Jetez-moi aux chiens
390 pages,
23 euros.
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Thème
Années 80, Londres. Ander est élève à Chapelton, internat d’excellence pour garçons. Humiliations, frôlements suspects – les professeurs s’y permettent tout. Seul M. Wolphram, le professeur d’anglais, se distingue de la meute. Mais cet être discret et singulier intrigue.
Années 2000. Ander est devenu enquêteur de police. Alors qu’on vient de découvrir le cadavre d’une jeune femme étranglée, M. Wolphram est le suspect numéro un. Ancien élève et vieux professeur se retrouvent. A des années de distance, la singularité de l’homme se retourne contre lui et en fait la proie idéale d’une curée médiatique et populaire...
Points forts
- Tressant présent de l’affaire et passé à Chapelton, Ander fait plonger le lecteur dans le monde clos d’une école britannique des années 80. On peine à croire qu’une telle cruauté soit restée impunie à une époque si récente, notamment quand un professeur particulièrement pervers orchestre un tribunal populaire où il livre un élève à ses prétendus camarades. Évidemment (hélas, on le savait) les élèves y sont soumis à toute la palette des gestes pédophiles.
– Ces retours sur l’adolescence constituent la part poignante et intéressante du livre. Le premier chapitre s’ouvre sur un pont qui enjambe un estuaire, comme un passage sur la crête entre la rive de l’enfance et celle de l’âge adulte. La tentation du grand saut dans le vide y est forte pour échapper à la glu de l’ennui, vivre quelque chose – ou simplement trouver la paix. Malgré quelques moments de joie, l’adolescence demeure une blessure indépassable, un fantôme dont on ne se défait pas.
Quelques réserves
– On soupire plus souvent qu’à son tour en lisant ce roman, avec le sentiment d’assister à une explication de texte. Déformation professionnelle de l’auteur? Il est en effet enseignant à Oxford. A reformuler dix fois la même idée, décortiquer son propre texte, le résumer avec un goût discutable pour l’aphorisme, l’auteur exaspère… et le roman perd efficacité.
– Si on s’agace, c’est aussi qu’on a l’impression récurrente d’être laissé sur la touche. On s’identifie assez bien à Ander adolescent, dont les émotions peuvent être partagées. Mais pour ce qui est du rapport d’Ander adulte à son enquête, à son environnement, on se demande à qui parle ce récit, parfois même qui est le narrateur, où il cherche à nous mener. Des questions qu’on ne se pose jamais dans une bonne histoire.
– Reste la dénonciation d’une société du spectacle (quelle nouveauté!) et de la médiocrité, des écrans, du virtuel, aussi ignorante que prompte à s’embraser, qui zappe aussi vite qu’elle stigmatise durablement et où il ne fait pas bon sortir du moule. Bref, une « dénonciation » qui enfonce les portes ouvertes, n’apporte rien de neuf ni sur le fond ni dans la manière de le représenter. Sans parler de démonstrations hallucinantes, comme ce monologue où une femme à la rue explique en détails et dans une langue quasi lyrique qu’elle vient sans le sou au supermarché par militantisme.
Encore un mot...
Mieux vaut ne pas se fier à la 4e de couverture ; ce livre n’est pas un subtil polar – l’intrigue reste en arrière plan et le dénouement est précipité. Car comment peut-on camper deux flics qui enquêtent sous le règne des réseaux sociaux... et attendre les dernières pages pour leur faire chercher la clé du meurtre dans ces mêmes réseaux ?
Le roman n’est pas vraiment non plus une enquête, à moins qu’on entende par là les sondages faits par Ander dans ses souvenirs et ses sentiments.
Alors, grand roman du harcèlement ? Non plus. Les mécanismes à l’oeuvre dans l’élection expéditive d’un bouc émissaire, la haine sociale et le cynisme médiatique n’y sont pas mis en scène mais platement décrits. Où la violence s’incarne-t-elle dans l’écriture? Bref, le titre est vendeur mais le contenu bien décevant. Les meilleures pages sont la méditation sur l’enfance.
Une phrase
M.Wolphram a aussi des vidéos et des DVD de films scandinaves (…). Ce qui ne lui fait pas marquer des points, au contraire, parce que « un peu de porno, ce serait plus normal ». M.Wolphram aurait pu être un pervers ordinaire amateur de porno, mais voilà qu’il se révèle pornophobe, un ennemi de la chair, asexué et insensible. Quand l’innocence est aussi louche, on n’a que faire de la culpabilité.
L'auteur
Né en 1968, Patrick McGuinness enseigne la Littérature française et comparée au St Anne’s College de l’Université d’Oxford. Il est également le traducteur de Stéphane Mallarmé, et poète lui-même. « Les Cent derniers jours », son premier roman, est paru dans sa traduction française chez Grasset en 2013.
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