Frapper l’épopée

L’épopée de la Nouvelle Calédonie révélée à une jeune femme de retour au pays natal. Un roman virtuose
De
Alice Zeniter
Flammarion
Parution le 14 août 2024
345 pages
22 euros
Notre recommandation
5/5

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par

Thème

Après dix ans passés en France et dans les méandres d’une rupture amoureuse, Tass revient en Nouvelle-Calédonie d’où elle est originaire pour retrouver son activité de professeur de français dans un lycée de Nouméa.

La réadaptation à cette nouvelle vie suscite un questionnement ardent, tant par un environnement social en décalage avec son existence en métropole que par une piètre opinion de sa qualité d’enseignante, en dépit des encouragements fervents et amicaux d’une amie de longue date, également professeur dans le même établissement.

Son esprit va rapidement être capté par deux élèves, frère et sœur jumeaux, dont l’attitude et l’évidente intelligence vont susciter en elle un désir profond de mieux les connaître au risque, par le biais d’une curiosité affichée, d’entraver leur relation.

Ces deux jeunes adultes, Célestin et Pénélope, sont kanaks et ce statut, s’il ne les marginalise pas, les tient sans doute à distance des « Blancs », ce d’autant qu’ils semblent s’être rapprochés d’un groupuscule indépendantiste non violent et délicieusement utopique...

Leur disparition va donner à Tass l’occasion, en partant à leur recherche, de lui révéler, par le truchement d’hallucinations surnaturelles, sa propre filiation ancestrale.

Points forts

Alice Zeniter nous offre un roman d’une grande et magnifique écriture, le lyrisme des sentiments s’adossant à la réalité d’une île envoûtante par sa beauté sauvage et par le mystère d’une population autochtone aux croyances vivaces.

L’atmosphère chaude et humide du lieu, ce « Caillou » si loin de la France, exsude au travers des mots si bien choisis, porteurs d’une vision enchanteresse, mais heurtés par la pauvreté d’un peuple laissé à sa rancune et à sa quête permanente d’une histoire véhiculée par les Anciens.

Le roman nous entraîne vers une forme d’empathie envers ces hommes et ces femmes, soucieux de préserver la force de leurs origines même si le rêve d’une Kanakie autonome ou en tous cas, reconnue, semble difficilement accessible.

Quelques réserves

Que dire devant ce texte d’une épaisseur virtuose ?

Oui, bien sûr, l’épopée des ancêtres et notamment de son arrière-arrière grand-père révélée à Tass par la magie d’une eau dans laquelle elle tombe, une eau de mémoire, est une relative ineptie troublant notre perception occidentale !

Oui, bien sûr, le comportement erratique des trois membres actifs de ce groupuscule prérévolutionnaire confine, par leur slogan d’empathie violente, à la farce, mais nous leur accordons in fine notre affection.

Oui, bien sûr, la solitude de Tass est un peu caricaturale mais elle contribue à la draper dans une posture de vérité et de dignité.

Alors, levons toutes ces petites réserves...

Encore un mot...

Un roman épique et politique.

Épique par sa résonance quasi-homérique.

C’est un retour à la source pour Tass. Son éloignement en France pour vivre un chemin de vie auprès de ce compagnon qu’elle va finalement quitter lui laisse un goût amer dont sa propre mère ne la soulage pas. Toutes les informations glanées auprès de sa famille ne lui ont pas permis de structurer son personnage et l’impérieuse nécessité de rentrer à Nouméa émerge au sein d’une vie en métropole pourtant établie.

C’est ici une quête identitaire au sens le plus noble. Comprendre d’où l’on vient pour se comprendre soi-même, avec tous les risques que cela peut représenter, voilà la motivation sincère de notre héroïne. 

Politique ensuite.

L’histoire de la Nouvelle Calédonie avec ses soubresauts, les heurts renouvelés entre un peuple originel et une population porteuse de stigmates d’une colonisation conquérante, la difficulté de vivre côte à côte, l’étouffement d’une culture authentique par un modèle dominant, tout cet héritage nuit à la sérénité.

Au-delà des différents référendums réalisés depuis une trentaine d’années, et malgré un accord signé entre la République française et les représentants des mouvements indépendantistes, une tension persiste entre la métropole et l’île.

Lors de la rédaction de son roman, les événements qui secouent violemment en ce moment même ce territoire n’étaient pas en marche.

Faut-il voir chez Alice Zeniter une forme de prédiction ? Son approche analytique est, quoiqu’il en soit, la preuve d’une très grande perception du trouble local...

Une phrase

  •  « L’adolescente a fini de lire, elle interroge le silence de sa professeur, elle a peut-être remarqué le regard perdu sur son visage, dans ses cheveux. Tass sursaute, rougit, murmure : très bien, merci ». Page 101

  • « Quand elle [une des membres du groupuscule] appartenait encore à son clan, les histoires racontées lors des coutumes étaient longues et elles étaient vraies, déjà connues, déjà répétées : elles liaient les participants aux ancêtres et aux totems, elles mettaient chacun debout et le rendaient présent ». Page 122

  • « La colonisation de la Calédonie est aussi une histoire d’argent et de hasard mais elle prend une forme bien particulière dont les remugles se dessinent dans le trou d’eau, tout autour de Tass ». Page 228

L'auteur

Alice Zeniter est née en 1986 en banlieue parisienne.

Normalienne, détentrice d’un master d’études théâtrales, elle a été enseignante, metteur en scène, avant de se consacrer à l’écriture.

Plusieurs de ses romans ont été salués par la critique et ont été récompensés par de nombreux prix littéraires dont le très remarqué L’art de perdre en 2017 auréolé du Goncourt des lycéens.

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