Falaise des fous
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Thème
Charles Guillemet, le narrateur normand, raconte sa vie de 1868 à 1927, à travers le prisme des peintres et des écrivains, fascinés par la falaise d’Etretat.
Revenu d’Algérie à demi-éclopé à vingt ans, il s’occupe de la maison de son oncle, son bienveillant protecteur depuis son enfance, et de son bateau, dans lequel il emmène Claude Monet pour contempler cette côte sauvage, qu’il connaît si bien. Cette rencontre déterminante transforme le jeune homme désoeuvré en esthète, il va analyser et suivre avec passion la quête obsessionnelle de la lumière et de ses variations de ce Sisyphe visionnaire.
Il découvrira d’autres « fous de création » comme l’exubérant Gustave Courbet, Maupassant aux appétits inassouvis ou plus tard, Péguy l’intransigeant.
Il inscrit sa vie personnelle et sentimentale, marquée par trois figures féminines, qui complèteront, chacune à leur manière, son éducation artistique et littéraire, dans le contexte plus large de son époque, en embrassant dans une vaste fresque tous les événements culturels, politiques et sociaux, depuis la guerre de 1870 jusqu’à la traversée de l’Atlantique par Lindbergh, en passant par la naissance de l’impressionnisme, l’affaire Dreyfus ou les massacres de la première guerre mondiale.
Points forts
• Un titre magnifique et une première phrase prometteuse : « Jadis, j’ai embarqué sur la mer un jeune homme qui devint éternel. »
• Le portrait de Claude Monet, fil conducteur du livre, est captivant. « Le peintre du feu bleu, le grognon génial » ne reconnaît jamais le narrateur, croisé pourtant quatre fois. Son travail acharné le torture, le ronge, l’ensorcelle ; il lutte pour saisir le poudroiement des rayons du soleil. Il continuera à peindre indéfiniment ses Nymphéas même pendant la Grande Guerre jusqu’à se rendre aveugle. Gustave Courbet s’oppose à lui en tout : « l’ogre hilare » a le génie de la chair, il croque la vie à pleines dents et peint au couteau !
• Autour de ce personnage central fourmille une multitude de peintres et d’écrivains, auxquels Patrick Grainville consacre des pages éblouissantes : Manet, Boudin, Degas, Renoir, Pissarro, Matisse, Picasso ou Hugo, Zola, Rimbaud, Maupassant, Flaubert, Baudelaire, Proust ... Il analyse avec brio leur génie propre, leur folie créatrice, les paradoxes de leur personnalité et il établit souvent des parallèles remarquables entre eux.
• Dans des pages mémorables consacrées à des foules en mouvement, comme le départ des terre-neuvas de Fécamp, l’enterrement de Victor Hugo, l’incendie du Bazar de la Charité ou l’émeute des bouchers de la Villette, Patrick Grainville nous montre son sens des tableaux grandioses. Il est d’ailleurs aussi à l’aise dans les scènes plus intimes, comme la naissance de sa fille ou la découverte du portrait de sa mère, dont Charles ne garde aucun souvenir.
• Les figures féminines fictives sont très réussies : Mathilde, Anna, Aline, les « dames de sa vie », et Charlotte, sa fille, incarnent la beauté, la séduction, l’intelligence et la liberté.
• L’intérêt ne faiblit pas tout au long de ces 654 pages grâce à la flamme de l’inspiration, à la vivacité du récit, à la limpidité du style et à la richesse du vocabulaire.
Quelques réserves
Franchement, je n’en vois pas.
Encore un mot...
Patrick Grainville brasse avec un talent « fou » les destinées individuelles et les épopées collectives ; il mêle avec virtuosité les chocs, les élans, les drames, les exploits, et bien sûr il rend hommage à ses peintres et à ses écrivains préférés, pendant les six décennies qu’il a choisies. Le lecteur est emporté par le tourbillon irrésistible de ce roman ambitieux et foisonnant : son souffle, sa densité et sa profondeur frappent d’autant plus que ces qualités sont plutôt rares dans les romans contemporains.
Une phrase
- « la rétrospection … est habitée par tous les moments de la vie. C’est un brouillard d’émois, de réminiscences, de visions, de scènes floues, nettes. Comme cette mer mouvante, criblée de reflets, de volumes précis, énormes ou fugitifs, minuscules. Une vallée de leurres, d’ombres et d’éclairs. » p. 87
- « Je vois dans la peinture désormais. Les ciels mêlent des touches, des taches, des lambeaux de gris, de violet et de bleu. Et c’est une vision plus sereine, plus profonde. Une émotion de l’éternité. » p.90 « Ma patrie est la peinture » p.607
L'auteur
L’œuvre de Patrick Grainville, né en 1947, est abondante. Il a publié une quarantaine de livres, dont vingt-six romans. On en citera quelques-uns : Les Flamboyants (prix Goncourt 1976), Le Paradis des orages (1986), L’Orgie, la Neige (1990), Le Tyran éternel (1998), Lumière du rat (2008), Le Corps immense du président Mao (2011), Bison (2014).
L’Académie française lui a décerné le grand prix de littérature Paul Morand pour l’ensemble de son œuvre en 2012.
Commentaires
Superbe ! Un livre fresque, la grande histoire et la petite, les grands et les simples, tantôt avec panache tantôt avec sobriété. Un livre "monde". quelle érudition !
Adoré ,une espèce de "légende du siècle" pleine de vie,mêlant la vie intime du narrateur ,la grande et la petite histoire,,avec ce merveilleux fil conducteur des peintres d Etretat,dont Monet fait l ouverture et la fermeture du livre qui s achève sur l essor de l aviation ,exactement comme Hugo et sa Légende des siècles.
Très déçu.
Décousu, trop d'aller/retour dans l'espace, trop d'aller/retour dans le temps, trop de citations, trop d'Histoire, l'auteur a l'air d'avoir tout compilé sur cette époque et sur la peinture de cette période, et avoir créé une histoire lui permettant de tout régurgiter.
Artificiel
L'analyse de Marie de Benoît est tout à fait intéressante et correspond tout à fait à mon ressenti.
Ce roman foisonnant où personnages de fiction se mêlent aux grandes figures de l'époque (peintres, romanciers, politiques) est quelquefois difficile à lire , fastidieux m^eme , mais le vocabulaire est tellement riche et abondant, le ton outrancier ou plein de poésie, bref c'est un roman "flamboyant" à découvrir ...
vous êtes le seul (toutes les critiques sont laudatives) à oser dire que P.Grainville est un ogre, un boulimique qui ne sait pas s'arrêter. TROP c'est TROP et le "encore plus" des évènements, de l'écriture elle-même tuent le bon, le beau. Indigestion assurée. A la diète, Grainville!
Exceptionnel...
Moi qui recherche l’écriture, celle que tu as envie de noter dans ton petit carnet . .L'érudit qui ne t’assomme pas avec son savoir et qui sait t'attraper .J'ai été dans une béatitude que je souhaite à tout le monde.
Merci , Patrick pour ces moments, de pur délice ... Happée par le style flamboyant, par la richesse des références culturelles, j,ai le sentiment d.appartenir au monde que vous décrivez,je suis aux cotes du narrateur, je regarde, j’observe, j’analyse, je vis avec Monet et tous ces artistes ....Mille fois merci pour ces instants de pur régal intellectuel qui m’eblouissent....
Avec Patrick Grainville, la vie est un songe,une lumière intérieure,
une impression qui " joue de la réalité".
La poésie la transcende cette vie de fous, avec sa truculence, sa sensualité, ses désirs, inassouvis...
Le narrateur est transformé par une double distorsion du réel
Celle du regard des peintres qui intériorisent leur vision,leurs impressions jusqu'à trouver une construction abstraite de la nature.
Enfin celle de l'écriture de souvenirs ,"vallée de leurres, d'ombres et d'éclair"
Le paradoxe de cette écriture est que la vie et son histoire nous paraissent plus vraies.
Une orgie de mots, d'expressions, de phrases au service d'une érudition partagée avec son lecteur. Quelques faiblesses ou complaisances n'altèrent pas l'immense plaisir de découvrir une langue fluide, belle et riche qu'on croyait l’apanage des Grands du dix-neuvième siècle. Une cinquantaine d'années au tournant du vingtième siècle sur les peintres, les écrivains, la politique, la guerre, et l'amour défilent au cours d'une bonne semaine de lecture inoubliable. Un vrai coup de cœur.
Plutôt un bon livre, mais par étalage d'érudition, c'est trop dense, on ne respire pas beaucoup !
ça tourne un peu en rond, et finalement pas beaucoup de leçons à tirer de tout cela. Exceptions : pour l'affaire Dreyfus et les ressorts de la guerre 14/18 qu'il est bon de rappeler.
Bonjour.
Enfant, et pour longtemps, j'ai vomi l'enseignement scolaire de l'Histoire et de la littérature.
Pourtant je n'ai cessé de lire ni même d'écrire, comme on respire.
Il est vrai que la "Falaise des fous" est parfois longue et ardue à gravir; c'est qu'elle foisonne de pierres de touche qui lui donne une densité qui demande patience et longueur de temps au rat de bibliothèque.
Long à lire, comme un repas de fête où l'on vous sert un demi-siècle d'histoire des peuples, des peintres, de la peinture, des gens, des amours, des catins, bref : un livre d'histoire(s) dont on n'osait rêver.
Merci, Monsieur Grainville, pour cela et bien plus : style, érudition à facettes, passion, ...
Merci.
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