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Thème
« Inhumaines » est en soi un livre difficile à définir, qui plus est à résumer. Il s’agit de vingt-cinq courtes nouvelles explicitement dérangeantes. Ces textes caricaturent à l’extrême le côté absurde de la société en en pointant la désinvolture, la cruauté, la débauche, les contradictions, les inégalités qu’elle provoque et cultive : en somme, la laideur paroxystique du monde contemporain. La quatrième de couverture du livre est, en ce sens, aussi laconique qu’éloquente : « Nous sommes devenus des monstres. On pourrait s’en affliger. Mieux vaut en rire ».
La perte évidente de repères des personnages devient celle du lecteur qui découvre en vrac, décrites avec une violence froide, des scènes d’échangisme, de passage à tabac ou de torture jouées par des êtres sans âme, zoophilies, racistes, négationnistes, cannibales, infanticides, esclavagistes et incestueux.
Points forts
- Certaines nouvelles d’ « Inhumaines », comme « Transhumanisme », celle de l’homme dont le sexe détaché de son corps mène une vie autonome, ne sont pas sans rappeler le ton plaisamment absurde des « Nouvelles de Petersbourg » de Nicolas Gogol, dont, bien sûr, celle intitulée « Le Nez ». Sur des sujets un peu plus légers que ceux abordés dans la plupart des scénettes du livre, Philippe Claudel parvient à faire sourire, quel que soit le message idéologique obscur qu’il semble vouloir faire passer, parce que le lecteur est ainsi confronté à une nuance mystérieuse et se sent de l’espace pour respirer dans sa lecture, sans être en permanence agressé par la violence harassante qui prédomine dans l’ensemble du texte.
-Il est incontestable que ce livre, qu’on en soit agacé, dégoûté, lassé ou amusé, laissera peu de lecteurs insensibles, tant il convoque d’images macabres, immondes ou absurdes. Sans aucun doute, « Inhumaines » fait et fera parler de lui comme d’un livre « coup du poing », peut-être courageux et ambitieux, peut-être sensationnel, peut-être destructeur ou suicidaire. En tous les cas, le texte ne peut que susciter des réactions et des critiques, il semble être conçu pour faire réfléchir et provoquer des débats, mais à quel prix...
Quelques réserves
- Dès les premières pages, et dans la plupart des passages du livre, le lecteur est plongé dans une atmosphère irrespirable. Mais le caractère sordide des récits n’est pas la seule raison à ce trouble. Dans la première nouvelle intitulée « Plaisir d’offrir », par exemple, un mari offre à sa femme, pour Noël, des esclaves sexuels qui, jugés sans intérêt, sont finalement enterrés vivants dans le jardin. Comme si ce récit n’était pas assez glauque et ne faisait pas de lui-même référence à des passages abominables de l’histoire, l’auteur se sent obligé de faire des références appuyées aux crimes contre l’Humanité, que les nouvelles technologies incitent à nier en ôtant à leurs usagers la nécessité d’avoir une mémoire. Aussitôt, un double malaise s’installe : celui né du récit d’un meurtre cruel et celui né de voir mis sur le même plan, pêle-mêle, la routine conjugale, l’échangisme, la lassitude liée à la libération sexuelle, les écrans et les disques durs, le racisme, l’esclavage, l’absence de devoir de mémoire et le meurtre de masse, comme si toutes ces choses étaient condamnables sur le même plan, sans aucune hiérarchie, et relevaient ensemble de la même monstruosité.
Le reste des nouvelles est à peu près de la même teneur. On en vient vite au « Point Godwin », au sort des réfugiés mourant en mer dans une indifférence parfaite, au cannibalisme, à l’infanticide, tout cela traité sur le même ton que le sont le changement de sexe, le capitalisme, l’écologie, la consommation de masse à l’heure d’internet et de la mondialisation. Cette absence de hiérarchie est de toute évidence recherchée. Mais le malaise qu’elle suscite est tel qu’il en devient pénible, d’autant qu’il naît de rapprochements franchement tirés par les cheveux.
- Quelques-unes des vingt-cinq nouvelles méritent, en outre, de se poser quelques questions… Leur texte, qui s’inscrit délibérément dans une démarche de provocation et dont les métaphores crues semblent avoir été inventées pour choquer, leur texte qui plonge délibérément le lecteur dans un univers explicitement glauque, leur texte qui cherche à parodier à l’extrême la société actuelle est-il si habilement subversif ? Y-a-t-il, en soi, puisque l’écriture du livre reste plutôt sobre, une quelconque originalité à caricaturer une perte d’autorité ou de repères que les auteurs et commentateurs de leur propre époque déplorent dans la littérature depuis des millénaires ? L’auteur choisit d’affirmer que nous sommes « devenus des monstres », égoïstes et dépravés. Mais est-il inédit de présenter l’existence d’une sexualité débridée d’un certain milieu privilégié, qui n’a pas attendu le vingt-et-unième siècle, les smartphones et internet pour exister, comme une évolution sociale absolument contemporaine ? Il n’y a qu’à songer une seconde aux orgies romaines pour se convaincre du contraire. Est-il éblouissant d’inventivité de décrire, pour pointer vraisemblablement une perte de valeurs dommageable, dans un chapitre intitulé « Mariage pour Tous », l’union d’un homme et d’un ours ? On peut ou non regretter certaines évolutions de la société occidentale actuelle et s’en moquer avec davantage de subtilité que ne pourrait le faire la plus obtuse des conversations du café du commerce. Est-ce volontaire de la part de l’auteur ? Probablement. Mais de qui se moque-t-il exactement ? Des autres, de lui-même ? On ne sait plus. Est-il à la recherche d’un troisième degré d’humour qui mériterait un peu de pédagogie pour être saisi ? Sans explication, le lecteur est tenté de se dire qu’à force de vouloir s’inscrire absolument dans le « politiquement incorrect », expression tellement revendiquée ou galvaudée qu’elle ne veut plus dire grand-chose, le livre de Philippe Claudel sombre parfois dans un mauvais goût sans saveur et, paradoxalement, dans une forme de réflexe de provocation empreint de banalité.
Encore un mot...
Un livre qui, en tentant de décrire la laideur sous toutes ses formes, ressemble à une expérience littéraire parfois difficilement compréhensible, qui procure peu de plaisir et beaucoup de dégoût, tout en ayant le mérite de poser des questions qu’il faut chercher, trier, analyser.
Sans doute ce texte était-il « utile », qui sait ? Peut-être atteint-il son but, car il semble chercher à ne pas plaire. Peut-être s’agit-il d’un bon livre que je n’ai pas su reconnaître car, de toute évidence, je ne l’ai pas compris.
Une phrase
« J’ai creusé un grand trou dans le jardin, sous le bouleau. Cela m’a pris trois heures. Je n’ai pas vu le temps passer. L’effort physique présente des avantages. Il supprime toute forme de pensée. J’ai fait basculer les hommes dedans. Je les ai recouverts de terre. Ils gémissaient mais leurs plaintes se sont étouffées dans la terre. J’ai fini par ne plus les entendre. Cela m’a rappelé certaines scènes de récits historiques, mais je ne suis pas parvenu à me souvenir lesquelles ». (p11).
L'auteur
Philippe Claudel, né en 1962, est écrivain et cinéaste. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans, nouvelles et essais, parmi lesquels « J’abandonne », (Prix France Télévision 2000), « Les Âmes grises » (Prix Renaudot 2004), adapté au cinéma, et « Le Rapport de Brodeck » (Prix Goncourt des Lycéens 2007).
Etudiant d’abord peu assidu, il consacre sa prime jeunesse à l’écriture de poèmes, de scénarios et de pièces. C’est plus tardivement qu’il entreprend sérieusement un parcours universitaire, obtenant notamment une licence d’histoire de l’art puis l’agrégation de lettres modernes. Il est l’auteur d’une thèse consacrée à André Hardellet, écrivain et poète atypique peu connu du grand public s’étant essayé à la réalisation.
Philippe Claudel est lui-même familier du milieu théâtral et de l’univers cinématographique. Il a été le scénariste et le réalisateur de plusieurs films, dont le très sombre « Il y a longtemps que je t’aime » (2008) avec Kristin Scott Thomas et Elsa Zylberstein, ou encore « Tous les Soleils » (2011) avec Clothilde Courau et Stefano Accorsi, un long-métrage plus enlevé, lyrique et drôle, salué par la critique. Au théâtre, il a proposé, entre autres, « Parle-moi d’amour » ! (2008) et « Le Paquet » (2010), cette dernière pièce, interprétée par Gérard Jugnot, lui ayant cette fois valu des commentaires acides et quelques incompréhensions.
L’œuvre de Philippe Claudel, souvent pessimiste, parfois romantique ou lugubre, n’en est pas moins marquée par des contrastes de genres qui déroutent parfois ses plus fidèles lecteurs ou spectateurs. L’auteur, cultivant la surprise, s’expose à autant de dithyrambes que de critiques acerbes. Tel est le sort, peut-être, de tout écrivain qui prend des risques ou cultive une évolution qui, souvent, nous échappe.
Commentaires
J'ai lu la traduction arabe du livre INHUMAINES faite par le Syrien MOKDED Kacem. Bien que je respecte énormément la pensée libre, cet ouvrage satirique m'a assez dérangé (terme utilisé par l'auteur dans une interview) au début pour m'agacer graduellement par la suite lorsque j'ai découvert la description immonde des êtres que nous sommes: sexualité maladive à outrance, cannibalisme, xénophobie et j'en passe. Ce qui m'a intrigué chez l'auteur, comment trouve t -il des difficultés pour comprendre pourquoi les migrants Arabes ne vivent pas dans des villas et préfèrent les bidonvilles! C'est simple, tout être humain aime le confort mais quand le revenu matériel fait défaut, il n'a plus le choix. Dommage qu'un écrivain français, par sa soi disant imagination, frôle l'incitation à la torture et au règlement de compte en pleine rue! Je pense que ce n'est pas un livre de poche mais plutôt une oeuvre d'un malade imaginaire.
"Inhumaines". Je lis sur la quatrième de couverture : "Nous sommes devenus des monstres". Non. Les monstres ont toujours existé! Mais, ils ne sont pas très nombreux, et, même si dans chacun on pourrait trouver des zones obscures, le manque d'empathie, l'ennuie, l'ignominie, le passage à l'acte de ses personnages ne me semblent pas dénominateur commun de tout le monde.
Je suis pour la liberté d'expression, la liberté de pensée. Bienvenue à votre titre "Inhumaines"
Je ne suis pas arrivée à la fin. Après avoir lu "Le rapport de Brodeck" et "Fantaisie allemande", livres que j'ai trouvés magistraux, "Inhumaines"? Tout est dans le titre. L'imaginaire au service du vide qui amène à l'horreur. Pure provocation. Formuler l'horreur pour montrer l'humanité dépouillée de sentiments, après avoir déjà goûté à tout, usure de l'être et de la chair. Pour se sentir vivant, besoin d'affronter le côté le plus abject, l'horreur n'existe pas, c'est une façon d'exister.
Décrire des scènes infâmes dans la banalité de la vie, c'est déjà monstrueux.
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