IL EST DES HOMMES QUI SE PERDRONT TOUJOURS
384 pages -
21 €
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Thème
Petit minot des Quartiers Nord de Marseille, Karel en sait déjà long sur la capacité de certains adultes à écraser les plus vulnérables, fût-ce leur propre progéniture. Quand, beaucoup plus tard dans la vie, on lui demande d’imaginer un vase, c’est une urne funéraire qui lui vient à l’esprit. Elle contient trois tiges : les fleurs décapitées qui les symbolisent lui, sa sœur Hendricka et leur petit frère Mohand, une fratrie méticuleusement saccagée, au jour le jour, par un père pervers et camé, une vie en apnée avec pour seules respirations les heures passées dans le bidonville des gens du voyage sédentarisés, où l’on est pauvres mais unis et gais. Alors, le jour où ce père haï est retrouvé mort dans le voisinage, Karel se demande : Qui as tué mon père ? Qui a eu ce cran, que lui-même n’a jamais trouvé en dépit du serment fait à son petit frère de le protéger quand il en aurait l’âge? A partir de cette question coupable qui ouvre le roman, Karel va dérouler ses souvenirs d’enfant, d’adolescent puis de jeune adulte qui a poussé à l’arrache sur la colline des marginaux, sous les coups, dans les cris, et les chansons populaires qui lui parlent de sa vie. Éclosion chaotique d’un jeune paria ou calvaire indépassable d’un enfant violenté ? Chaque lecteur en jugera par lui-même.
Points forts
- Il est des hommes… peut séduire un public très large car l’ouvrage est un roman à la fois populaire et littéraire. Les personnages principaux sont très romanesques, les rôles secondaires poignants ou colorés, l’intrigue de roman noir social suscite l’horreur et l’empathie, et les sentiments sont extrêmes – souffrance, révolte, désir ou communion dans l’allégresse des fêtes gitanes ou des victoires de l’OM… Populaire, donc, mais aussi littéraire car en termes d’écriture Lighieri ne lâche rien. Pas une scène, même la plus dure, qui ne soit subtilement travaillée pour éviter le pathos, et qui n’explore les tensions de la psyché dans une langue souvent crue, toujours riche, qui convient au narrateur. Quant aux descriptions, elles sont époustouflantes dans le réalisme sans voyeurisme.
- Il est des hommes…, c’est l’histoire d’une filiation problématique. Comment s’en sort-on quand on est l’enfant d’un être humiliant et violent ? Grâce à son corps, répond le roman. Dotés d’une beauté stupéfiante, Karel et Hendricka prennent peu à peu conscience de leur magnétisme et des opportunités qu’il y a à l’exercer. Contrefait, fragile, Mohand transforme progressivement sa disgrâce en grâce et fait aimer sa différence. La naissance est injuste mais la vie n’est pas écrite d’avance et on fait avec ce qu’on a. Pour Karel, il n’y a pas de destin, rien que des choix, y compris celui de « se perdre toujours » comme ses parents qui décident chaque jour de foutre leurs vies en l’air en se droguant et en bousillant leur famille. Au contraire, lui, sa sœur et son frère, tout mal barrés qu’ils soient, réussissent plus ou moins à tirer leur épingle du jeu. Une question de fond demeure : celle du déterminisme, de la répétition de la tache.
- Il est des hommes…, ambitionne, à travers son narrateur, d’interroger la transmission de la violence. Qui a tué mon tortionnaire de père ? se demande Karel. Vais-je moi-même devenir un tortionnaire ? Faute de s’être protégé et d’avoir protégé son frère, Karel retourne contre lui-même et contre les autres une méfiance haineuse. Parce qu’il le sent, et même l’expérimente par son mépris pour les filles, le sexe, les biens-nés, les heureux, on le voit développer au fil des pages l’obsession d’être peut-être le dépositaire de la violence paternelle, une bombe à retardement de pulsions destructrices. Une enfance qui se passe mal est-elle une enfance qui ne passe pas ? Hendricka s’en débarrasse-t-elle mieux ? Pas sûr. Alors qu’elle est follement aimée et propulsée vers un avenir aussi brillant qu’inattendu, elle se révèle caparaçonnée de cynisme et affamée de revanche. Seul Mohand, pourtant moins bien doté, semble receler les ressources intérieures pour s’émanciper de la haine dans laquelle il a grandi. Semble, seulement ?
- Il est des hommes… est, enfin, un roman initiatique. Le roman d’un soleil noir qui, in fine, accède à un peu de lumière. Karel devra passer par tous les cercles de son enfer avant d’accéder à la compassion et pour que le roman arrive à sa dernière scène – une scène d’épiphanie fraternelle inoubliable qu’il serait criminel de dévoiler tant elle laisse ébloui par le talent de Rebecca Lighieri, et le frisson qu’elle donne.
Quelques réserves
Aucun, selon moi. Mais tout le monde ne se laissera pas emporter sur ce fleuve noir où flotte une barque sacrément chargée.
Encore un mot...
Un mélo en forme de coup de poing, superbement écrit, accessible à tous, qui se dévore, et qui aurait bien mérité un prix littéraire.
Une phrase
"Karel, raconte-moi quelque chose d’effrayant. Quelque chose qui t’est arrivé (…).
La dernière fois où j’ai vraiment eu peur remonte à la veille, mais puis-je vraiment raconter face caméra que mon père a failli tuer mon frère lors d’une scène de pure folie où tout le monde hurlait, à commencer par Mohand, tenu à bout de bras par-dessus la rambarde du balcon. (…) Dans ses bons jours, mon père l’appelle Mowgli. Mais des bons jours, il y en a peu, ce qui fait que Mohand est généralement l’idiot, le dingo, le triso, le gogol, le singe ou «ton fils » - cela s’adressant évidemment à ma mère".
L'auteur
Née en 1966 à Marseille, Agrégée de lettres modernes, l’auteure de Il est des hommes… écrit, selon le contenu et le registre de ses ouvrages, sous le pseudonyme de Rebecca Lighieri ou sous son véritable nom, Emmanuelle Bayamack-Tam. Tout en enseignant, elle se consacre à la littérature depuis 1994. Son roman Arcadie (P.O.L 2018) s’est vu décerner le Prix du Livre Inter en 2019 et s’était hissé dans la sélection du Prix littéraire du Monde, du Prix du Roman Fnac et du Prix Femina. Rebecca Lighieri a également cofondé les éditions Contre-Pied, lesquelles ont cessé leur activité en 2017.
Le clin d'œil d'un libraire
Librairie Nouvelles Impressions, à Dinard : un bijou précieux sur la côte d’Emeraude
Quel plaisir !! La première « impression » fut vraiment la bonne. Quel bel accueil nous a réservé l’heureux propriétaire de cet espace culturel très convivial situé au cœur de cette ravissante station balnéaire, à deux pas de la plage… et du casino. Thierry de la Fournière, n’en déplaise à sa modestie naturelle, est une figure locale. Ancien adjoint au maire en charge de la culture, il fonda à Dinard le festival du film britannique, qui prospère aujourd’hui en ayant anglicisé son nom. Depuis 1900, tout résonne british ici, ou presque. Nom de rues et d’hôtels, vitrines, éternel tea-time, greens d’un golf sublime à la porte de Saint Briac, jusqu’à l’humour de notre interlocuteur, fou de politique locale qui avoue que la liste du nouveau maire, sur laquelle il figurait est passée avec «un pan de chemise dans la porte ». Thierry de la Fournière, maîtrise d’histoire, 15 ans de professorat, est aujourd’hui le plus heureux des libraires, un métier qui lui garantit l’indépendance et lui procure «les nourritures intellectuelles» indispensables à la vie. D’ailleurs, si vous ne le saviez pas, nous vous présentons l’ex- Président du «Prix des libraires».
Un coup de cœur en passant ? «Le dernier livre de Colum MacCann» obviously. «Son Apeirogon, est un tourbillon, l’histoire d’une amitié improbable entre un palestinien et un israélien dont les fillettes viennent de se faire tuer». Thierry de la Fournière apprécie aussi beaucoup Le Tellier et son «L’anomalie » https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/livresbdmangas/lanomalie que l’on vendait très bien déjà avant le prix. «Un bon Goncourt dont le langage populaire lui permet d’être lu à plusieurs niveaux».
Avec ses 15 000 références et ses 7 libraires-conseils, les «Nouvelles Impressions» brillent à Dinard. «A bas bruit», comme le confie à Culture-Tops son animateur, et sans site internet. Impressionnant.
Librairie Nouvelles Impressions – 42 rue Levavasseur – 35800 Dinard – Tel. 02 99 46 15 95
Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture Tops.
Commentaires
pourquoi avoir choisi un libraire qui ne cite même pas le roman de R.Lighieri ???
Bonjour,
Les "clins d'oeil aux libraires" expriment notre soutien aux libraires qui vivent une période difficile. Il nous a semblé qu'il était préférable de leur laisser une totale liberté de parole, sans les obliger à commenter un livre en particulier. Ce sont eux qui nous intéressent et que nous souhaitons mettre en lumière.
La rédaction de Culture-Tops
J'ai lu vos commentaires, je viens de commander le livre, j'espère qu'il me plaira autant que les"garçons de l'été". Incroyable plume, très aiguisée et tranchante.
Bonjour Madame Rolland, je reviens vers vous, je viens de terminer le livre. C'est glaçant ! Il m'a rappelé "les garçons de l'été", que j'avais adoré.
Cela se passait au sein d'un milieu aisé, là, c'est la misère...
C'est là que j'avais découvert l'univers de l'auteure.
C'est tranchant, sans affect, dur, brutal, quel brio. Je connais bien Marseille, les lieux m'ont parlée. Merci d'avoir fait le retour de ce livre et de m'avoir aiguillonnée à le lire.
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