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Thème
En 2008, Eugène, jeune ingénieur français, est envoyé à Detroit par l'Entreprise, grande multinationale, pour mener à bien un projet automobile. Il découvre l'envers du rêve américain en déambulant dans cette ville ruinée par la crise financière et dont des quartiers entiers sont abandonnés, vidés de leurs habitants qui ont fui vers de meilleurs auspices.
C'est en tuant le temps et la solitude dans le dernier bar de la ville qu'il rencontre Candice, serveuse enjôleuse. Restent aussi encore en ville Charlie, jeune garçon élevé par sa grand-mère Gloria, et sa bande de gamins désœuvrés cherchant à mettre le feu dans une ville déjà en cendres. Le jour où ils disparaissent, comme tant d'autres enfants de la ville depuis quelques temps, les entrailles de Gloria se soulèvent mais son angoisse se heurte à l'indifférence et à la léthargie générales.
Seul l'inspecteur Brown, intrigué par ces disparitions d'enfants, semble vouloir lutter contre leur fatalité et réveiller une ville au bord de la faillite.
Points forts
- La ruine d'une ville est fort bien décrite. Par son écriture simple et efficace, Thomas B. Reverdy nous balade dans Detroit, des maisons de carton-pâte qui flambent aux néons clignotants des rues, nous donnant l'impression de connaître la ville. On grelotte dans les bureaux sans chauffage des immeubles, on se réchauffe dans le bar, dernier lieu de vie, et l'on est presque soulagé à la fin du roman de quitter ce décor glauque auquel on avait fini par s'attacher.
- L'intrigue autour de la disparition des enfants de la ville tient en haleine.
- Le contraste entre l'agonie d'une ville sans âme et l'humanité des personnages (un couple dans ses premiers émois, une grand-mère aimante, un inspecteur tenace).
- Le salut d'un monde en chute qui vient par des enfants; quand bien même certains disparaîtraient, d'autres sont à venir.
Quelques réserves
On regrette que ces derniers vivants ne le soient pas plus, qu'Eugène, l'ingénieur, ne soit pas plus attachant. On le voudrait plus masculin, plus emporté, comme on voudrait les enfants plus frondeurs et les femmes, Gloria et Candice, plus charnelles et plus hystériques.
Mais l'on comprend que les simples émotions des personnages face au monstre totalitaire de l'économie devenue folle, sont déjà leur rébellion.
Encore un mot...
Au-delà d'une ballade en plein cauchemar américain, Il était une ville semble être un requiem pour les survivants d'un monde déshumanisé.
Plus qu'une simple allusion à l'oeuvre de science-fiction d'Eugène Zamiatine (Nous autres, 1920), par le prénom du héros ou l'épigraphe du livre, le roman de Reverdy est un bel écho contemporain à cette oeuvre qui décrivait un héros soumis au bonheur obligatoire prôné par l'Etat unique.
En jetant, dès les premières pages du livre, les clés de sa petite voiture japonaise et de son coquet pavillon de banlieue fournis par l'Entreprise, Eugène s'affranchit et parviendra peut-être à conjurer le sort promis, "Il n'y a plus d'avenir, alors peut-être est-ce normal qu'il n'y ait plus d'enfants".
Une phrase
"Dieu, bien sûr, mais Dieu on dirait que lui aussi, a quitté la ville. Georgia en est persuadée. Dieu est parti quand on s'est mis à installer des fontaines à soda dans des centres commerciaux géants, que tout le monde a eu la télévision en couleur, que les salles de bal se sont transformées en supermarchés de la drogue, qu'on a troué la ville avec pas moins de six autoroutes et qu'on a rasé les quartiers pour construire des casinos en plein centre. Dieu nous aime, c'est sa seule faiblesse, mais une bêtise aussi crasse, quand même, cela a dû le dégoûter."
L'auteur
Après un premier cycle de romans autobiographiques, publiés entre 2003 et 2008 (La montée des eaux, Le ciel pour mémoire, Les derniers feux), Thomas B. Reverdy, auteur français, né en 1974, a inauguré avec L'envers du monde et Les évaporés (Grand prix de la SGDL et prix Joseph Kessel), un nouveau cycle de romans dont Il était une ville est le dernier paru. Ce roman a été sélectionné pour le Goncourt 2015.
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