélène.
Une phrase
« Un neveu de Maurras, lieutenant de la Résistance est admis à rendre visite à son oncle (emprisonné) à Lyon. Il le trouve en forçat rasé, avec pyjama rayé, plus de cheveux, ni de barbe. Maurras qui en est à son troisième livre l’accueille par ces mots sublimes : « Je n’ai pas une minute à moi ». […] Quand je relis ces mots du vieux philosophe Maurras et quand je pense à ma liberté actuelle, je me fais honte. C’est antique ! » (page 678, 24 juin 1945).
L'auteur
Diplomate, écrivain, journaliste pour le Figaro, éditeur, académicien (1968, barré deux fois à l’entrée de la Coupole du quai Conti pour des raisons politiques), Paul Morand (1888-1976), auteur prolifique, a écrit plus de 80 œuvres, poèmes, nouvelles, essais, romans. Son premier ouvrage marquant fut Tendres stocks préfacé par Marcel Proust (1915) qui était souvent reçu chez les Morand dans leur somptueuse résidence de l’avenue Charles Floquet, sur le Champ de Mars.
Cumulant son goût pour l’histoire et son attirance pour la munificence, il écrira Fouquet ou le soleil offusqué peut-être son meilleur livre, avec une longue nouvelle cultivant le fantastique et le mystère, Hécate et ses chiens (1946). Autres nouvelles : Le Bazar de la Charité, L’Europe galante (1936)… Voyageur infatigable, ses ouvrages sur les villes visitées sont un régal au dire des contemporains, New York (1930, une pure merveille selon François Busnel), Bucarest, La route des Indes, AOF, de Paris à Tombouctou, Venises (1971), Le Portugal que j’aime.
Quoi de mieux chez Morand ? Ses romans ? L’homme pressé, Flèche d’Orient, Le Flagellant de Séville, Tais- toi… Ses portraits ? Giraudoux, souvenirs de notre jeunesse, Le visiteur du soir, Marcel Proust, Vie de Guy de Maupassant… ou même une pièce : Le procès de Fouquet, tout cela et d’autres encore. Sinon, « Morand est tout entier dans ses lettres » disait Chardonne, un connaisseur !
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