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Thème
Duncan D'Innocenzio est mort seize ans plus tôt, victime d'une chasse à l'homme menée par une bande de petites frappes de quartier sans envergure à la tête de laquelle sévit Roy Calabrese, un vrai dur celui-là. Le prétexte de cette poursuite mortelle, l'homosexualité de Duncan ; plus banalement, la haine de l'autre, la bêtise, l'émulation du groupe au service d'un engrenage fatal. Roy n'a pas tué Duncan de ses mains, mais sans Roy, Duncan ne serait pas mort.
Conway, résolu à venger son frère, attend la sortie de tôle de son meurtrier, prend quelques cours de tir prodigués par McKenna, policier réformé, nourrit sa rancune, fourbit ses plans… Le jour venu, la gâchette reste muette… Conway, incapable congénital, subit à son tour la loi de Roy qui agit à front renversé et s'offre en victime expiatoire de son crime.
Vont entrer en scène quelques belles figures qui émaillent l'histoire d'une grande puissance suggestive, toutes issues de la communauté italo-américaine, gavée de pesto, de pâtes au jus, de chips Doritos et de broccoli-ketchup.
Alessandra Biagini, une belle fille sexy qui est allée tenter sa chance à Los Angeles pour décrocher un cachet minable dans un film de série B et quelques spots de pub, est revenue au bercail auréolée de la gloire de l'exil ; Stéphanie Dirello, son amie de lycée, ingrate à souhait, désespérément vierge, vit recluse avec une mère possessive et stupide qui l'asservit.
Le neveu de Roy, Eugène Calabrese erre quant à lui dans le mythe du héros familial et trouvant son oncle anéanti par sa longue détention, veut l'aider à renouer avec le crime pour restaurer son blason. Sweat est son factotum, Monsieur Natale, son mentor, un mafieux au physique de gorille régnant sur les tapis de jeux, engloutissant burgers mac et pintes de bière H 24.
Et puis les parents de tous ceux-là, les immigrés de la génération d'avant, Pop, le père de Duncan et de Conway, Monsieur Biagini, le père d'Alessandra, Ellain, la mère d'Eugène et la sœur de Roy, braves gens héritiers de la Société d'hier, fréquentant la messe du Père Villani, implorant la grâce de Dieu pour leurs enfants perdus, réunissant leurs familles le dimanche après l'office, vantant encore les vertus de l'école et du travail dans un concert de voix qui ne suscite plus d'envie ni d'espoir.
Points forts
- Une bonne trame romanesque. Certes, la messe est dite d'emblée et l'issue sans surprise. Mais le suspense va résider dans l'accomplissement de la sentence, voulue par les deux protagonistes. En somme, le lecteur sait où il va mais le chemin reste à découvrir.
- Un bon style, très imagé, un aréopage de jeunes et de vieux, nourri de ce mélange de cultures; l'héritage lointain de l'Italie catholique, du pêché et de la crainte de Dieu pour la génération d'hier, le rêve américain déçu pour leur progéniture.
- Une bonne peinture de Gravesend, si près de Manhattan et finalement si loin, un quartier "trash" situé au sud de Brooklyn qui allie l'ambiance "destroy" des murs lézardés et tagués, des maisons de bois quasi ruinées, des escaliers en ferraille dans l'esprit de Lower East Side avant l'intervention des bobos, un brassage d'origines et de cultures italiennes, portoricaines et chinoises.
Quelques réserves
- L'usage surabondant de noms propres, ceux des rues, des bars, des groupes de rock, des marques de bière ou d'alcool, des plats, qui un temps confèrent une certaine poésie au récit pour dans certaines pages placer le lecteur en état d'overdose.
- La crédibilité relative du personnage de Roy, voyou repenti, dans sa démarche de mortification.
Encore un mot...
Un livre désabusé sur un monde désabusé, plus qu'un polar haletant. Une étude sociologique peut être un peu convenue de cette Amérique des ghettos où flirtent l'envie, la haine et la mort.
Avec cette belle idée de faire d'un quartier le centre de l'histoire, ce quartier qui a façonné les personnages et qui agit sur tous comme un aimant, les seuls qui en soient sortis y étant revenus, sans autre espoir que d'y vivre mal et d'y mourir. L'intérêt du livre est sans doute là, dans ce déterminisme du lieu qu'on a l'impression d'avoir parcouru de toutes parts au terme de sa lecture, au point de se sentir sad and dangerous comme dans la chanson de Dirty Three, groupe privilégié de l'auteur.
Une phrase
-"Si je peux vous donner un autre conseil, Monsieur Calabrese, c'est de vous montrer adorable envers votre mère. Préparez des excuses de toute beauté. Offrez-lui des fleurs. Soyez aux petits soins pour elle. Un jour, elle sera malade, en fin de vie, il ne lui restera plus beaucoup de temps mais suffisamment pour que vous soyez assis à son chevet à lui répéter : "j'aurais du mieux me comporter envers toi quand j'en avais encore l'occasion"…
-"Le lendemain matin, assis à coté de Pop à la messe, Conway se sentait encore saoul comme un cochon. Il ne s'était ni douché ni brossé les dents. Au petit déjeuner, il avait avalé trois cachets d'aspirine, les faisant descendre avec du jus de tomate dopé au tabasco, puis avait tenté d'ingurgiter un toast, ce qui s'était avéré impossible. Il avait l'estomac noué et la poitrine aussi, un peu comme s'il souffrait d'asthme. Et il voyait Ray Boy partout où il posait son regard".
L'auteur
William Boyle, disquaire, vit à Gravesend, quartier sud de Brooklyn, là où il est né. Son roman s'intitule précisément "Gravesend" et l'intrigue s'y déroule de bout en bout, signe manifeste de l'attachement de l'auteur pour ce lieu. Un premier roman, noir ou désabusé, publié aux Etats-Unis en 2013 chez Broken Rivers Book, éditeur spécialisé dans ce genre littéraire et qui poursuit aujourd'hui sa carrière en France, chez Rivages/Noir. François Guérif, figure emblématique de cette maison d'édition, a dû apprécier l'ouvrage de Boyle pour lui attribuer le n° 1000 de ses publications et braquer ainsi un projecteur sur l'auteur dans une généreuse expression d'estime.
Boyle le disquaire est plutôt "vinyle", confie écrire en écoutant la musique, le rock instrumental version "Dirty Three", le jazz aussi.
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