Fantaisie allemande
120 pages -
18 €
Infos & réservation
Thème
Un soldat seul et perdu cherche à se cacher, peut-être à disparaître dans la forêt, à la frontière de la France et de l'Allemagne. Il est affaibli, dérouté. Peu à peu, on découvre son passé sombre et les raisons probables de sa fugue… Un vieil homme de quatre-vingt-dix ans raconte des bribes de sa vie, ses souvenirs marqués par la guerre, son premier amour et sa capacité à retrouver sa jeunesse dans ses rêves... Une jeune femme indolente est engagée comme garde-malade dans une maison de retraite et y exerce son métier avec dégoût, lassitude, jusqu'à cesser de nourrir un vieil homme et à le martyriser... En tout, cinq chapitres qui ressemblent à des nouvelles au temps des deux guerres mondiales et de l'après-guerre nous révèlent probablement l'histoire d'une famille dont le personnage central, un gardien de camp de concentration, Viktor, semble être la figure centrale, à différents âges de sa vie.
Points forts
- Le premier point fort de ce roman paradoxal, structuré en nouvelles à la fois indépendantes et se faisant écho, est de troubler les sens du lecteur et ses capacités d'empathie. Par exemple, le roman s'ouvre sur la description de la souffrance d'un homme perdu, traqué, caché dans une forêt sombre et hostile. Nous sommes avec ce personnage, avec sa douleur, son inconfort, la pluie glacée qui ruisselle dans son cou. Puis il est fait mention du tatouage de son groupe sanguin sous son bras gauche, et nous comprenons qu'il s'agit d'un membre des SS. C'est le caractère humain d'un homme et sa capacité à inspirer de la compassion qui sont ici en question. De la même façon, le personnage de la jeune fille qui devient une tortionnaire est exploré avec une empathie très déroutante. Ce parti pris rend le livre saisissant.
- La langue ici employée est à la fois littéraire sans être chargée. On pourrait simplement qualifier l'écriture de ce roman de poétique, tant les images y sont justes et gracieuses. Le récit de jeunesse du vieil homme, dans la deuxième nouvelle, de ses sensations physiques, amoureuses, est particulièrement réussi. L'auteur parvient à instiller de la douceur au cœur même des souffrances et des drames qu'il décrit.
Quelques réserves
Le lecteur s'attendant à une trame classique, avec une suite logique d'événements relatés restera peut-être sur sa faim. Mais ce voyage qui ne mène nulle part vaut le détour.
Encore un mot...
Un roman sombre, poétique et dérangeant.
Une phrase
“J’essaie par la suite de retrouver la femme brune. Je viens bien des soirs dans le parc, en toute saison. J’assiste à quantité de concerts, ne ratant aucun de ceux qui inscrivent Haydn à leur programme. Les années passent sans que jamais je la revoie. Je ne sais pas si sa folie a fini par l’emporter très loin du monde des hommes. Si elle est morte d’un trop grand manque d’amour. Si elle a fini par se jeter du haut d’un pont ou dans une rivière, rongée par la douleur d’avoir à jamais perdu Viktor. Le temps ne parvient pas à altérer, ne serait-ce que très légèrement, le souvenir que je garde d’elle, et si je lui suis redevable de mon premier vertige sexuel, je lui dois surtout l’amour des femmes.”
L'auteur
Philippe Claudel, né en 1962, est écrivain et cinéaste. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans, nouvelles et essais, parmi lesquels Meuse l’oubli (Balland, 1999), J’abandonne (Balland, 2000, Prix France Télévision), Les Âmes grises (Stock, 2003, Prix Renaudot), Le Rapport de Brodeck (Stock, 2007, Prix Goncourt des Lycéens), ou encore Compromis (Stock, 2019). Il a été le scénariste et le réalisateur de plusieurs films, dont Il y a longtemps que je t’aime (2008), qui a obtenu le César du meilleur film, Tous les Soleils (2011), ou encore Une enfance (2015).
Ajouter un commentaire