J’ai toujours su repérer les pigeons
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Thème
Une aventure qui commence bien, sur fond de l’amitié naissante entre deux condisciples d’un grand lycée parisien, mais qui finit mal, affreusement mal. C’est l’histoire d’une rupture dramatique entre deux garçons que tout devait réunir. Inséparables, soudés par les premières expériences de la vie, les grandes idées romantiques, leurs penchants pour l’extrême-droite (des années 60), pour le grand bain du business, l’attirance pour les petites combines, la course aux affaires… et pour les filles. L’un domine l’autre par son brio, son entregent, son outrecuidance, son talent pour l’entourloupe, l’autre domine l’un par sa rigueur, sa culture, son ambition et son courage. « Paris à nous deux !» semblent-ils clamer de conserve, tel Rastignac.
Tout débute par une séance mémorable de bizutage dans une classe préparatoire à HEC au cours de laquelle Xav (Xavier pour l’état civil), montra vite l’usage qu’il savait faire de ses poings contre les méchants « Carrés » (les secondes années de « prépa »). Dès lors le narrateur lui voue une indestructible (apparemment) amitié. Xav devient vite une sorte de modèle pour l’auteur (il parle à la première personne) qui avoue lui-même suivre son mentor par mimétisme ; le premier sommet de cette entente fusionnelle est atteint lors des échauffourées de mai 68, des batailles de rue au son des « CRS SS », de son folklore et de ses slogans impertinents et utopistes, «Il est interdit d’interdire, L’imagination au pouvoir…».
Après une longue parenthèse et un épisode libanais à hauts risques vécu par l’auteur (est- ce bien lui ?) en mal d’aventures, ils se retrouveront dans des affaires de publicité à Paris… et collaboreront pour finalement mieux se haïr. Entretemps, le narrateur se marie avec une agréable jeune femme, perspicace en tout cas, très énervée par ce «Xavier aux manières suaves de séducteur compulsif». Puis, chacun poursuit son petit bonhomme de chemin(s) de publicitaires mais en parallèle. Au narrateur les stratégies de communication, à son mentor les affaires, les clients souvent louches rencontrés dans les bars et les boîtes de nuit, et le commerce juteux des médias. Le premier drame va se nouer avec l’affaire des parkings ! Puis il y a eu l’association funeste dans une petite agence. Mauvaise pioche !
Deux licenciements, un procès qui rapporte et une grande campagne politique (c’est sa passion) pour l’un, un viol, de la drague (c’est son péché mignon) et des trahisons à répétition pour l’autre, avec son lot de filatures, de chantages et d’interrogatoires musclés ; Robert Haenel déroule. Une centaine de pages plus loin, voilà nos deux complices prêts à en découdre jusqu’au bout du bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort… et aux Galapagos. Cette histoire ne finira jamais. La chute relève du surnaturel ou pour le moins du travail de services secrets faisant appel aux nouvelles technologies les plus perfectionnées.
Points forts
Après les pérégrinations estudiantines des deux héros et leurs débuts dans la vie, l’intrigue rondement menée prend soudain de la substance. Une deuxième partie à suspense, une violence contenue, la psychologie des personnages à fleur de peau : c’est un vrai page turner pour un lecteur qui aurait connu cette époque en tout cas, et un bon polar inspiré pour tous. Ce n’est pas du John Le Carré mais Georges Simenon (« Ceux de la soif » se passant justement aux Galapagos) y retrouverait sans doute ses petits. Un style très agréable. C’est bien écrit, avec des mots moins usités aujourd’hui et des constructions plus littéraires que de coutume dans le genre. Un point (très) fort : l’irruption finale, terrifiante et obsédante, dans le portable du narrateur de messages subliminaux d’outre-tombe.
Quelques réserves
Beaucoup de bistrots, d’arrière-salles où on veut nous faire croire que l’on travaille d’arrache- pied ; ce roman confère au milieu publicitaire une image très superficielle et donne l’impression d’un enterrement de première classe pour le narrateur. En tout état de cause cette première partie, légèrement potache, est un peu longue. Passionne- t-elle un lecteur non averti ? Le rôle principal semble joué par le vin (qu’est-ce qu’on boit dans ce livre !) et par les boîtes à la mode entre l’Etoile, Saint Germain des Prés, Montparnasse. Tout ceci ne serait pas grave si ce n’était un peu trop répétitif.
Encore un mot...
Un polar fin et intelligent écrit par un homme de culture et d’écriture profondément marqué par ses années de jeunesse. Une intrigue qui tarde un peu à se mettre en place après les longues péripéties, parfois savoureuses, de la vie de deux garçons brûlant de se faire une place au soleil et qui vont s’entredéchirer. Ce pourrait être le récit d’un bon « Série Noire » nominé pour le Goncourt des Lycéens et composé dans une belle langue, quoiqu’un peu surannée. Pas désagréable du tout, cette fausse fiction ?
Une phrase
« Durant les quelques mois qui succédèrent aux législatives, je vis Xav très souvent. On travaillait aux campagnes de son promoteur, la plupart du temps dans un restaurant sur un coin de table, griffonnant sur les nappes en papier, lorsqu’il y en avait. Il me faisait le récit de ses nouveaux succès commerciaux. Pour ses contacts, il exploitait toujours le même filon, les boîtes de nuit à la mode. Il avait pris l’habitude lorsqu’une de ses prospections nocturnes avait donné lieu à la signature d’un contrat, de me scruter d’un air triomphant et soudain, comme s’il s’agissait de pousser un cri de guerre, il lançait sa formule désormais magique :” J’ai toujours su repérer les pigeons !’’».
L'auteur
Robert Haehnel est l’un des chroniqueurs de Culture Tops. Après ses études à l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris et une licence d’histoire, il a poursuivi une belle carrière dans la publicité et la communication. Il a conseillé les plus grandes marques et nombre de collectivités et communautés urbaines. Plus littéraire que gestionnaire, il se consacre désormais avec passion à l’écriture ; ses premiers ouvrages sont d’abord dédiés au marketing et au management d’entreprises. Chantre des valeurs et de la culture de l’Occident, il s’est livré ensuite à l’inspiration romanesque (Point final a reçu le prix de la nouvelle policière de la ville d’Avallon). Il a écrit deux romans Esprit de famille et Nous les ultras.
Retrouvez toutes les chroniques de livres audio rédigées pour Culture Tops par Robert Haehnel (dans l’onglet Rechercher)
Cette chronique est publiée sous la signature collective “le Comité Editorial” afin de garantir l'impartialité de la description et de l'appréciation de l'ouvrage. Le Comité Editorial en charge de ces chroniques spécifiques est composé d'Hélène Renard, Marie de Benoist, Anne Jouffroy, Charles Edouard Aubry, Jean Ruhlmann, Rodolphe de Saint Hilaire, Bertrand Devevey.
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