Faites-moi plaisir
Editions de L’Olivier,
110 pages,
13 euros
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Thème
En quelques cent pages d’une efficacité narrative redoutable, Quin M. Saunders et sa meilleure amie Margot racontent en alternance comment les femmes qu’il a côtoyées en arrivent un jour à vouloir le briser.
Points forts
Ils sont innombrables.
■ Bien sûr, il s’agit d’abord d’un livre qui s’inscrit dans un mouvement d’époque extrêmement important : le soulèvement des femmes harcelées ou se considérant telles, dont la parole se libère et frappe.
■ Une des subtilités du roman, c’est de ne pas juger. Mary Gaitskill ne distribue pas les bons et les mauvais points, n’envoie pas ses personnages au tribunal de la morale. Il n’y a pas de victime/bourreau : il y a d’un côté Quin M. Saunders, sa manière d’être personnelle avec les femmes ; et de l’autre côté, ces femmes, dont son amie Margot. Que le lecteur se débrouille avec ça. Ou plutôt, qu’il vive cette histoire, s’étonne, puis s’indigne, puis sourie, puis s’interroge, puis approuve, puis s’indigne de nouveau, et cela jusqu’à la fin. Au bout du compte, ce ne sera pas l’auteur, ni aucun des personnages qui dénoueront l’histoire – ce sera le lecteur/la lectrice.
■ Le lecteur… Tout au long de ma lecture, je me suis demandé : Si j’étais un homme, qu’est-ce que je penserais de l’attitude de Quin dans cette scène ? Et de cette femme ? Est-ce qu’il va trop loin ? En tant qu’homme, aurais-je eu ce mot, ce geste ? Et la réaction de cette femme, qu’est-ce qu’elle dit à l’homme que je suis – Vas-y, ou bien Tu abuses ? « Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? » disait Freud. Ce récit pousse sans cesse à s’identifier, se projeter, questionner ses propres ambivalences et la zone grise du… le mot est lâché : consentement. Longtemps, on a affirmé que « tout est permis entre homme et femme du moment que c’est consenti ». Aujourd’hui, on sait combien ce « consentement » peut être affaire de pouvoir plutôt que de liberté. De ce point de vue, le titre français est programmatique : Faites-moi plaisir, n’est-ce pas un ordre ?
■ Faites-moi plaisir, c’est aussi l’art du suspense. Comme souvent, mieux vaudrait résister à la tentation de lire la 4e de couverture (et cette chronique!) pour se réserver toute la saveur et surtout la tension de ce récit. On sait bien que Quin va tomber – il nous raconte dès le début du livre qu’il est viré de sa maison d’édition. Mais quelle jouissance de lecture, assez charnelle, de sentir enfler la vague, de se demander à quel moment elle va atteindre son point d’équilibre, puis déferler et s’écraser sur Quin pour le jeter à terre.
■ Enfin (puisqu’on ne peut pas faire le tour des multiples talents de Mary Gaitskill), on retiendra le personnage de Quin, justement. Quin est l’ami inlassable des femmes, un flirteur, ce que j’appelle personnellement un « frôleur », plus intéressé (excité?) par le potentiel de la relation que par la possibilité de la consommer. Il pourrait être un genre de Jack Nicholson brillant et badin (la badine à la main?). Quant à Margot, sa co-narratrice et meilleure amie, elle n’a nullement une fonction de faire-valoir, ni dans le récit ni dans leur amitié. Son point de vue, les intempéries de sa relation à Quin – il la bluffe, l’irrite, l’offusque, plante la graine de sa colère, suscite sa compassion – en font un personnage complexe très intéressant.
Quelques réserves
Aucun. Une perfection.
Encore un mot...
Mais comment fait-elle ? Par son écriture d’une sobriété et d’une habileté remarquables, Mary Gaitskill donne l’envie furieuse de dialoguer avec elle sur sa manière de travailler. Comment parvient-elle à cette épure où ne subsiste pas un mot superflu et où sont semés les indices de la chute de Quin avec une intelligence du récit qui laisse ébloui… Il faut absolument lire ce livre d’orfèvre. Epoustouflant.
Une phrase
Quin :
– C’était bien mon idée. Mais elle a plus que joué le jeu. (…) Elle n’était obligée de rien.
Margot :
– Je ne dirai jamais ça en public, je ne le dirai à personne d’autre qu’à toi. Mais écoute. (…) Les femmes sont comme les chevaux. Elles veulent qu’on les mène. Elles veulent qu’on les mène mais aussi qu’on les respecte. Tu dois le mériter, à chaque fois. Et elles sont sacrément balèzes. Si tu ne les respectes pas, elles te jetteront à terre et caracoleront dans le paddock pendant que tu baignes dans ton sang.
L'auteur
Quand on a demandé à Mary Gaitskill ce qui l’avait incitée à devenir écrivain à 18 ans, elle a répondu :«l’indignation». Nouvelliste découverte dans le New Yorker et Harper Bazaar, elle n’a cessé d’interroger la sexualité et l’amour, souvent du point de vue féminin mais pas seulement, ainsi que la dépendance comme dans Veronica, traduit aux éditions de l’Olivier.
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