FENUA
368 pages
20 €
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Thème
Après le Vietnam (Peste & Choléra), après l’Amazonie (Amazonia), à la suite de Kampuchéa et de Taba-Taba, Deville nous embarque pour Fenua, autrement dit la Polynésie. Fenua, c’est plusieurs centaines d’îles qui s’étendent sur une surface grande comme l’Europe. D’entrée, nous voguons de conserve avec l’Astrolabe ou la Boudeuse, nous croisons Bougainville et retrouvons Monsieur de la Pérouse cher au roi Louis XVI, nous manquons de nous faire cannibaliser comme le capitaine Cook, notre grand rival dans le Pacifique au 18ème siècle. Plus près de nous c’est Melville, Stevenson, Loti ou Conrad qui nous prennent par la main à la rencontre des indigènes et des vahinés et font les présentations.
Les révoltés du Bounty nous accostent et font revivre la cruauté de l’extravagant capitaine Fletcher tandis que Rimbaud lui-même rôde non loin, émergeant de quelques vapeurs d’opium ! Mais surtout, nous partageons le gîte et le couvert et pratiquement la couche de l’immense Paul Gauguin, nous sommes irradiés par les couleurs insensées qui inondent les toiles du grand peintre jusqu’à l’éblouissement et la folie du maître. Avec lui nous rêvons du Vietnam, du Tonkin, de Madagascar, avant d’échouer au cœur de l’Océanie, jusqu’aux îles Marquises.
Points forts
- L’évocation de Paul dit « le sauvage », de ce Gauguin croqueur de jeunes filles en fleurs, de l’immense artiste Paul Gauguin qui, grâce à ses talents complémentaires d’écrivassier et ses carnets de voyage, n’a plus de secret pour l’auteur. Les pérégrinations de cet aventurier de l’extrême, de ce jouisseur invétéré et la palette de ses sentiments exacerbés composent le morceau de bravoure du récit. Ses passions, assouvies ou contrariées, ses hallucinations, ses souffrances et pour tout dire l’expression de son génie et pas seulement de son génie créatif et artistique mais d’une sorte de génie manipulateur des âmes et des corps, le tout décrit par un Deville très en verve.
Les histoires de démêlés et négociations à distance du maître avec ses marchands, Théo van Gogh d’abord puis Ambroise Vollard, sont à la fois tristes et savoureuses. L’auteur est remonté aux sources jusqu’à s’installer plusieurs mois dans un cabanon sur le site de la « Maison du Jouir » du peintre et creuse jusqu’à l’os pour nous restituer les « impressions » désabusées de l’artiste : « Mes toiles de Bretagne sont devenues de l’eau de rose à cause de Tahiti, Tahiti deviendra de l’eau de Cologne à cause des Marquises ».
- La richesse des références culturelles et littéraires, le style direct mais imagé du conteur.
Quelques réserves
Moins convaincantes, car plus prosaïques, plus contenues avec ses considérations socio-politiques (la bombe nucléaire, Gaston Flosse, les velléités d’indépendance des indigènes…), les dernières pages ne suscitent plus l’émotion ressentie par le lecteur dans le corps du récit. Après de telles envolées lyriques, après une telle débauche de couleurs, une page se tourne… comme à regret.
Encore un mot...
Fenua est le 8ème récit de voyage de la série Abracadabra imaginée par Patrick Deville ; et un des meilleurs sinon le meilleur, en tous cas celui qui nous touche le plus. Il est à la hauteur de Peste et Choléra, prix Femina 2012. Paul Gauguin l’artiste est à l’un ce que le docteur Yersin, aventurier de l’Indochine et découvreur du bacille de la peste, est à l’autre. Mais ici la prose foisonnante de Deville prend en outre une dimension poétique inégalable.
Une phrase
« Enfin, c’est la frénésie de peinture, Mata Mua/Autrefois et Nafea faa ipipo/ Quand te maries- tu ?qui deviendrait le tableau le plus cher du monde mais nous n’en sommes pas là, lui non plus surtout, parce que Titi s’en va, c’est une fille de la ville, ça ne lui plait pas trop la cambrousse. Il contracte, à la mode locale, un mariage temporaire près d’Hitiaa où avait débarqué Bougainville et qu’il avait gagné à cheval depuis Taravao. La mère sortit un quart d’heure et tandis qu’on apportait le repas des maiorés, des bananes sauvages et quelques crevettes, la vieille rentra suivie d’une grande jeune fille, un petit paquet à la main. A travers la robe de mousseline extrêmement transparente on voyait la peau dorée… deux boutons pointaient dru à la poitrine ! Gauguin écrit : « l’or du visage de Tehamana inondait tout l’alentour et tous deux dans un ruisseau voisin nous allions naturellement, simplement, comme au Paradis, nous rafraichir ».
L'auteur
Patrick Deville, l’écrivain voyageur est né en 1957 à Paimboeuf sur l’embouchure de la Loire, près de Nantes. Il dirige à Saint Nazaire la maison des écrivains étrangers et traducteurs tout en ayant écrit une quinzaine de livres et de nouvelles. Prix Femina en 2012 pour Peste & Choléra qui initie une saga de récits et d’aventures intitulée Abracadabra. On hésite à parler de fictions quant à l’œuvre de Deville tant les citations, les témoignages, l’accumulation de noms propres de personnages ou de lieux confèrent à ses écritures une authenticité et une véracité indiscutables Pour le dire simplement, Deville c’est du vécu ! Culture-tops a déjà rendu hommage à cet écrivain atypique à propos par exemple de, hors le prix Femina, Taba-Taba et Amazonia.
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